Si tout va bien, la sous-marinade française comptera, début 2017, les premiers équipages féminisés de son histoire. Il ne s’agit pour le moment que d’une expérimentation à petite échelle, qui sera uniquement menée sur un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE).
Le projet, qui mûrissait depuis plusieurs années, a été officiellement annoncé la semaine dernière par Jean-Yves Le Drian. Ce n’est toutefois pas une décision politique, surfant par exemple sur le principe de parité. L’embarquement de femmes sur les sous-marins français a, en fait, été proposée par l’été-major de la Force océanique stratégique (FOST), qui a soumis le projet au chef d’état-major de la Marine nationale. Ancien sous-marinier, l’amiral Bernard Rogel a validé le dossier, qu’il a présenté au ministre, ce dernier l’ayant accepté.

SNLE du type Le Triomphant (© MARINE NATIONALE)
« Nous y allons pas à pas, prudemment et de manière contrôlée »
La marine française entend prendre tout le temps nécessaire pour mener cette expérimentation dans les meilleures conditions et en dresser le bilan : « Nous y allons pas à pas, prudemment et de manière contrôlée, afin que la greffe prenne ». Le processus va débuter dans les prochains jours avec un appel à candidatures, l’embarquement sur sous-marin étant historiquement basé sur le volontariat. Pour l’heure, seules les femmes officiers pourront postuler. D’ici l’automne, l’état-major devrait avoir une bonne vision du vivier disponible et pourra réaliser la sélection des lauréates. Celles-ci débuteront fin 2014/début 2015 la formation spécifique dispensée aux sous-mariniers, par exemple l’ingénierie nucléaire et les opérations. D’une durée d’un an, la formation doit permettre d'envisager un embarquement d’ici le début de l’année 2017. Les profils recherchés sont plutôt des officiers « séniors », c'est-à-dire ayant un grade de capitaine de corvette ou capitaine de frégate. Cela, afin de pouvoir confier à ces premières femmes sous-mariniers des postes clés, comme ceux de commandant adjoint opérations, commandant adjoint navire ou encore ingénieur chef de quart. Mais aussi officier médical.
En fait, l’EMM aimerait disposer d’un premier noyau de trois femmes, dont un médecin. La Rue Royale estime en effet que cette fonction, notamment dans son aspect de soutien psychologique à l’équipage, se prêterait bien à un SNLE. Sur le plan pratique, le médecin du bord dispose en outre de sa propre cabine. Quand aux deux autres femmes, elles partageraient une cabine double, configuration classique des chambres d’officiers sur ce type de sous-marin. Le chiffre de trois ne doit donc rien au hasard, résultant d’un compromis tenant compte notamment des contraintes de logement. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’expérimentation sera menée sur un SNLE et non un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) du type Rubis, beaucoup plus petit et moins spacieux au niveau des locaux vie.

A bord d'un SNA du type Rubis (© MARINE NATIONALE)
La sélection toute aussi rigoureuse
Ce choix implique néanmoins une sélection extrêmement rigoureuse puisque les SNLE sont le socle de la dissuasion nucléaire française. « Il ne doit pas y avoir de dégradation du niveau professionnel, physique ou psychologique car il y a trop de choses en jeu, à commencer par la survie du bateau et de son équipage, avec en toile de fond la crédibilité de la dissuasion », explique-t-on à l’EMM, où l’on insiste bien sur le fait que cette volonté d’embarquer des femmes sur les sous-marins « n’est pas dogmatique ». En clair, s’il n’y a pas assez de candidates ou si celles-ci ne passent pas les tests d’aptitude, le projet sera ajourné. Il n’y aura pas, assure-t-on à l’état-major, de traitement de faveur au seul motif de vouloir être dans l’air du temps.
Ce pré-requis est donc essentiel pour maintenir le niveau opérationnel du bâtiment, mais aussi pour éviter tout ressentiment ou d’éventuelles discriminations qui pourraient nuire à la vie de l’équipage. Une fois les candidates « idéales » sélectionnées, il conviendra ensuite de voir comment elles s’intègreront dans le monde si particulier des SNLE. Une expérience très spéciale et difficile, ces sous-marins, armés par 110 marins, partant pour un cycle de patrouille de plus de 70 jours, sans retrouver la surface entre leur départ et leur retour. Comment, dans ce milieu fermé où règne la promiscuité et où les hommes sont seuls maîtres à bord depuis plus d’un siècle, l’arrivée d’officiers féminins sera vécue ? C’est toute la question, à laquelle l’expérimentation doit répondre. « L’expérimentation durera un, deux, trois cycles… puis la marine tirera un bilan et fera des rectifications s’il y a lieu ». Si les conclusions sont positives, la féminisation des sous-marins pourra, à l’avenir, s’étendre à d’autres spécialités et d’autres catégories de personnel, comme les officiers mariniers, quartiers-maîtres et matelots. D’autant que les nouveaux SNA du type Barracuda, qui remplaceront les Rubis à partir de 2017, sont plus gros que leurs aînés et conçus dès l’origine pour pouvoir embarquer des femmes au sein de leur équipage (60 marins).

Un SNLE du type Le Triomphant (© MARINE NATIONALE)
Une initiative qui provoque des remous
En attendant, l’annonce du lancement de cette expérimentation n’a pas été sans provoquer des levées de quelques boucliers, y compris chez certaines épouses de sous-mariniers, manifestement peu enthousiastes à l’idée de voir leurs maris enfermés avec quelques femmes pendant plus de deux mois. A l’EMM, où l’on s’attendait évidemment à ces remous, on tempère : « C’est un milieu masculin depuis un siècle et très sanctuarisé depuis la mise en place de la dissuasion il y a quarante ans. Il est donc normal que cette annonce secoue un peu le cocotier. Mais il ne s’agit pas d’une révolution, c’est une évolution collective et les esprits vont s’y faire, dans 10 ou 15 ans il n’y paraitra plus ». Et l’état-major de rappeler que les mêmes critiques avaient surgi dans les années 90 lorsque la Marine nationale a commencé à féminiser ses bâtiments de surface. On se rappelle que les premières femmes arrivées sur les porte-avions de l’époque ont provoqué des cris d’effroi. Elles sont aujourd’hui 250 sur le Charles de Gaulle et cela ne pose plus de problème à personne. Car l‘Ecole navale leur a ouvert ses portes en 1992 et, depuis, officiers ou non, les « marinettes » ont fait leurs preuves, du pont aux machines et des armes aux aéronefs. Certaines commandent des bâtiments, d’autres sont devenues pilote et même amiral, ce qui était impensable il y a quelques décennies. Certes, les sous-marins sont un milieu très complexe et particulier, mais c'est précisément pour cette raison que la Marine nationale veut mener une expérimentation afin de voir si, ici comme ailleurs, la féminisation est possible.

(© MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)
D'autres exemples à l'étranger
La France n'est en tous cas pas la première à lancer cette initiative. Les Etats-Unisse sont jetés à l'eau dès 2010 et le Royaume-Uni a annoncé une mesure similaire l'an dernier, les premiers sous-mariniers féminins britanniques étant actuellement en cours de formation. Le retour d'expérience est donc très limité même si, dans d'autres marines occidentale, des équipages de sous-marins sont déjà féminisés. Toutefois, il s'agit dans ces cas de bâtiments classiques et non d'unités à propulsion nucléaire, avec comme différence majeure de réaliser des navigations à la « petite semaine », assorties d'escales régulières, permettant de mieux appréhender l'intégration de femmes à bord.