Dix ans. Cela faisait dix ans que le site DCNS de Lorient n’avait pas mis en chantier un prototype de bâtiment de combat fortement armé. Hier, l’établissement morbihannais du groupe français a procédé à la découpe de la première tôle d’une Gowind 2500, nouvelle génération de corvette développée par DCNS. Livrable fin 2017, ce bâtiment est destiné à la marine égyptienne, qui en a commandé quatre exemplaires en juillet dernier pour un montant estimé à près d’un milliard d’euros.

Vue des futures Gowind égyptiennes (© : DCNS)
Quatre unités produites à Lorient et Alexandrie d’ici 2019
Alors que la tête de série va voir le jour à Lorient, ses trois jumelles verront le jour à Alexandrie, où elles seront réalisées d’ici 2019 par les chantiers égyptiens avec l’aide technique française. « Le lancement de la construction de la première corvette égyptienne est un moment très important pour DCNS. D’abord, nous scellons un partenariat international avec l’Egypte, qui va également prendre livraison d’une frégate du type FREMM. Nous sommes avec ce nouveau client dans une démarche à long terme, avec des actions de formation et de transfert de technologie. Ensuite, ce contrat s’inscrit dans notre stratégie de croissance à l’international, qui est vitale pour le développement de DCNS. La vente de Gowind à l’Egypte constitue notre second succès à l’export pour cette nouvelle génération de corvettes, également retenue par la Malaisie, et ce sera la première construite en France, où nous espérons bien en produire d’autres », explique Pierre Salmon, directeur du site DCNS de Lorient. A ce jour, avec les six corvettes malaisiennes, qui seront réalisées localement en transfert de technologie (le programme en est au stade des études), ce sont donc dix Gowind qui ont déjà été vendues par le groupe naval. Et ce dernier compte surfer sur ce deuxième succès et la réalisation d’une première unité en France pour élargir son portefeuille de clients. « Il y a d’autres prospects et il est évident que ce nouveau contrat avec l’Egypte va nous aider dans la compétition internationale ».

Pierre Salmon (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Une plateforme très puissante
Il faut dire que la Gowind 2500 a de quoi séduire les forces navales qui souhaitent disposer d’un bâtiment à la fois compact et très puissant. « Sur ces corvettes on trouve en fait, en version miniature, toutes les fonctionnalités des grandes frégates. Elles ont à la fois des capacités antisurface, antiaériennes et anti-sous-marines ». Longues de 102 mètres pour une largeur de 16 mètres et un déplacement de 2600 tonnes en charge, les Gowind égyptiennes pourront atteindre la vitesse de 26 nœuds, avec une autonomie de 3700 milles à 15 nœuds. Elles disposeront d’une propulsion diesel-électrique, avec deux moteurs diesels et deux moteurs électriques, la puissance atteignant 10 MW. Armées par un équipage de 65 marins (détachement hélicoptère inclus), ces corvettes auront la possibilité d’embarquer au moins 15 personnes supplémentaires, par exemple des forces spéciales. Celles-ci pourront notamment être déployées au moyen de semi-rigides, les Gowind 2500 disposant de deux niches latérales pour des embarcations de 6.5 mètres. Puissamment armés, les bâtiments pourront mettre en oeuvre 8 missiles antinavire Exocet MM40 Block3, 16 missiles surface-air VL Mica, une tourelle de 76mm, deux canons télé-opérés de 20mm, ainsi que des torpilles. Le hangar et la plateforme sont dimensionnés pour accueillir un hélicoptère de 10 tonnes. L’armement, comme les équipements électroniques, seront gérés par un système de combat SETIS, initialement développé par DCNS pour les FREMM. Les Gowind égyptiennes disposeront d’un mât unique abritant sous un radome un radar de veille SMART-S avec un balayage à 360°, ainsi qu’une suite de guerre électronique qui devrait notamment comprendre des systèmes Vigile 200 et Altesse. Il y aura également à bord des lance-leurres Sylena. Par ailleurs, les futurs bâtiments se distingueront par leurs importantes capacités anti-sous-marines, avec un sonar de coque de la famille Kingklip et un sonar remorqué Captas 2.

Module PSIM sur une Gowind (© : DCNS)
Module mâture et CO : Quatre PSIM à réaliser à Lorient
Concernant la mâture unique, on notera que DCNS a vendu son concept PSIM (Panoramic Sensor Intelligence Module). Il s’agit d’une structure intégrée regroupant le mât et ses équipements, le Central Opérations totalement équipé et les locaux techniques associés. L’ensemble peut, ainsi, être installé d’un seul bloc sur le bâtiment, mais également extrait pour les opérations de maintenance, avec pour objectif de réduire les coûts de possession et les durées des arrêts techniques (Le traitement des obsolescences peut également être facilité si, en plus des mâts embarqués, les travaux sont menés sur un module supplémentaire conservé à terre). « Nous réaliserons à Lorient les quatre PSIM, dont les trois destinés aux corvettes réalisées en Egypte, qui seront livrés clés en main. L’un des grands avantages de ce module indépendant est de faciliter le dérisquage et réduire les délais », note Pierre Salmon. En dé-corrélant la construction de la plateforme de la fabrication puis de la mise au point de l’ensemble mâture/senseurs/système de combat, les deux opérations peuvent être menées séparément sans que l’une impacte l’autre en cas de retard. Une approche très intéressante pour les éléments du PSIM notamment, puisque l’intégration des senseurs au système de combat est l’un des points les plus complexes pour un programme de ce type.

Le PSIM (© : DCNS)

Pic de charge : Des ateliers vont passer en 3/8
La réalisation des PSIM apportera une charge de travail supplémentaire à DCNS, qui va tourner à plein régime pendant plus d’un an. « Avec la corvette, qui s’ajoute aux FREMM en cours de construction pour la Marine nationale, l’outil de production va être saturé et des ateliers vont passer en 3/8 ». Alors que la deuxième FREMM française, la Provence, doit être livrée en juin, la troisième unité de la série, la Languedoc, est en achèvement en vue d’une première sortie à la mer en fin d’année. Viennent ensuite les Auvergne et Bretagne, en cours de construction. Et, compte tenu de la vente de la Normandie à l’Egypte, il va falloir réaliser une frégate supplémentaire pour la France, ce qui implique une accélération de la cadence de production pour parvenir à une cible de 6 FREMM françaises livrées d’ici 2019. La sixième unité pourrait donc être mise en chantier dès la fin de l’année. Dans ce contexte, l’ajout de la Gowind égyptienne engendre un pic de charge, que le site est en grande partie capable d’absorber en raison des fortes capacités de son outil industriel (qui avait été initialement dimensionné pour produire une FREMM tous les 7 mois). « La construction du patrouilleur hauturier L’Adroit (livré en 2012, ndlr) avait également permis de tester une nouvelle organisation et de nouveaux process pour gagner en efficacité et tester une production rapide. Et nous utilisons aujourd’hui le retour d’expérience de L’Adroit ».

L'atelier de découpe des tôles (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Renforts d’autres sites et sous-traitance de blocs chez Piriou
Pour ce qui est des effectifs, le pic de charge étant immédiat mais temporaire, l’entreprise n’a pas, faute de visibilité à plus long terme, souhaité embaucher. Le site de Lorient, sur lequel travaillent 2000 collaborateurs de DCNS et un millier de sous-traitants, va donc recevoir des renforts d’autres établissements pour muscler ses équipes. «Nous avons fait appel à des compétences internes. Cherbourg nous envoie une dizaine de personnes et environ 25 collaborateurs de Brest vont nous rejoindre ». Compte tenu de la rapidité avec laquelle le bâtiment égyptien doit être construit, ces dispositions ne sont toutefois pas suffisantes pour réaliser dans les temps impartis l’ensemble de la coque. « Il restait l’équivalent de deux blocs, soit environ 20% du travail en coque métallique. Nous avons donc décidé de sous-traiter cette partie et il y a eu une mise en compétition de Piriou et STX Lanester ». C’est finalement le chantier de Concarneau qui a emporté la mise.

La FREMM Normandie (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
L’équipage égyptien de l’ex-Normandie en formation
En plus des Gowind, Le Caire a donc acheté une frégate multi-missions (FREMM) et, compte tenu du souhait de l’Egypte de disposer de cette unité dès cet été, il a été décidé en février de lui transférer la Normandie, qui devait être livrée à la marine française. Long de 142 mètres pour un déplacement de 6000 tonnes en charge, le bâtiment est actuellement à Lorient pour être mis aux standards égyptiens, notamment en matière d’électronique et de communications. Les lanceurs Sylver A70 (conçus pour les missiles de croisière) qui équipaient la Normandie dans sa configuration française ont également été débarqués, la frégate ne conservant que deux lanceurs Sylver A43 pour la mise en œuvre de 16 missiles surface-air Aster 15. Si elle le souhaite, l’Egypte pourra ultérieurement doubler la dotation en Aster en récupérant l’espace des Sylver A70.

L'ex-Normandie hier à Lorient (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le reste des grands équipements demeure inchangé, avec notamment 8 Exocet MM40, une tourelle de 76mm, deux canons de 20mm, des tubes lance-torpilles, un sonar de coque UMS 4110 et un sonar remorqué Captas 4, ainsi qu’un radar multifonctions Herakles. Une centaine de marins égyptiens ont rejoint Lorient pour se former, avec des cours en salle et sur simulateur avant de prendre en main leur future frégate, à terre puis en mer. L’objectif est une livraison de la FREMM égyptienne à l’été en vue de sa participation à la cérémonie marquant la fin des travaux d’élargissement du canal de Suez.

L'amiral Kamal Gamal (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
« La marine égyptienne va franchir un nouveau cap »
« Avec ces bâtiments, la marine égyptienne, qui va se doter de quatre corvettes et une FREMM, qui est la frégate la plus moderne et sophistiquée du monde, va franchir un nouveau cap », a déclaré hier, lors de la cérémonie de découpe de première tôle de la première Gowind, l’amiral Kamal Gamal, en charge du programme pour la marine égyptienne. En effet, grâce aux cinq bâtiments commandés à la France, l’Egypte va moderniser de façon spectaculaire sa flotte, qui va disposer des unités de combat les plus modernes et puissantes de la région. Des outils qui vont lui permettre de réaffirmer sa puissance navale et de disposer des moyens permettant d’assurer la sécurité de ses eaux et du trafic maritime, non seulement dans les approches de Suez, mais aussi en mer Rouge et jusqu’à la corne d’Afrique, passage obligé vers le canal ou en provenance de celui-ci. Preuve du caractère stratégique de cette zone pour l’Egypte, celle-ci y a d’ailleurs déployé plusieurs bâtiments suite à la dégradation de la situation au Yémen.

Cérémonie de découpe de la première tôle (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

L'amiral Kamal Gamal lance le processus de découpe (© : DCNS)

Découpe de la première tôle (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Découpe de la première tôle (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Découpe de la première tôle (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

La maquette dévoilée (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Cérémonie de découpe de la première tôle (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Cérémonie de découpe de la première tôle (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

La délégation égyptienne (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)