(Suite et fin de notre reportage sur le stage de sélection des futurs commandos marine) Un grand silence règne sur les vieilles bâtisses de la "base fusco" de Lorient. Sur les murs, des flèches rouges et des flèches vertes. « Rouge, c'est pour le parcours assaut, vert c'est pour le parcours commando», chuchote un des instructeurs. Deux parcours que la trentaine de candidats rescapés du stage commando connaissent bien. Ils les ont franchis plusieurs fois durant les premières semaines de leur sélection. Des parcours d'agilité et d'endurance dans lesquels il faut lancer des grappins, grimper à la corde, ramper dans des boyaux, franchir des échelles, courir sur des poutres, sauter par-dessus des barbelés, descendre en rappel dans une cuve et se jeter dans l'eau froide d'une autre en attrapant une perche métallique suspendue dans le vide. Le tout en courant, avec un sac et le fusil, et dans un temps limité évidemment. « S'ils sont encore là, c'est qu'ils ont réussi à franchir les parcours individuellement de manière satisfaisante. Maintenant ce que nous voulons voir, c'est s'ils sont capables de les franchir en groupe et en situation opérationnelle ». (© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ) Réfléchir vite et ensemble Deux équipes sont formées. Les stagiaires sont équipés en configuration opérationnelle avec des sacs de 20 kg et des casques lourds. Ils vont devoir progresser ensemble le long du parcours qui se trouve désormais en milieu hostile. Des tireurs embusqués sont placés le long du parcours. Il va donc falloir passer les différents obstacles en prenant soin de surveiller le groupe et de le couvrir en permanence. En bas du mur, la douzaine de membres de l'équipe alpha se concertent à voix basse. Un chef et un second ont été désignés. Ils vont devoir veiller à la coordination de l'ensemble de la manoeuvre. Ils connaissent tous les obstacles, ils essaient de savoir comment ils pourront désormais les franchir en groupe, en silence et avec un sac lourd et encombrant. Les instructeurs commandos leur laissent un peu de temps. Ils sont satisfaits de leurs comportements. « Ils ont compris l'enjeu de l'exercice, ils sont attentifs et réfléchissent vite et ensemble. C'est ce que nous voulons voir. » (© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ) Le jet de grappin est désormais assuré. Le premier passe le parapet, il se poste aussitôt en protection, rapidement suivi par un second, puis un troisième. La zone est sécurisée, le chef de groupe rejoint ses hommes et leur indique comment il va falloir progresser vers le prochain obstacle. Les sacs sont montés, suivis des derniers membres du groupe. Les instructeurs surveillent attentivement le positionnement de chacun. Le groupe s'engage le long d'un mur en file indienne. Puis s'immobilise, ça bloque à l'avant, devant l'obstacle suivant, une descente à la corde. « Stop ! Pourquoi tout le monde est dans la même zone ? Là, c'est bien vous êtes tous collés les uns aux autres, tout le monde peut se faire tirer dessus en même temps, l'ennemi n'a même pas à se creuser la tête. Séparez vous, le chef à l'avant avec un groupe, le second à l'arrière pour sécuriser. Allez. » Le jeune chef d'équipe est concentré. Ses premiers hommes descendent à la corde. Il a pris l'initiative de passer une corde dans la lanière des sacs pour aider à la descente en soulageant un peu les hommes du poids de leur sac. « C'est une très bonne idée mais il ne déroule pas la corde comme il faut. Il tire trop dessus, il porte l'homme et le sac et ça ne sert à rien. Il faut soutenir le sac pas empêcher le bonhomme de descendre ». Le commandant du stage va corriger lui-même cette erreur. Mais le ton est beaucoup plus celui du conseil que de la sanction. L'ambiance a changé au stage commando. Et même si les remontrances sont encore nombreuses, l'esprit de corps est en train de se former. « Ils ne sont pas encore des nôtres, mais on sent maintenant qu'ils pourraient le devenir ». Et ça leur fait plaisir à ces rudes bérets verts. (© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ) « Stop, vous êtes tous morts » L'équipe alpha sort du boyau et se faufile dans les feuilles mortes. Tout autour de leur chemin, il y a des bosquets et des arbres. Le chef et le second désignent des postes à leurs hommes. Tapis derrière des racines ou des rochers, ils sécurisent la progression de leur équipe. Tout le monde est sorti du boyau, le prochain obstacle est loin. Il va falloir marcher plusieurs centaines de mètres sur un chemin découvert. Une première partie du groupe ouvre la marche, une deuxième au milieu, la troisième pour couvrir l'arrière. Ils se relaient pour protéger la progression. Et puis d'un coup, la sanction tombe. « Stop. Vous êtes tous morts. » Dans les arbres, en hauteur, une image en carton figure un tireur. Personne ne l'a vu. « Vous saviez que vous étiez en zone hostile et vous n'avez pas pris le temps d'observer votre environnement. C'est mauvais. Très mauvais. Maintenant vous y retournez, marche arrière, vous me refaites tout depuis le début. Allez. » Les instructeurs secouent la tête. « Evidemment, ils ne sont pas encore en formation commando, on ne leur a pas encore appris toutes nos techniques. Mais il faut qu'ils apprennent à être plus attentifs et plus réactifs. Action, réaction, sinon ça peut être fatal. » (© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ) Les heures passent sur le parcours commando. L'équipe alpha a réussi à franchir les tireurs embusqués. Elle se trouve maintenant au pied du mur breton. Le fameux mur breton. Un peu plus de deux mètres de haut derrière une fosse remplie d'eau boueuse. Celui que ne le franchit pas ne peut pas devenir commando. Trois pas d'élan, un grand saut, un pied d'appui au milieu du mur, et ne pas rater le sommet du mur. Le chef de groupe et un autre homme sont debout dessus. Ils aident le groupe à passer l'obstacle et hissent les sacs. Tout cela se fait en silence. Les gestes sont précis, l'ensemble est bien huilé. Pas de super-héros ni de gros bras frimeurs Les instructeurs ne regardent plus vraiment leurs feuilles de notes. Ils les connaissent par coeur leurs stagiaires. Et puis on n'en est plus vraiment là. Maintenant, c'est plus une affaire d'hommes et d'état d'esprit. « Etre commando, c'est un métier. C'est un métier exigeant, qui nous éloigne de nos familles une bonne partie de l'année. C'est un métier où l'on prend des risques, même si nous nous entraînons en permanence pour en prendre le moins possible. Mais cela reste une partie intégrante de notre vie professionnelle. Etre commando, c'est un engagement. Pas toujours facile à prendre et pas toujours facile à assumer, mais essentiel pour savoir pourquoi nous faisons ce métier. C'est pour cela que nous sommes aussi attentifs aux jeunes que nous recrutons. Nous ne voulons pas de têtes brûlées, pas de super héros, pas de gros bras qui font ça pour la frime. Ces gars-là ne viennent pas pour les bonnes raisons et sur un théâtre d'opération, cela se verra tout de suite. Nous voulons des gars qui s'engagent pour autre chose qu'un ego ou qu'un prestige quelconque que leur apporterait un béret vert. » Devenir béret vert La sélection est finie. 24 marins sont alignés devant les bérets verts. 24 gars qui ont souffert pendant quatre semaines, qui ont eu froid, faim et sans doute peur. 24 gars qui ont réussi à tenir, un peu de chance et beaucoup de volonté. Pas mal dans les jambes mais surtout beaucoup dans la tête. 24 gars qui ont appris qu'on ne pouvait pas réussir tout seul et qu'il fallait toujours regarder autour de soi. La semaine prochaine, ils vont retourner dans leurs unités d'origine. Ils effectueront leur débarquement pour pouvoir rejoindre leur nouvelle unité, l'école commando. Et dans une dizaine de jours, c'est la formation menant au brevet élémentaire commando qu'ils vont commencer. Sept semaines de formation intensive aux techniques commandos. Et au bout, si tout va bien, ils pourront enfin l'avoir, ce béret. Badge à gauche, penché vers la droite, en souvenir de leurs illustres anciens formés dans le camp écossais d'Achnacarry. Ils seront bérets verts. Commandos marine. (© : MARINE NATIONALE)

© MER ET MARINE - FRANCOIS LEPAGE