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La Force océanique stratégique célèbre ce mois-ci un triple anniversaire : les cinquante ans du lancement du Redoutable, tout premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins français, le 29 mars 1967, les 45 ans de l’accomplissement de la première patrouille de ce même bâtiment, qui a validé la création de la FOST et les 20 ans de la mise en service de son successeur, Le Triomphant.

 

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© MARINE NATIONALE

SNLE du type Le Redoutable (© MARINE NATIONALE)

 

Le 21 mars 1972, Le Redoutable rentrait à Brest à l'issue de sa première patrouille de dissuasion, débutée le 28 janvier précédent. Près de deux mois passés sous l’eau, vers le Grand Nord, qui ont marqué l’entrée de la France dans le club très fermé des nations disposant de sous-marins équipés de missiles nucléaires (voir notre article sur l'histoire du Redoutable). Depuis plus de quatre décennies, la FOST compte en permanence au moins un SNLE à la mer, avec pour objectif de dissuader tout Etat de s’en prendre aux intérêts vitaux de la France, sous peine d’une riposte massive aux conséquences désastreuses. Outil de puissance par excellence, la dissuasion a pour but d’assurer la protection du pays contre une attaque majeure, mais aussi son indépendance stratégique et sa liberté d’action sur la scène internationale, où cette capacité lui offre un rôle singulier.

Un outil toujours pertinent

Si la Guerre Froide, avec laquelle il est né, n’est plus d’actualité, la prolifération des armes nucléaires et la réémergence d’Etats-puissances au comportement agressif conservent à l’arsenal nucléaire français, dans un monde à l’instabilité croissante, toute sa pertinence. Les efforts très importants consentis par la France dans sa dissuasion lui ont, de plus, permis de développer des technologies de pointe et de maintenir une souveraineté industrielle dans de nombreux domaines (construction navale, électronique, navigation, missiles…) avec des retombées sur bien des secteurs, militaires comme civils.

 

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© Wikimedia - Alf van Beem

Système Pluton (© WIKIMEDIA - ALF VAN BEEM)

Le plateau d’Albion et la force tactique nucléaire

Pour mémoire, la dissuasion française reposait initialement sur trois composantes. L’une d’elles, terrestre, a aujourd’hui disparu. Elle comprenait deux capacités. La première était constituée du plateau d’Albion, dans le Vaucluse, un site de lancement comprenant 18 missiles balistiques S2 puis S3, ce dernier étant doté d’une tête nucléaire TN 61 de 1.2 mégatonne ayant une portée de 3500 kilomètres. Opérationnel en 1971, le plateau d’Albion, dépendant de l’armée de l‘Air, restera en service jusqu’en 1996, année où Jacques Chirac, alors président de la République, décide de démanteler le site, dont les missiles devaient être remplacés par une version terrestre du M45 développé pour les SNLE du type Le Triomphant. La force nucléaire tactique, opérée par l’armée de Terre, fut également abandonnée en 1996. Elle avait été créée en 1974 pour offrir une capacité préstratégique dont l’objectif était, en cas de tentative d’invasion par les forces du pacte de Varsovie, de délivrer un ultime avertissement avant le déclenchement d’une riposte atomique massive. Elle reposait sur le missile Pluton, logé dans un lanceur mobile installé sur un châssis de char AMX-30. D’une portée de 120 km, le Pluton emportait une ogive AN-51 d’une puissance de 10 à 25 kilotonnes. Il fut remplacé en 1991 par le système Hadès, encore plus mobile, avec un camion équipé de deux missiles dotés d’une tête TN 90 (80 Kt) et pouvant atteindre des cibles situées à près de 500 kilomètres. Seules une quinzaine de plateformes Hadès furent réalisées avant l’abandon de la force tactique terrestre.

Depuis 20 ans, la France, qui a cessé ses essais nucléaires (remplacés par des outils de simulation) et démantelé ses installations militaires de production de matière fissile a, en matière de dissuasion, adopté le concept de « juste suffisance ».

Un arsenal ramené à 300 têtes et deux composantes

Son arsenal repose aujourd’hui sur 300 têtes nucléaires (contre 500 dans les années 90), réparties sur deux composantes complémentaires, l’une océanique avec les SNLE et l’autre aéroportée. Cette dernière comprend tout d’abord les Forces aériennes stratégiques (FAS), qui constituent historiquement la première composante de la dissuasion française puisqu’elles ont été créées dès 1964 avec des Mirage IV armés de bombes AN-11 (60 Kt). Aujourd’hui, l’armée de l’Air mobilise au profit des FAS deux escadrons (en 2016 un total de 53 avions, dont 22 Rafale Air biplaces et 31 Mirage 2000 biplaces) basés dans l'est de la France (près de Saint-Dizier, Haute-Marne) et le sud-est (près d'Istres, Bouches-du-Rhône). Ils sont appuyés par des ravitailleurs KC-135. La composante aéroportée est complétée par la Force aéronavale nucléaire (FANu) embarquée sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, avec une dizaine de Rafale Marine monoplaces de la base d’aéronautique navale de Landivisiau, située en Bretagne (Finistère). Comme leurs homologues de l’armée de l’Air, ces appareils mettent en œuvre le missile ASMPA, d’une portée de plus de 500 km et doté d’une tête TNA de 300 kilotonnes.

 

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© ARMEE DE L'AIR - JL BRUNET

Rafale, Mirage 2000 et KC-135 des FAS (© ARMEE DE L'AIR)

Prouesse technologique

Créée officiellement le 1er mars 1972, la FOST fut donc chronologiquement la troisième composante de la dissuasion, et aussi celle qui rassemble la force de frappe la plus conséquente. Elle repose sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, considérés technologiquement comme les équipements les plus complexes conçus et réalisés par l’homme. En effet, il s’agit à la fois de concentrer sur un même bateau, aux dimensions contraintes, une centrale nucléaire fournissant l’énergie du bord et permettant une grande autonomie en plongée, ainsi qu’une plateforme de lancement de missiles à longue portée s’apparentant à de petites fusées. Le tout, avec des exigences extrêmement élevées en matière de discrétion acoustique et la capacité d’évoluer à grande profondeur en toute sécurité. Un SNLE constitue donc une prouesse technologique considérable qu’une poignée de pays seulement maîtrisent parfaitement.   

 

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© MARINE NATIONALE

Le SNLE L'Inflexible (© MARINE NATIONALE)

Près de 500 patrouilles pour 10 SNLE

Dix SNLE ont jusqu’ici été réalisés pour la Marine nationale, qui a assuré depuis la création de la FOST 491 patrouilles. La première génération a compté six sous-marins : Le Redoutable (1971-1991), Le Terrible (1973-1996), Le Foudroyant (1974-1998), L’Indomptable (1976-2005), Le Tonnant (1980-1999) et L’Inflexible (1985-2008). Armés par un équipage de 135 hommes, ces bâtiments de 128 mètres de long et 9000 tonnes en plongée pouvaient mettre en œuvre 16 missiles balistiques, d’abord des M1 puis M2, M20 et enfin M4 (L’Inflexible étant équipé dès l’origine du M4, que Le Redoutable ne reçut pas). D’un poids de 35 tonnes, les M4 pouvaient emporter chacun 6 têtes nucléaires de 150 Kt, soit une puissance représentant près de 1000 fois la bombe lancée en 1945 sur Hiroshima (environ 15 Kt). La portée des M4 était de 4000 à 5000 kilomètres.

Les études pour le remplacement des Redoutable ont débuté dès les années 80, le programme devant initialement comprendre six SNLE de nouvelle génération. La chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’Union soviétique entrainèrent toutefois une réduction du format à quatre sous-marins seulement, soit le strict minimum pour assurer la permanence de la dissuasion océanique avec au moins un bâtiment en patrouille pendant que les autres sont en entretien, en réparation ou en entrainement.

 

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© DCNS

Le Terrible avant sa sortie du hall de construction de Cherbourg (© DCNS)

 

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© NAVAL GROUP

Le Terrible avant sa mise à l'eau en 2008 (© DCNS)

 

Tête de série du programme SNLE NG, Le Triomphant a été mis sur cale en juin 1989 dans un tout nouveau chantier édifié à Cherbourg par DCNS (alors Direction des Constructions et Armes Navales, service du ministère de la Défense). Mis à l’eau en mars 1994, il a été admis au service actif trois ans plus tard, en mars 1997. On ensuite suivi Le Téméraire, opérationnel en décembre 1999, Le Vigilant (novembre 2004) et Le Terrible (septembre 2010). Plus grands, plus silencieux, plus puissants et plongeant plus profondément que leurs aînés grâce à un nouvel acier à haute limite élastique supportant des contraintes bien supérieures, ces sous-marins de 138 mètres de longs et 14.300 tonnes de déplacement en plongée sont armés par 111 marins. Ils ont, pour les trois premiers, débuté leur carrière avec 16 missiles M45. Puis ils ont été mis au niveau du Terrible, équipé dès sa sortie d’un nouveau système de combat, de senseurs plus performants - notamment une nouvelle suite sonar - et du dernier missile balistique français, le M51.

 

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© DGA

Tir de missile M51 par un SNLE (© DGA)

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© DGA

Missile M51 (© DGA)

 

Pesant 56 tonnes, ce missile intercontinental, d’une portée d’environ 9000 kilomètres, est aujourd’hui équipé des nouvelles têtes nucléaires TNO (version M51.2), entrées en service en 2016 et succédant aux TN75. Alors que la refonte du Vigilant s’est achevée en 2013 et celle du Triomphant en 2016, Le Téméraire a débuté son chantier de modernisation en septembre dernier et devrait reprendre son cycle opérationnel en 2018.

Comme les Redoutable avant eux, les actuels sous-marins de la FOST sont basés à l’Ile Longue, face à Brest, qui a été construite spécialement pour abriter et soutenir les SNLE et leurs missiles, et qui a elle-aussi bénéficié d’une rénovation avec l’arrivée du M51.

 

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© MARINE NATIONALE

SNLE en cale sèche à l'Ile Longue (© MARINE NATIONALE)

 

Une troisième génération dans les années 2030

Pour la suite, alors que la sous-marinade française doit connaître cette année une petite révolution humaine avec l’embarquement de premiers officiers féminins sur SNLE, les études en vue du remplacement des Triomphant ont déjà débuté. Equipés d’une nouvelle évolution du M51, qui sera encore amélioré au milieu des années 2020 (M51.3) pour déjouer les systèmes de défense antimissiles balistiques les plus élaborés, les SNLE de troisième génération auront des dimensions équivalentes aux sous-marins actuels. Ils bénéficieront de dernières avancées technologiques, notamment en matière de discrétion acoustique et de capacités de détection sonar. Il conviendra aussi de traiter l'éventuel problème de la détection potentielle, à l’avenir, des émissions pourtant extrêmement faibles de particules par les réacteurs des bâtiments.

La construction du premier des quatre SNLE 3G débutera au cours de la prochaine décennie en vue d’une mise en service au début des années 2030, sachant qu’il faut environ 10 ans pour construire un tel bâtiment.

 

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© MARINE NATIONALE

SNLE escorté par une frégate anti-sous-marine (© MARINE NATIONALE)

Une crédibilité qui passe aussi par le reste de la flotte

On notera enfin que la crédibilité des SNLE repose non seulement sur leur « invulnérabilité », c’est à dire leurs qualités intrinsèques dont la discrétion est la principale caractéristique, mais aussi sur leur protection lors des phases « critiques » de la mission, à savoir les départs et retours de patrouilles. Il faut en effet s’assurer, lors des transits sur le plateau continental, qu’aucun intrus ne tente de pister et suivre les SNLE quittant l’Ile Longue ou revenant vers leur tanière bretonne. Pour cela, d’importants moyens sont mobilisés, avec plusieurs couches de protection assurées par les frégates de lutte anti-sous-marine et leurs hélicoptères embarqués, les avions de patrouille maritime et les sous-marins nucléaires d’attaque. Ils sont chargés de « blanchir  » une large zone afin de s'assurer qu'aucune unité étrangère ne se trouve à proximité. 

 

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S’y ajoutent, pour vérifier la sûreté des chenaux et approches maritimes, les moyens de guerre des mines. De la performance de ces différentes composantes et des équipages qui les mettent en œuvre dépend la crédibilité de la dissuasion qui, en fait, conditionne pour l’essentiel le dimensionnement de la flotte française, tirée comme l'armée de l'Air vers le haut du fait des exigences de cette mission. La Marine nationale considère, par exemple, que six SNA est le seuil minimal permettant notamment de disposer d’un vivier suffisant de sous-mariniers pour renouveler les équipages des SNLE.

 

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© MARINE NATIONALE - ALAIN MONOT

(© MARINE NATIONALE)

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