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Ces dernières années, le leader européen du secteur naval militaire a connu de profondes évolutions. Passé du statut d'administration à celui de société de droit privé en 2003, puis ayant vu son capital s'ouvrir à Thales quatre ans plus tard, DCNS s'est engagé, en 2009, dans un ambitieux plan de développement. Portée par Patrick Boissier, cette stratégie vise à consolider le groupe sur son positionnement historique, dans la perspective d'inéluctables rapprochements européens, tout en profitant des savoir-faire de DCNS pour diversifier l'activité vers de nouveaux horizon. Ainsi, en se lançant notamment sur les énergies marines renouvelables, DCNS n'a plus seulement vocation à aider les marines à sécuriser les océans, mais veut aussi participer à leur valorisation, au moment où les enjeux maritimes reviennent au premier plan des préoccupations économiques et géostratégiques. A l'occasion du salon Euronaval, Patrick Boissier revient avec notre consoeur Catherine Magueur, du Télégramme, sur la stratégieet les perspective de DCNS...

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Vous présentiez il y a trois ans le plan Championship, visant à doubler le chiffre d’affaires de DCNS en 10 ans, tout en réduisant les coûts de 30% sur les 3 premières années. Où en est-on aujourd’hui ?

 

Trois ans après, DCNS est une entreprise qui sait où elle va car nous avons exprimé une vision et nous savons comment la réaliser. Nous avons fait évoluer la raison d’être historique de DCNS, qui consistait à fournir à la Marine nationale les moyens de remplir ses missions. Aujourd’hui, nous avons élargi cette raison d’être dans un contexte qui est celui de la maritimisation du monde, avec l’importance croissante, aussi bien économique que géostratégique, que prennent les océans et en particulier l’intérêt majeur que cela représente pour la France.

Aujourd’hui,  DCNS invente des solutions de haute technologie pour sécuriser  et valoriser les océans. Bien évidemment, la Marine nationale reste notre premier client, celui qui est le plus important pour nous, non seulement en termes de volume d’activité, mais aussi parce qu’en matière de technologie, ses programmes nous tirent vers le haut.

 

Quelle est votre stratégie ?

 

Il y a trois composantes. La première, c’est la croissance car une entreprise qui ne se développe pas est condamnée à disparaitre. Le deuxième volet consiste à améliorer en permanence notre performance pour être au meilleur niveau mondial afin d'offrir à nos clients la meilleure innovation, les meilleurs produits, les meilleurs services avec le respect de la qualité, des délais et des coûts exigés.

Le troisième volet part d’un constat, celui qu’en Europe, l’industrie navale de défense est encore extrêmement fragmentée, que cette situation ne pourra pas durer éternellement et qu’il faudra que, d’une manière ou d’une autre, il y ait des restructurations et des rapprochements. DCNS doit donc se trouver dans la meilleure situation possible pour participer à de futures alliances.

 

La croissance de votre activité est-elle au rendez-vous ?

 

Depuis 2009, l’activité de DCNS n’a cessé de croître : 2.4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009, 2.5 milliards en 2010, 2.6 milliards en 2011 et, pour 2012, même si l’année n’est pas encore terminée, la croissance sera au rendez-vous. Cette croissance, on peut aussi la voir au travers du carnet de commandes qui dépasse 14 milliards d’euros, soit l’équivalent de  cinq années d’activité.

Cette croissance a été réalisée en conservant la Marine nationale comme client premier, mais aussi en nous développant sur le marché international, dont la part est de plus en plus importante. Ainsi, sur les 15 milliards d’euros de contrats signés ces trois dernières années, plus de 55% sont à l’international.

 

Comment parvenez-vous à augmenter la part de l’international ?

 

Nous avons élargi la gamme de produits et de services offerts à nos clients. Historiquement, DCNS réalise des bâtiments de premier rang, comme des frégates et des sous-marins. Avec Championship, nous nous sommes intéressés à un nouveau marché, celui des navires plus petits, qui est plus important en termes de volumes mais plus concurrentiel. Dans cette perspective, nous avons développé la gamme Gowind, allant de l’OPV à la corvette fortement armée. Pour les OPV, le premier patrouilleur du genre, L’Adroit, est désormais en service au sein de la Marine nationale et, pour les corvettes, nous avons récemment conclu un accord pour le design de bâtiments malaisiens.

Dans le même temps, nous avons également élargi notre gamme de services au-delà de la maintenance des navires avec par exemple des programmes de formation ou encore le soutien à la conception de bases navales.

 

Qu’en est-il de la diversification de l’activité de DCNS ?

 

Le développement d’activités connexes est le troisième volet de la croissance, avec pour objectif d’utiliser nos compétences en dehors du naval de défense. Nous avons identifié plusieurs marchés dans l’énergie avec deux applications principales : le nucléaire civil et les énergies marines renouvelables. Nous réalisons aujourd'hui une centaine de millions d’euros dans ces deux activités. Et nous investissons beaucoup en matière de R&D et de réalisation de démonstrateurs comme de prototypes. Pour les EMR, par exemple, nous travaillons sur quatre technologies, l’hydrolien, l'énergie des vagues, l’énergie thermique des mers et l’éolien flottant, avec de nombreux projets en cours. Et nous espérons bien qu’à la fin de la décennie, l’ensemble de nos activités dans l’énergie représentera un tiers du chiffre d’affaires du groupe.

 

Vous prônez également l’amélioration de la performance pour permettre la croissance…

 

Nous avons attaqué ce volet à différents niveaux. Tout d’abord sur la conception de nos plateformes, en travaillant sur des navires plus simples et plus économiques à construire, à tester, à entretenir et à exploiter. Pour cela, nous collaborons étroitement avec nos fournisseurs et sous-traitants, en les associant le plus en amont possible à la définition des navires. Avec eux, nous avons beaucoup travaillé sur le développement de solutions plus standardisées avec, quand cela est possible, le recours à des matériels sur étagère. Et nous avons des résultats spectaculaires puisque, sur certaines fonctions, les coûts ont été réduits de moitié, tout en répondant aux mêmes besoins.

En interne, nous avons également beaucoup œuvré dans nos sites industriels avec une volonté affichée d’améliorer la sécurité de nos collaborateurs, d’abord parce que c’est un impératif mais aussi parce que, lorsque nous travaillons sur la sécurité, nous agissons sur tout le reste. C’est un moyen et une mesure de la performance.

 

La gestion de l’encadrement a, également, profondément évolué chez DCNS…

 

Nous avons, en effet, développé l’orientation managériale de notre encadrement, qui a un rôle technique fondamental. C’est impératif car, si l’on n’est pas capable d’entraîner des hommes et des femmes qui remplissent différents rôles dans l’entreprise et qui sont sa principale richesse, on ne sera jamais efficace.

 

Trois ans après le lancement de Championship, vos objectifs sont-ils atteints ?

 

Ce serait prétentieux de dire cela car, lorsqu’on lance un programme, tout ne se passe jamais exactement comme on l’avait prévu. Il y a des domaines sur lesquels nous avançons moins vite que l’on souhaiterait mais d'autres où nous avançons plus vite. Ce que l’on peut dire c’est que, dans l’ensemble, nous sommes en ligne avec nos objectifs globaux, qu’il s’agisse de croissance ou d’amélioration de la performance. Et je suis confiant dans le fait que notre ambition de doubler notre chiffre d’affaires en dix ans sera atteinte.

 

La période est actuellement difficile pour les finances publiques, qui sont soumises à la rigueur budgétaire. Alors qu’un nouveau Livre Blanc sur la défense se profile, avez-vous des craintes ?

 

Les craintes ne servent à rien. Il y a une chose qui me semble fondamentale, c’est la prise de conscience des enjeux maritimes dans notre pays et des atouts que la France a dans ce domaine. Le concept de maritimisation n’avait sans doute pas assez été pris en compte dans le précédent Livre Blanc, mais nous pensons que cette fois ce sera le cas.

 

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a en tous cas souhaité que les enjeux maritimes aient toute leur place dans le prochain Livre Blanc. Cela vous rassure ?

 

Ce qui nous rend confiants pour l’avenir, c’est l’importance de la maritimisation, qui entraine une augmentation des missions de la Marine nationale, nécessitant d’importants moyens pour les remplir. Nous avons deux grands programmes majeurs, les Frégates européennes multi-missions, et les sous-marins nucléaires d’attaque du type Barracuda. Nous nous félicitons d'ailleurs que le Ministre de la Défense ait confirmé jeudi dernier à Lorient le programme FREMM. Quant aux Barracuda, les 6 ne sont pas encore commandés mais la marine a besoin d’au moins 6 SNA pour assurer ces missions, notamment la dissuasion. A ce propos, le Président de la République a d’ailleurs réitéré l’intangibilité de la dissuasion nucléaire, qui constitue une part importante de notre activité.

 

Vous risquez, en revanche, de subir des contraintes supplémentaires sur les crédits alloués à la maintenance de la flotte. Ces dernières années, DCNS a fait d’importants progrès en la matière. Pouvez-vous allez encore plus loin ?

 

Nous serons soumis à des pressions fortes. Oui, nous avons faits, et nous avons encore à faire, des efforts importants et à améliorer nos performances pour pouvoir remplir cette mission au profit de la marine à moindre coût.

 

Face aux contraintes de coûts, n’êtes vous pas tentés, comme d’autres industries, de délocaliser certaines activités ?

 

Nous nous développons fortement à l’international et cela se traduit par de l’activité en France. Cette activité est d’autant plus importante que l’un de nos leviers d’amélioration de la performance - et là nous contrastons avec la tendance générale – ce n’est pas d’externaliser, ce n’est pas de délocaliser. Nous avons, au contraire, annoncé une démarche inverse, ce que j’ai appelé la « ré-internalisation compétitive ». Nous partons en effet du constat que, si l’on veut être moins cher, on est tenté de confier une partie du travail à des sous-traitants, par exemple dans des pays à bas coûts. Certes, cela réduit le prix de la part que vous achetez, mais, en parallèle, le coût de ce que vous continuez à faire augmente puisque vous amortissez moins bien vos coûts fixes, alors que vous ne pouvez pas embaucher et, par conséquent, vous ne pouvez pas renouveler vos compétences. Donc, nous avons pris le parti inverse et pour améliorer la compétitivité, nous faisons plus de choses en interne sans augmenter nos moyens mais en améliorant notre efficacité. Ce que l’on produit est donc moins cher, on amortit mieux nos coûts fixes, on peut embaucher et renouveler nos compétences. C’est exactement ce que nous faisons.

 

La construction de L’Adroit, un patrouilleur que vous avez réalisé sur fonds propres à Lorient, dans un chantier dédié, est une illustration de cette stratégie…

 

On aurait pu, en effet, se dire que c’était un bateau relativement plus facile à faire et donc que nous pouvions sous-traiter la réalisation de sa coque dans un chantier d’Europe de l’Est. Nous avons préféré le faire à Lorient avec nos moyens industriels. Nous avons complètement réorganisé notre façon de faire, en travaillant étroitement avec les sous-traitants et les fournisseurs, en remettant en cause notre façon de concevoir le navire, en remettant en cause l’organisation du travail et l’organisation du temps de travail, avec la participation du personnel et des partenaires sociaux. Le résultat est là puisque  nous avons construit un bateau 30 à 40% moins cher et nous l’avons réalisé en moins de deux ans, alors que traditionnellement, nous aurions plutôt mis trois ans et demi.

 

Ce concept de ré-internalisation est original dans la période actuelle, tout comme le sont les nombreux recrutements chez DCNS ?

 

Nous assistons à un véritable changement dans l’histoire de DCNS, et avant de DCN, qui au fil des années avait vu ses effectifs décroître fortement. Or, depuis 2009, cette tendance a non seulement cessé, mais les effectifs ont commencé à ré-augmenter. Ainsi, nous allons dépasser cette année les 13.000 collaborateurs et, ce qui est remarquable, c’est que l’essentiel de nos personnels travaille en France.

 

Combien de personnes recrutez-vous chaque année et sur quels types de métiers ?

 

Nous embauchons entre 700 et 800 personnes par an, en partie pour renouveler les départs en retraite, qui sont au nombre de 400 à 500. Depuis cinq ans, notre effectif augmente donc d’environ 300 personnes chaque année. Nous recrutons tous types de métiers. Il y a évidemment des évolutions et nous avons par exemple de plus en plus d’ingénieurs systèmes, mais nous avons toujours besoin de compagnons, capables de réaliser des navires.

J’ajoute que nous souhaitons augmenter le taux de féminisation, qui est aujourd’hui de 20%. Notre objectif est d’embaucher au minimum 25% de femmes chaque année.

 

Parlons maintenant de l’Europe de la défense et du rapprochement de l’industrie navale européenne. On en parle depuis des années, en citant notamment l’exemple d’Airbus dans l’aéronautique, mais rien n’a vraiment bougé. Comment l’expliquez-vous ?

 

Le naval de défense est un domaine dans lequel les rapprochements ne se font pas naturellement, comme dans d’autres métiers. Ailleurs, les entreprises se rationalisent naturellement car elles y ont intérêt. Il y a par exemple des synergies liées à la taille de l’outil industriel, l’effet de série ou encore la reprise de parts de marché ou de marques. Dans l’industrie navale, rien de tout cela ne fonctionne.

Pour autant, si on regarde le panorama mondial de l’industrie navale, nous avons un gros tiers de l’activité aux Etats-Unis, avec un petit nombre d’acteurs, un autre petit tiers en Europe, avec de nombreux acteurs, et beaucoup de nouveaux acteurs, notamment en Asie.

Nous avons donc plus de concurrents à l’international alors que le marché européen se contracte. Dans ce contexte, je pense que l’Europe ne peut plus se permettre de développer simultanément cinq programmes de frégates, trois programmes de sous-marins ou deux programmes de torpilles. Il va falloir que des rapprochements s’opèrent. Ce ne sera pas facile, car encore une fois ce n’est pas naturel. Pour y arriver, il faudra la conjonction d’une volonté industrielle et d’une volonté politique. Nous voulons en tous cas être prêts à évoluer dans ce sens et, pour y parvenir, DCNS doit être dans la meilleure position possible.

 

Voyez-vous des rapprochements à court terme ?

 

Nous nous efforçons de voir dans quels domaines il est possible de faire quelque chose avec d’autres Européens. Nous travaillons actuellement sur le secteur des torpilles, avec les Allemands d’ Atlas Elektronik. J’espère que nous parviendrons, dans ce domaine sensible, à constituer une société commune. Elle serait à 50% française et à 50% allemande, sans volonté hégémonique de part et d’autre. Cela aurait des retombées extrêmement positives pour l’industrie européenne car cette alliance servirait d’exemple.

 

Avez-vous un calendrier pour ce rapprochement franco-allemand sur les torpilles ?

 

Il est difficile d’avancer une date car c’est un dossier complexe dans lequel il faut faire converger les deux parties. Mais les discussions avancent.

 

Des rapprochements franco-français sont ils également à l’ordre du jour, par exemple avec les chantiers  STX France de Saint-Nazaire ?

 

Nous développons des synergies avec  STX France et nous travaillons déjà ensemble sur les grands navires. C’est le cas des bâtiments de projection et de commandement mais aussi pour les futurs bâtiments logistiques de la marine. Nous avons travaillé sur un projet et nous faisons une offre commune pour remplacer les pétroliers-ravitailleurs français.

 

Et concernant les plus petits chantiers ? Ils sont nombreux en France, une restructuration est-elle souhaitable ?

 

Dans le domaine des petits navires, il est vrai qu’il y a beaucoup d’acteurs et, dans le contexte actuel, il est certain que l’on ne pourra pas continuer ainsi. Il faudra bien qu’en France il se passe quelque chose…

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