Trois lots de 16 missiles balistiques pour les sous-marins et 54 vecteurs aéroportés, avec en tout 300 têtes nucléaires. Hier, sur la base aérienne 125 d’Istres, le président de la République a détaillé les moyens des forces nucléaires françaises. Et il a appelé les autres nations nucléaires à faire preuve de la même transparence en précisant les volumes dont elles disposent pour chaque catégorie d’armes. François Hollande les a également appelées à suivre l’exemple de la France en cessant la production de matières fissiles ainsi que les essais nucléaires, auxquels se sont substitués des outils de simulation.
« Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé »
Ces déclarations sont intervenues au cours d’un discours consacré à la dissuasion, exercice que réalise au moins une fois dans son mandat chaque président de la République. Il s’agit notamment de confirmer ou infléchir la doctrine et la posture françaises en la matière. En l’espèce, il n’y a guère d’évolution. « Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé », a dit président, insistant sur le fait que « la réapparition d’une menace étatique majeure ne peut être exclue » et assurant que « dans un monde dangereux, et il l’est, la France n’entend pas baisser la garde ».
Rappelant qu’elle n’avait « pas sa place dans une stratégie offensive » mais demeure un outil purement défensif visant « à protéger notre pays de toute agression étatique contre ses intérêts vitaux », François Hollande considère que la dissuasion assure au pays « sa liberté d’action et de décision en toute circonstance », tout en servant à « garantir les engagements internationaux de la France ». Le chef de l’Etat, qui a redit sa conviction que la force de frappe nucléaire constitue « la garantie ultime de notre sécurité », a aussi fait comprendre, en filigrane, que cette capacité permet à la France, malgré un poids économique décroissant, de rester dans le club des grandes puissances et de peser sur les affaires du monde. « La France est l’un des rares pays au monde dont l’influence et la responsabilité se situent justement à l’échelle planétaire. Parce que la France peut exercer ses responsabilités. Parce que chacun sait que lorsque la France parle, elle peut passer à l’acte. Et les forces de dissuasion permettent de garantir que les engagements internationaux de la France seront toujours honorés, même si l’emploi de l’arme nucléaire n’est concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense ».

François Hollande hier à Istres (© PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE - P. SEGRETTE)
Frappes massives et avertissement nucléaire
Le président a, par ailleurs, confirmé la possibilité de mener en cas de besoin une frappe limitée, ce qu’avait évoqué pour la première fois Jacques Chirac en 2006 et que Nicolas Sarkozy avait appelé l’ « avertissement nucléaire » deux ans plus tard. Rappelant que l’arme atomique permettait d’ « infliger des dommages inacceptables à un adversaire dans ses centres névralgiques, c'est-à-dire politiques, économiques et militaires », François Hollande a lui-aussi décidé de se ménager une certaine marge de manœuvre. « Je ne peux exclure qu’un adversaire se méprenne sur la délimitation de nos intérêts vitaux. C’est pourquoi je veux rappeler ici, que la France peut, en dernier ressort, marquer sa volonté à défendre nos intérêts vitaux par un avertissement de nature nucléaire ayant pour objectif le rétablissement de la dissuasion ». Le président a, toutefois, réaffirmé que « la France n’utilisera pas d’armes nucléaires contre les Etats non dotés de l’arme nucléaire, qui sont parties au Traité de non-prolifération et qui respectent leurs obligations internationales de non prolifération des armes de destruction massive ».

Tir d'un M51 depuis un SNLE (© MARINE NATIONALE)
Un parapluie pour l’Europe
Concernant les intérêts vitaux de la France, François Hollande s’est comme son prédécesseur bien gardé de les détailler précisément. Toutefois, il a insisté sur le fait que leur définition « ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire ». Une conception que la France partage avec le Royaume-Uni, seul autre pays européen à disposer d’une force de dissuasion, et qui vise notamment la protection de l’Europe. « Nous participons au projet européen, nous avons construit avec nos partenaires une communauté de destin, l’existence d’une dissuasion nucléaire française apporte une contribution forte et essentielle à l’Europe. La France a en plus, avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait donc croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ? ».
Même si la France conserve sa totale liberté d’appréciation et d’action quant à sa dissuasion, y compris au niveau de l’Alliance atlantique - « la France ne participera pas aux mécanismes de planification nucléaire de l’OTAN » - le président considère qu’elle « va de pair avec le renforcement constant de l’Europe de la Défense ». Un rappel qui intervient, il faut le noter, au moment où Paris demande à ses partenaires européens de ne pas laisser la France assumer seule, ou presque, la défense collective. « Nous sommes 28 Etats au sein de l’Union européenne, mais combien sommes-nous à prendre réellement part à la résolution des crises dans notre voisinage ? Le fardeau de la sécurité européen n’est pas équitablement réparti. La France continuera à y prendre sa part, mais seulement une part. Nous attendons que nos partenaires soient également au rendez-vous », a ainsi déclaré hier Jean-Yves Le Drian à Riga, en Lettonie, lors d’une réunion informelle des ministres européens de la Défense.

Rafale Air et Mirage 2000N avec ASMPA ravitaillés par un C-135 (© ARMEE DE L'AIR)
Deux composantes complémentaires
Pour en revenir à la dissuasion nucléaire, François Hollande en a donc confirmé hier la doctrine, comme les moyens. Il n’y aura pas de remise en cause des deux composantes, l’une océanique et l’autre aéroportée. « Aucune n’est dédiée à l’atteinte d’un objectif qui lui serait propre. Toutes deux concourent à l’ensemble des missions de la dissuasion et c’est leur complémentarité qui permet au chef de l’Etat de disposer, à tout moment, de la gamme d’options nécessaires et suffisantes et de ne jamais être tributaire d’un seul type de moyens », a expliqué le président, qui a explicité sa pensée : « La composante océanique, par la permanence à la mer de nos sous-marins, leur invulnérabilité, la portée des missiles, constitue un élément clé de la manœuvre dissuasive. Puisqu’un agresseur potentiel, tenté d’exercer un chantage contre la France, doit avoir la certitude qu’une capacité de riposte sera toujours opérationnelle et qu’il ne pourra, ni la détecter, ni la détruire. C’est l’intérêt, l’utilité de la composante océanique. La composante aéroportée assure également la permanence de la dissuasion avec les forces aériennes stratégique. A leur côté, la force aéronavale nucléaire, mise en œuvre depuis le porte-avions Charles de Gaulle, offre d’autres modes d’actions. La composante aéroportée donne, en cas de crise majeure, une visibilité à notre détermination à nous défendre, évitant ainsi un engrenage vers des solutions extrêmes. Voilà l’intérêt des deux composantes, si je puis dire une qui ne se voit pas et une autre qui se voit ».

Missile balistique M51 (© DGA)
Mise en service de la TNO à partir de 2016
Concernant les moyens mis en œuvre par la Marine nationale et l’armée de l’Air, François Hollande a confirmé leur modernisation. Alors que les deux escadrons des FAS (qui en comptaient trois jusqu’en 2008) verront leurs derniers Mirage 2000N remplacés en 2018 par des Rafale, le président a annoncé que la mise en service de la nouvelle tête nucléaire océanique, dont les premiers exemplaires sont normalement livrables cette année, doit intervenir « à partir de 2016 ». D’une puissance de 100 kilotonnes, la TNO sera déployée sur les missiles M51 équipant ou allant équiper les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la Force océanique stratégique (FOST).
Modernisation de la FOST
Pour mémoire, Le Terrible, opérationnel depuis 2010, a été le premier à disposer de ce nouveau missile balistique intercontinental, dont la portée est donnée à 9000 kilomètres. Les trois premiers SNLE de la série, Le Triomphant, Le Téméraire et Le Vigilant, respectivement livrés en 1997, 1999 et 2004, avaient alors des M45 pouvant mettre en œuvre, chacun, jusqu’à six têtes TN 75 de 110 kilotonnes. Ces sous-marins sont progressivement portés aux standards du Terrible dans le cadre d’une importante refonte achevée en 2013 sur Le Vigilant et qui doit se terminer fin 2015 pour Le Triomphant. Ce sera alors au tour du Téméraire d’être modernisé pour un retour en flotte prévu d’ici 2018.
Pour mémoire, ces bâtiments de 138 mètres de long et 14.000 tonnes de déplacement en plongée embarquent chacun 16 missiles, soit une force de frappe pouvant atteindre 96 têtes nucléaires pour une puissance globale équivalente à 640 (TNO) ou 700 (TN75) fois la bombe Hiroshima (15 kilotonnes). Au moins l’un de ces SNLE est en en patrouille à la mer, assurant la permanence de la composante océanique de la dissuasion.

SNLE du type Le Triomphant (© MARINE NATIONALE - A. MONOT)
Les études des futurs SNLE se poursuivent
François Hollande a, par ailleurs, rappelé que la Loi de Programmation Militaire, qui couvre la période 2014-2019, intègre la poursuite des études sur ce que l’on appelait auparavant le Futur Moyen Océanique de Dissuasion (FMOD) et qui donnera naissance aux SNLE de troisième génération (SNLE 3G). Pour l’heure, DCNS mène une activité soutenue d'études amont dans ce domaine. Ces travaux orientés et financés par la Direction Générale de l’Armement rassemblent des études d'architecture du navire armé (avant-projet sommaire et variantes) destinées à préciser le design du SNLE 3G répondant le mieux aux objectifs militaires et budgétaires du programme. Dans le même temps, DCNS mène des études technologiques destinées à permettre la montée en maturité de technologies innovantes nécessaires à l'atteinte des performances ambitieuses des futurs SNLE français.
Alors que le remplacement des Triomphant doit débuter vers 2030, les études sur les SNLE 3G doivent se poursuivre, à partir de 2016, par des études plus approfondies (avant-projet détaillé) préparant les phases ultérieures du développement et de la réalisation du premier sous-marin. « Ces études et leur continuité sont indispensables pour la montée en puissance des équipes de conception et de réalisation des SNLE. Elles concourent à la fois au maintien des compétences critiques de DCNS dans le domaine de la dissuasion et au dérisquage du programme, tant au plan technologique qu'au plan de maîtrise de la complexité globale de l'ouvrage », précise-t-on au sein du groupe naval français.
Concernant l’armement des successeurs des Triomphant, François Hollande a précisé hier qu’il avait choisi « de lancer des adaptations futures du missile M51, pour permettre que le tonnage des futurs sous-marins reste très proche de celui nos Triomphant ». Il a, de plus, « donné instruction au Commissariat de l’énergie atomique (CEA) de préparer à échéance de leur fin de vie les évolutions nécessaires des têtes nucléaires. La chaîne d’adaptation de nos forces ne peut être stoppée. Mais je le rappelle solennellement, la France ne produit pas et ne produira pas de nouveau type d’arme nucléaire ».
Rafale Air doté d'un ASMPA (© ARMEE DE L'AIR)
Evolution du missile aéroporté
Concernant la composante aéroportée, le missile ASMPA, déclaré opérationnel en 2009 et dont le dernier lot a été livré fin 2011 par MBDA, voit son stock de 54 vecteurs partagé par les FAS et la FANu. Bien qu’il ait été récemment mis en service, ingénieurs et militaires planchent déjà sur son futur remplaçant. « Des études ont été également réalisées pour explorer ce que pourra être le successeur de l’ASMPA. Les technologies les plus exigeantes seront mises en œuvre pour, en particulier, être encore plus efficaces dans les domaines de la vitesse des matériaux et de la furtivité », a précisé le président de la République.
Pour mémoire, ce missile, qui a succédé à l’ASMP mis en œuvre par les Mirage 2000N et Super Etendard Modernisés (SEM), est doté de la nouvelle tête nucléaire aéroportée (TNA) d'une puissance de 300 kilotonnes. Avec une portée estimée à 500 kilomètres en tir à haute altitude, l’ASMPA est propulsé par statoréacteur, ce qui lui donne une vitesse plus importante, de l'ordre de Mach 3. Capable de voler très bas, il présente des capacités de pénétration et de précision accrues par rapport à son prédécesseur. Ce missile est mis en œuvre par les Mirage 2000N, Rafale Air et Rafale Marine.

Rafale Marine doté d'un ASMPA (© MINISTERE DE LA DEFENSE)
FAS et FANu participent aussi aux missions conventionnelles
Des appareils qui se distinguent par leur polyvalence. Comme leurs homologues de l’aéronautique navale, les avions de l’armée de l’Air ne se contentent plus aujourd’hui de l’alerte nucléaire, ils sont aussi employés pour des missions de combat conventionnelles. « Les chasseurs des Forces aériennes stratégiques ont des capacités que l’on dit duales. Ils ont réalisé, ces avions, environ le quart des frappes effectuées lors des opérations en Libye et au Sahel. Ces mêmes avions à la capacité duale interviennent aujourd’hui en Afrique et en Irak et contribuent tous les jours à l’alerte de défense aérienne ».
Contraintes budgétaires
En matière de coûts, la dissuasion pèsera en 2015 quelques 3.55 milliards d'euros, soit 11% du budget global de la mission Défense et 21% des crédits de paiement alloués aux nouveaux équipements. Il est souvent reproché à la dissuasion d’engloutir une grande partie des capacités financières du ministère de la Défense et, particulièrement en cette période de fortes économies, de le faire au détriment d’équipements conventionnels. François Hollande a tenu à faire une mise au point à ce sujet : « Le contexte budgétaire est contraignant pour toutes les dépenses, y compris pour les dépenses militaires, dans les dépenses militaires, pour toutes les armes. Nous avons néanmoins, dans la loi de programmation, sanctuarisé les crédits qui sont nécessaires, aussi bien pour la force de dissuasion que pour les armements conventionnels. Ceux qui sont chargés de gérer cette dépense liée à la dissuasion ont été amenés à faire des efforts de réalisme, comme les autres, mais sans jamais transiger sur la crédibilité, l’autonomie, la fiabilité, dès lors qu’il s’agit, à travers la force de dissuasion, de la survie et de la souveraineté de la France ».

(© MARINE NATIONALE)
Effet d’entrainement sur l’ensemble de l’armée
Le président a de plus et à juste titre rappelé que la force de dissuasion était non seulement complémentaire aux moyens classiques, mais qu’elle avait aussi, et surtout, un effet d’entrainement sur l’ensemble de l’appareil de défense de la France : « Ainsi, certains moyens qui concourent à la dissuasion sont directement utilisés pour nos opérations conventionnelles ou classiques. Je pense aux satellites de renseignement, aux avions de chasse, aux avions ravitailleurs, aux sous-marins nucléaires d’attaque, aux frégates anti-sous-marine, aux chasseurs de mines ». Une grande partie de l’armée française, notamment la marine, est, en fait, dimensionnée autour de la dissuasion. Et le maintien de sa crédibilité est, in fine, un gage que, malgré les contraintes budgétaires, certaines capacités, servant aussi à toute une panoplie de missions conventionnelles, seront conservées et modernisées, avec des équipements au plus haut niveau technologique.

Le SNLE Le Terrible en achèvement à Cherbourg à la fin des années 2000 (© DCNS)
Les retombées d’une excellence technologique
Le chef de l’Etat a d’ailleurs souligné que la force de frappe nucléaire, mise en place il y a plus de 50 ans, avait aussi permis à la France de disposer non seulement de son autonomie stratégique mais aussi d’une industrie de pointe capable de développer et produire des équipements de référence mondiale. Cela, au profit des industriels de la défense, mais aussi dans le domaine civil, les secteurs de l’aéronautique et du spatial ayant par exemple largement bénéficié des travaux réalisés. « La dissuasion stimule nos efforts de recherche et de développement et contribue à l’excellence et à la compétitivité de notre industrie. C’est parce qu’il y a eu ces recherches qu’il y a eu des innovations. C’est parce que nous avons été capables d’être au plus haut niveau sur le plan de la dissuasion nucléaire, que nous avons pu diffuser, dans l’industrie, des savoir-faire, des technologiques incomparables qui ont été au service de l’économie et donc de l’emploi ».