« Les enjeux maritimes sont considérables pour l’Europe ». C’est ce qu’estime la directrice exécutive de l’Agence Européenne de Défense. Avec Claude-France Arnould, nous revenons aujourd’hui sur ces enjeux, mais aussi sur le rôle et l’action de l’AED dans le domaine de la sécurité maritime et des programmes navals.
MER ET MARINE : Les enjeux maritimes font-ils partie des priorités de l’Europe ?
CLAUDE-FRANCE ARNOULD : Les enjeux maritimes sont considérables pour l’Europe, qui doit se donner les moyens, grâce à la coopération, de conserver et développer des capacités répondant à ces défis. 23 des 28 Etats membres de l’Union européenne donnent sur la mer, ce qui représente en tout quelques 90 000 km de frontières maritimes. Les activités maritimes et les enjeux qui en découlent sont une priorité pour le Conseil, qui travaille à l’élaboration d’une stratégie européenne de sécurité maritime. La mer est, en effet, un formidable vecteur de développement économique, mais nous devons aussi faire face à différentes menaces et problématiques : les trafics illicites, le contrôle de l’immigration clandestine et le sauvetage en mer, la prévention et la lutte contre les pollutions, la police des pêches… Il est donc devenu fondamental que les pays européens puissent, face à ces enjeux communs, mutualiser leurs moyens et échanger des informations afin de renforcer le dispositif global de surveillance maritime.
C’est tout l’objet du programme MARSUR, que vous présentez à l’occasion d’Euronaval et qui est désormais prêt à entrer en service ?
Tout à fait. Ce projet est né en 2005 de la volonté d’élaborer une solution européenne permettant aux Etats membres d’échanger en temps réel une situation tactique en matière de surveillance maritime. Il ne s’agissait pas de partir sur un nouveau système mais de créer une interface permettant de mettre en réseau les systèmes existant. Aujourd’hui, le projet est mature et disponible pour être utilisé de manière pleinement opérationnelle par les marines des 18 Etats participant au projet. Nous construirons ce réseau de manière pragmatique, c’est une coopération à la carte sur la base du volontariat. Chaque marine décidera ou non de participer et, si tel est le cas, elle choisira le degré de partage des informations.
Au-delà des militaires, des administrations et agences civiles vont-elles intégrer le dispositif ?
C’est le but du projet CISE, qui vise à mettre en réseau les informations des marines, mais aussi des services de garde-côtes, des douanes ou d’autres administrations impliquées par la surveillance maritime. Les agences européennes, comme l’EMSA et FRONTEX, ont également vocation à rejoindre le dispositif, qui pourra intégrer des systèmes existants, comme EUROSUR pour le contrôle aux frontières, SAFESEANET pour le trafic maritime et VMS pour la pêche. Ainsi, nous pourrons construire un système global de surveillance maritime qui couvrira à terme l’ensemble du littoral européen. Le but est de gagner en efficacité mais aussi de réaliser des économies en supprimant des doublons. Selon les études de la Commission, 40% de l’information liée à la surveillance maritime est réalisée plusieurs fois, alors que 40 à 80% de l’information n’est pas partagée par les utilisateurs intéressés. Eliminer la duplication de mêmes efforts permettrait de réaliser une économie pouvant atteindre 400 millions d’euros par an.
L’AED travaille sur un projet naval majeur, celui visant à renouveler les moyens actuels de guerre des mines. Où en est-on ?
Il s’agit du programme MMCM NG, pour lequel l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Estonie, la Suède et la Norvège viennent de signer un accord. Ces pays vont travailler ensemble, avec l’AED, à la définition d’une capacité de guerre des mines de nouvelle génération. Les Français et les Britanniques, qui ont un calendrier légèrement différent, mène quant à eux leur propre programme, comme cela a été décidé en novembre 2010 suite aux accords de Lancaster House et réaffirmé récemment. Cela ne signifie toutefois pas qu’il n’y aura pas des échanges.
Pourquoi l’AED est-elle impliquée dans ce processus ?
L’Agence a justement été créée pour cela il y a dix ans. Son rôle est d’harmoniser les besoins opérationnels des Etats membres afin de faciliter l’émergence de coopérations européennes. L’AED est un système très souple. A partir de deux Etats membres, il est possible de signer un arrangement pour définir un besoin commun, établir les conditions de partage du programme, mais aussi prévoir les conditions d’une éventuelle ouverture du club à d’autres. Les pays peuvent s’appuyer sur toutes les ressources de l’AED : recherche technologique, compétences techniques et opérationnelles, logistique, entrainement, simulation, expertise juridique … Nous pouvons également apporter des compétences en termes de règlementation et de certification, et mettre en place des synergies avec d’autres agences ou directions européennes, notamment en matière de financements. Car les technologies sont souvent duales et éligibles à des financements communautaires, qu’ils proviennent de fonds structurels ou de programmes comme Horizon 20/20.
Mener des projets avec l’AED n’est donc pas qu’une question politique, pour soutenir la construction de l’Europe de la Défense, c’est également dans l’intérêt des opérateurs, qui bénéficient de synergies au niveau de l’agence et des autres politiques européennes.
Comment vous articulez vous avec l’Organisation Conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) ?
C’est le binôme idéal ! L’AED intervient en amont pour faire émerger une coopération par la définition des besoins et la faisabilité d’un programme. L’OCCAR est ensuite chargée de gérer le programme pour le compte des Etats qui en sont membres et qui ne sont que six : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. La participation d’un tiers, comme ce fut le cas pour les Turcs avec l’A400M, est possible. L’OCCAR dispose de compétences spécifiques et est en mesure de gérer des programmes internationaux très complexes. Nous travaillons donc très étroitement avec l’OCCAR mais nos formats et nos métiers sont différents.
La montée en puissance de l’AED n’est-elle pas de nature, à terme, à remettre en cause les agences nationales ?
Je ne le crois pas et ce n’est à mon avis pas souhaitable. On ne peut pas tout concentrer et créer un mastodonte à Bruxelles. L’AED est une agence intergouvernementale dont les patrons sont les ministres des Etats membres. C’est une petite structure, et c’est une bonne chose car cela offre de la souplesse. Il est donc clair que nous continuerons à nous appuyer sur l’expertise des agences nationales, avec lesquelles nous devons travailler en interaction. C’est dans l’intérêt de tous puisque l’objectif de l’AED est de favoriser le développement de programmes européens et, ainsi, de démultiplier les effets que l’on peut avoir avec les programmes nationaux.
Interview réalisée par Vincent Groizeleau