Le dossier des futures corvettes roumaines a connu un nouveau rebondissement avec le recours déposé par Fincantieri pour contester la procédure d’appel d’offres. Un marché non encore attribué qui porte sur la construction en transfert de technologie de quatre bâtiments de combat fortement armés, les chantiers locaux devant également assurer la rénovation des deux ex-frégates britanniques du type 22 datant de 1987/88 et acquises en 2003 par la Roumanie. Il s’agit des ex-London devenue Regina Maria et ex-Coventry devenue Regele Ferdinand qui doivent bénéficier d’une modernisation de leur système de combat, de l’armement et des senseurs. Le projet comporte enfin la création d’un centre d’entrainement des équipages et le développement d’un pôle de maintenance pour la flotte roumaine.
Pour mémoire, après l’échec d’une première procédure d’acquisition lancée en 2016 et tombée à l’eau l’année suivante après des élections législatives, Bucarest avait rapidement relancé ce projet, la modernisation de sa marine étant de première importance compte tenu du développement des moyens navals russes en mer Noire et du rôle que le pays entend jouer au sein de l’OTAN.
Un nouvel appel d’offres a donc été initié en mars 2018 et conduit tambour battant jusqu’au mois d’octobre, respectant scrupuleusement un calendrier pourtant extrêmement serré. Selon l’ordonnance gouvernementale encadrant cet appel d’offres, au-delà évidemment du respect des exigences techniques et capacitaires formulées par la marine roumaine, le critère final déterminant est le prix, c’est-à-dire que la commande doit être attribuée à l’industriel faisant l’offre la moins chère.
Alors que la compétition était ouverte aux pays membres de l’OTAN et de l’Union Européenne, trois offres ont été retenues en short list en octobre 2018. Celle de Naval Group allié au chantier roumain SNC de Constanta s’élève à 1.2 milliard d’euros, devançant selon les critères de prix les dossiers du néerlandais Damen (1.25 milliard) et de l’italien Fincantieri (1.34 milliard), tous deux possédant des chantiers en Roumanie (Mangalia et Galati pour Damen, les sites Vard de Tulcea et Braila pour Fincantieri). Mais en novembre, la procédure d’appel d’offres a été suspendue par les autorités roumaines sur fond de premiers recours sur des soupçons d’illégalité et semble-t-il de manœuvres politiques plus ou moins caduques aujourd’hui du fait que certaines têtes à priori hostiles à la candidature française ont depuis volé. Alors que la plupart de ces recours ont été jugés irrecevables selon Naval Group, l’industriel français semblait donc voir l’horizon se dégager.
Mais c’était sans compter avec son nouveau partenaire Fincantieri, qui est donc à son tour entré, il y a quelques semaines, dans le jeu des procédures, allant donc à priori à l’encontre des intérêts de Naval Group. Une action semble-t-il lancée peu avant l’accord de rapprochement conclu entre le constructeur italien et son homologue français le 14 juin dans le cadre du projet Poseidon. Dans ce contexte, une telle béquille fait évidemment désordre et, à Paris, on a sans doute fort peu goûté la manœuvre italienne. Dire pour autant que Fincantieri fait preuve de haute trahison est cependant exagéré. Hervé Guillou lui-même, le 14 juin dernier, avait insisté sur le fait que Naval Group et Fincantieri demeuraient concurrents sur tous les projets déjà engagés avant ce jour, le développement d’offres conjointes au travers de leur future société commune (JV) portant uniquement sur de nouveaux dossiers. Sur le reste, la compétition continue donc et, comme elle l’a été ces dernières années, demeure féroce. Faut-il s’en étonner ? Sans doute pas dans un milieu où, comme pour toute question de business, la règle est d’exploiter les moindres failles du voisin pour mieux le torpiller. Un jeu auquel les français savent d’ailleurs eux-aussi jouer, comme semblent en témoigner les rumeurs de manœuvres qui auraient été initiées un temps au Qatar dans l’espoir de faire capoter la commande géante (quatre corvettes, deux patrouilleurs et un bâtiment de projection) attribuée en 2016 à Fincantieri et entrée en vigueur l’année suivante.
Français et Italiens vont coopérer et conduire des programmes communs, c’est une certitude. Mais cela va prendre du temps et, d’ici là, il faut faire rentrer des commandes. Chacun va donc essayer d’exploiter au mieux les positions qu’il a déjà construites, ce qui donnera inévitablement lieu à un certain nombre de frictions. « La coopération n’est pas un long fleuve tranquille, elle se construit dans le temps et il faut s’attendre à quelques accrocs », confie une source parisienne.
La France n’a par exemple pas l’intention de partager avec l’Italie le projet des futures frégates grecques. Et en Roumanie, où il convient maintenant de voir ce que va devenir la procédure, Naval Group reste fidèle à SNC et exclut toute possibilité de verser le projet à la future JV franco-italienne. Contacté à ce sujet, l’industriel tricolore se montre très ferme : « Naval Group défend en premier lieu ses intérêts et ceux de ses partenaires. Ainsi, le processus d’appel d’offres en Roumanie qui est antérieur à la création de la JV le 14 juin n'a pas été et ne sera pas remis en cause par Naval Group. C’est au client de décider comment il veut poursuivre en fonction de ses besoins et contraintes juridiques. Naval Group et son partenaire SNC sont arrivés en tête de la compétition avec la proposition financière et industrielle la mieux disante suivi de Damen puis de Fincantieri avec Vard. Naval Group est une entreprise qui respecte toujours ses engagements avec ses partenaires. Nous sommes déterminés à soutenir l'offre que nous avons remise. Elle est basée sur une solution technique répondant parfaitement aux besoins opérationnels de la Marine roumaine ainsi qu'une coopération industrielle créatrice d'emplois à haute valeur ajoutée sur le long terme ».