Aujourd’hui et demain se déroule à Dakar, au Sénégal, un symposium consacré à la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. Il réunit notamment les chefs d’état-major des marines de 17 pays riverains de cette zone, engagés dans une importante action de coopération initiée en juin 2013 à Yaoundé, au Cameroun.
Confirmé l’an dernier lors du sommet de l’Union Africaine à Lomé (Togo), le processus de Yaoundé, qui vise à développer le travail commun et améliorer l’efficacité des Etats africains en matière de sûreté et de sécurité maritime, implique aussi au niveau politique les grandes organisations régionales, Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Communauté Économique des États de l' Afrique Centrale (CEEAC) et Commission du Golfe de Guinée (CGG). Issu d’une volonté politique commune de sécuriser la zone afin d’en assurer la prospérité, l’objectif du processus est, notamment, de mettre en œuvre une stratégie régionale de sûreté et de sécurité maritime, avec des actions concrètes destinées à lutter contre différentes menaces.
Une zone stratégique et de nombreuses menaces
Zone stratégique, le golfe de Guinée, qui compte plus de 6000 kilomètres de côtes, voit transiter chaque année 140 millions de tonnes de marchandises rien que dans sa partie occidentale, soit un quart du trafic maritime africain. C’est l’une des principales zones de production pétrolière de la planète et elle abrite d’importantes ressources halieutiques. Mais la région doit faire face à de nombreux problèmes sécuritaires qui sont autant de facteurs potentiels de déstabilisation. Ils vont des actes de brigandage et de piraterie jusqu’aux trafics en tous genres, drogues et armes notamment, en passant par les risques de pollution, la pêche illicite dans ces eaux très poissonneuses, ou encore les flux migratoires et les problèmes de surpeuplement des mégalopoles situées en bord de mer. S’y ajoute évidemment le terrorisme, avec des phénomènes de radicalisation soutenus par les islamistes opérant depuis la bande sahélienne.

Structurer la coopération
Face à ces défis communs, les Etats riverains du golfe de Guinée ont donc décidé de s’unir et d’accentuer leur coopération, avec depuis trois ans des résultats encourageants. Dès septembre 2014, le Centre Interrégional de Coordination (CIC) a été installé à Yaoundé afin de veiller, au niveau stratégique, à mettre en œuvre les actions du processus. Cela passe non seulement par la collaboration des armées - marines et garde-côtes en tête - mais aussi de nombreux autres acteurs ministériels concernés dans chaque pays par ces questions, avec à chaque fois une dimension internationale.
Deux centres régionaux de sécurisation maritime, le CRESMAC à Pointe-Noire (Congo) pour l’Afrique centrale et le CRESMAO à Abidjan (Côte d’Ivoire) pour l’Afrique de l’ouest, ont ensuite été créés pour l’action opérationnelle. Chacun s’appuie sur des Centres Maritimes de Coordination (CMC), soit trois pour le CRESMAO et deux pour le CRESMAC, et en dessous sur les centres opérationnels nationaux. A travers ces différentes structures et le maillage local qu’elles apportent, les pays riverains du golfe de Guinée développent des outils de surveillance et de suivi des activités en mer, accentuent les échanges d’informations et coopèrent pour mener des actions de sécurité maritime. Il devient par exemple beaucoup plus facile de repérer, suivre et éventuellement intercepter un bateau suspect, sans qu’il puisse jouer, comme c’était le cas auparavant, sur les délimitations des eaux territoriales et zones économiques exclusives (ZEE).
Des forces navales qui se modernisent
En plus des outils de coordination et des échanges de renseignements, cette action en faveur de la sûreté et de la sécurité maritimes bénéfice parallèlement d’importants investissements consentis par les pays de la région dans leurs forces navales. De nombreuses marines sont en effet en train de moderniser leurs flottes, s’équipant de patrouilleurs performants à même de surveiller et protéger les vastes étendues que représentent leurs ZEE. De nouvelles structures voient également le jour dans certains pays, comme au Bénin, qui a créé en 2016 l’équivalent d’une préfecture maritime française, avec une véritable organisation de l’action de l’Etat en mer et la mise en place d’une stratégie nationale de sécurité maritime.

BPC, aviso et commandos marine engagés dans la mission Corymbe (© MARINE NATIONALE)
La France engagée dans le processus de Yaoundé
Le processus de Yaoundé est par ailleurs soutenu par l’Union Européenne, la France en étant même directement signataire. C’est à ce titre d’ailleurs que le chef d’état-major de la Marine nationale, l’amiral Christophe Prazuck, ainsi que le vice-amiral d’escadre Emmanuel de Oliveira, préfet maritime et commandant de la zone Atlantique, participent au symposium de Dakar (Brest avait accueilli en juin 2015 le premier séminaire des chefs d’états-majors des marines africaines). « Ce symposium est l’occasion pour tous les chefs d’état-major des marines des pays africains engagés dans le processus de Yaoundé de se retrouver ensemble et échanger afin de mettre en place des actions concrètes en faveur de la sécurité maritime et de la prospérité dans la région. C’est la manifestation visible de la coopération menée depuis 2013, qui est pilotée par les Africains et à laquelle participe la marine française, dans un rôle de soutien et de conseil notamment », explique le contre-amiral Arnaud Provost-Fleury, adjoint opérations du VAE de Oliveira.

Enjeux et présence française en Afrique (© MARINE NATIONALE)
L’opération Corymbe
La France, qui a parallèlement conclu un accord quadripartite en mai 2015 avec l’Espagne, le Portugal et le Danemark afin d’accentuer l’appui européen aux forces navales africaines, est historiquement engagée dans le golfe de Guinée. Réaffirmé comme une zone stratégique par le dernier Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale, le secteur bénéficie depuis 1990 d’une présence permanente de la Marine nationale dans le cadre de la mission Corymbe. Actuellement composée du bâtiment de projection et de commandement Dixmude, présent à Dakar dans le cadre du Symposium, ainsi que du patrouilleur de haute mer Commandant Bouan, cette mission apporte un soutien aux forces armées françaises à terre, notamment celles basées au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon, conduit des opérations de lutte contre les trafics illicites et la piraterie, tout en offrant d’importantes capacités d’évacuation en cas de troubles dans certains pays, sachant que 400.000 ressortissants européens, dont 80.000 Français, résident dans la région. Corymbe a également, de longue date, une importante dimension de coopération avec les pays riverains.

Le Dixmude, le Cdt Bouan et deux patrouilleurs ivoiriens début septembre lors d'African Nemo (© MARINE NATIONALE)
Les exercices « African Nemo »
Un volet qui a évolué en marge du processus de Yaoundé avec la mise en place des exercices African Nemo (Naval exercise for maritime operations). « Nous menons depuis longtemps des exercices réguliers avec les marines africaines mais African Nemo est devenu, à l’appui du processus de Yaoundé, un catalyseur puissant de coopération, qui permet de favoriser les échanges d’informations des centres opérationnels locaux entre eux et avec le niveau régional, tout en coopérant pour conduire des actions coordonnées des marines en mer ». L’évolution des bâtiments français au large des côtes du golfe Guinée offre la possibilité de mener des entrainements très variés (enquêtes de pavillon, interceptions de trafiquants, lutte contre la pêche illicite, contre-terrorisme maritime, réaction à une attaque de pirates, assistance à des navires en difficulté…) en profitant du passage des unités tricolores d’une ZEE à l’autre. Cela permet notamment de valider les procédures de suivi et la mise en place de réactions coordonnées entre les différents pays concernés par un évènement. « Nous travaillons en particulier autour de l’élaboration d’une situation partagée, le suivi à travers les eaux de plusieurs pays traversées par un bateau suspect et la coordination des actions. Dans le même temps, nous organisons des stages et formations à bord de nos bateaux, le cœur du sujet étant le travail en mer et la possibilité de collaborer avec les marines africaines sur des scénarios réalistes et évolués. Ces entrainements en commun permettent ensuite de conduire des opérations efficaces. Cette année, nous avons d’ailleurs réalisé des patrouilles conjointes avec plusieurs marines, comme vient de le faire le Commandant Bouan avec celles de la Côte d’Ivoire et du Nigéria ». Une collaboration étroite, mais aussi nouvelle dans son approche, s’est donc mise en place.


Marins nigérians à bord du Dixmude lors du dernier exercice African Nemo en septembre (© MARINE NATIONALE)
Les marines africaines « de plus en plus efficaces »
La France y joue un important rôle de soutien mais elle l’exerce uniquement à la demande des pays africains et au sein d’une action qu’ils pilotent eux-mêmes. « Il est important de comprendre que nous sommes des partenaires historiques privilégiés auprès de marines africaines dont il faut souligner qu’elles sont de plus en plus efficaces. On mesure en effet concrètement les progrès réalisés et le chemin parcouru au cours de ces dernières années. Les marines régionales se modernisent, ont une capacité croissante à patrouiller et mènent des actions tangibles, par exemple en matière de lutte contre la pêche illicite, un enjeu majeur lorsqu’on l’estime à 40% du tonnage pêché dans la zone. Avec le processus de Yaoundé, qui a marqué une prise de conscience des enjeux liés à la sécurité maritime, les pays du golfe de Guinée ont clairement franchi un cap. Sécurité maritime et prospérité économique sont liées. Sur le terrain nous travaillons ensemble à cet objectif et devrons poursuivre cet effort ».
On notera enfin que ce partenariat s’exerce aussi via l’action des services diplomatiques français présents dans les pays de la région, avec une coopération structurelle de conseil et de soutien, par exemple au profit d’écoles orientées vers la sécurité maritime, comme l’ENVR (Ecole Nationale à Vocation Régionale) de Bata, en Guinée Equatoriale, ou encore l’ISMI (Institut de Sécurité Maritime Interrégionale) à Abidjan.

(© MARINE NATIONALE)