La France a lancé le 19 septembre l'opération Chammal, avec un premier raid aérien contre l’Etat islamique en Irak et au Levant, que l’on appelle désormais Daech. Partis de la base française d’Al Dhafra, à Abu Dhabi, deux Rafale de l’armée de l’Air ont largué quatre bombes à guidage laser GBU 12 sur un dépôt logistique situé dans la région de Mossoul, au nord de l’Irak.

La cible traitée dans la région de Mossoul (© : EMA)
Cette attaque, qualifiée de succès par l’état-major français, a été conduite sous le contrôle opérationnel du contre-amiral Antoine Beaussant, commandant la zone maritime de l’océan Indien et les forces françaises aux Émirats Arabes Unis. En dehors des deux chasseurs, un avion ravitailleur C135 a été mobilisé afin d’offrir l’allonge nécessaire aux Rafale, qui ont effectué une mission de près de 5 heures nécessitant trois ravitaillements en vol.

Mise en place de bombes GBU 12 (© : EMA)

Rafale Air sur la base aérienne d'Al Dhafra (© : EMA)

Ravitaillement en vol auprès du C135 (© : EMA)
Positionné lui aussi à Al Dhafra, un avion de patrouille maritime Atlantique 2 de la Marine nationale a également participé au raid en effectuant, de manière coordonnée avec la chasse, un vol d’une dizaine d’heures. Ses capteurs ont permis d’assurer le volet renseignement de la mission et d’effectuer une évaluation des frappes (Battle Damage Assesment – BDA) transmis immédiatement au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) situé à Paris, où le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, supervise l’ensemble des opérations. Sur zone, les Français travaille en étroite coopération avec les Américains, le centre opérationnel US d'Al Udeid, au Qatar, étant chargé de la coordination des moyens engagés en Irak.

L'Atlantique 2 positionné à Al Dhafra (© : EMA)

Atlantique 2 (© : MARINE NATIONALE)
Soutenir les forces terrestres kurdes et irakiennes
Dans une courte intervention vendredi, François Hollande a réaffirmé la volonté de la France de stopper l’essor de Daesh en Irak, confirmant que d’autres frappes allaient intervenir : « D’autres actions auront lieu dans les prochains jours avec le même but : affaiblir cette organisation terroriste et venir en appui des autorités irakiennes, c’est-à-dire des soldats irakiens et des Peshmergas du Kurdistan irakien. En aucun cas il n’y a de troupes françaises au sol, il s’agit seulement d’avions qui, en liaison avec les autorités irakiennes, en coordination avec nos alliés, permettent d’affaiblir l’organisation terroriste ». Dès samedi, les Rafale français ont réalisé une nouvelle mission. Toujours équipés de bombes GBU 12 et d'une nacelle de désignation d'objectif Damoclès, ils ont cette fois survolé le nord-ouest de Bagdad pendant plus de 2 heures, prêts à intervenir au cas où une cible d'opportunité aurait été signalée.
Pour mémoire, l’objectif de ces raids est d’endiguer la progression de Daech afin de permettre aux Peshmergas et aux troupes de l’armée irakienne de reprendre l’avantage sur le terrain. Une stratégie qui passe par la maîtrise du ciel, permettant la neutralisation des concentrations de troupes et de matériels adverses. L’EIIL est en effet puissamment équipé, notamment en véhicules, y compris des blindés et en pièces d’artillerie, qui proviennent en grande partie d’anciens dépôts de l’armée irakienne dont les djihadistes se sont emparés. Mais les raids aériens ne seront pas suffisants. Il faudra reconquérir le terrain et, dans cette perspective, les Occidentaux, qui ne veulent pas envoyer de troupes conventionnelles, ont entrepris de renforcer les unités kurdes et irakiennes en leur livrant des armes et en mettant en place des programmes de formation.
Coalition internationale
Sur le plan politique, les Etats-Unis oeuvrent depuis plusieurs semaines à la constitution d’une grande coalition internationale incluant les pays arabes de la région, dont une dizaine a déjà répondu favorablement (dont l’Arabie Saoudite, les EAU et le Qatar). Côté juridique, l’intervention ne nécessite pas de feu vert de l’ONU, l’Etat irakien ayant officiellement demandé de l’aide, notamment à Washington et à Paris. En pointe dans ce dossier sur le front diplomatique, tout en assistant depuis cet été l’Irak via de l’aide humanitaire et des livraisons d’armes, la France est le premier pays à rejoindre les Etats-Unis au sein d’une intervention militaire directe. Une action qu’a saluée le président américain, Barak Obama, déclarant que la France était un « partenaire solide » dans la lutte contre le terrorisme. Les Américains, qui réalisent semble-t-il une demi-douzaine d’opérations par jour actuellement, ont commencé l'offensive le 8 août avec les F/A-18 du porte-avions USS George H. W. Bush, positionné au nord du golfe Persique avec son groupe aéronaval, au sein duquel la frégate française Courbet a été intégrée début septembre. Des moyens complétés depuis par des appareils de l’US Air Force positionnés dans différentes bases de la région.
En plus des appareils américains et français, d’autres pays, comme le Canada et l’Australie, pourraient prochainement participer aux frappes, de même que la Belgique, qui envisage de déployer six avions F-16 et deux C130, ainsi que des forces spéciales.

L'USS George H. W. Bush (© : US NAVY)
Le rôle des pays arabes
Mais l’idéal, pour les Occidentaux, serait que les pays du Golfe s’engagent eux aussi dans les raids aériens, ce qui semblerait parfaitement logique puisqu’il s’agit d’un problème menaçant en premier lieu la sécurité de la région. Sans compter que certains Etats arabes, qui ont contribué financièrement à l’émergence de Daech, pourraient ainsi se « faire pardonner » d’avoir créé un monstre devenu aujourd’hui incontrôlable, tout comme le fut en son temps Al Qaida. Les monarchies du Golfe ont en tous cas les moyens matériels d’intervenir puisqu’elles ont ces dernières années significativement renforcé leurs armées avec du matériel très moderne. Reste maintenant à savoir, au-delà de la puissance théorique de cet outil de défense, quelle est vraiment sa valeur opérationnelle et la capacité de ces forces à s’intégrer dans une opération internationale de haut niveau. Car il ne s’agit plus de rouler des mécaniques lors de parades ou d’exercices réalisés sur mesure pour impressionner tel ou tel dignitaire local… Cette fois, il s’agit de véritables opérations de guerre. Celles-ci peuvent d’ailleurs donner l’opportunité aux capitales arabes de montrer à la communauté internationale que leurs forces militaires ne sont pas que des armées de papier et qu’elles sont capables de participer activement à la sécurité dans la région.

Les deux Rafale Air ayant participé au raid du 19 septembre (© : EMA)
Intervention française pour le moment limitée
Pour ce qui est de la France, l’intervention devrait rester limitée. Pour l’heure, les moyens se composent, sur le plan aérien, des appareils positionnés sur la base aérienne 104 d’Al Dhafra. Il y a là six Rafale et un C135 de l’armée de l’Air, ainsi que l’Atlantique 2 de la Marine nationale. Cet appareil de la flottille 23F avait participé en amont des premières frappes à des missions de reconnaissance au nord de l’Irak, ce qui fut également le cas pour les Rafale de l’escadron 3/30 Lorraine, équipés dans cette configuration ISR (Intelligence Surveillance et Reconnaissance) de pods RECO NG. Paris tient, en effet, à disposer sur place de ses propres moyens de renseignement afin de conserver son autonomie d’appréciation et de décision. Pour cela, l’Etat-major des armées dispose de différents moyens, dont l’aviation comme on vient de le voir, mais aussi de forces spéciales. Car même si officiellement, la France continue d’affirmer (ici comme ailleurs) qu’elle n’a pas de troupes au sol, l’emploi sur ces théâtres d’opérations de commandos est aujourd’hui un secret de Polichinelle. Une présence terrestre est en effet indispensable pour recueillir des renseignements et contribuer au guidage des raids aériens. Et ce sera d’autant plus vrai lorsque les objectifs fixes auront été traités et qu’il faudra passer à des cibles mobiles, c'est-à-dire réaliser des frappes d’opportunité.
S’inscrire dans la durée face à des objectifs très lointains
Reste maintenant à voir comment le dispositif français va s’inscrire dans la durée. Avec seulement six avions de combat à Abu Dhabi, l’armée de l’Air ne pourra intervenir de manière soutenue et durable. Les objectifs sont, en effet, situés très loin, le trajet entre Al Dhafra et la région de Mossoul représentant un parcours d’environ 1700 kilomètres, obligeant les Rafale à regarnir plusieurs fois leurs réservoirs. Se pose au passage le problème des ravitailleurs, les C-135, âgés de 50 ans, étant à bout de souffle. Or, sans cette capacité stratégique, il ne serait plus possible de réaliser des frappes à longue portée. C’est pourquoi l’appoint d’appareils alliés parait souhaitable. Au-delà de la solution américaine, la plus évidente, Paris pourrait également collaborer avec les EAU, qui disposent à Al Dhafra de trois ravitailleurs MRTT livrés récemment par Airbus. Concernant le dimensionnement des forces aériennes françaises présentes à Abu Dhabi, elles pourront le cas échéant être renforcées, soit en faisant appel aux trois Mirage 2000D stationnés à Djibouti, soit en dépêchant des appareils supplémentaires depuis la métropole.

L’option Charles de Gaulle et ses avantages
L’autre solution envisagée est de déployer le porte-avions Charles de Gaulle. Actuellement à Toulon, le bâtiment, après un arrêt technique de quelques semaines, sa participation aux commémorations du débarquement de Provence le 15 août et les permissions de son équipage, est en phase de remontée en puissance. Après avoir enchaîné les simulations d’appontage sur piste à Lann-Bihoué au début du mois, les pilotes des appareils du groupe aérien embarqué vont recouvrer leurs qualifications sur le porte-avions. Même si cette phase n’est pas encore achevée, le bâtiment peut dès aujourd’hui, si le président de la République le décide, être déployé et, à l’issue de son transit, débuter les opérations au dessus de l’Irak en moins de quinze jours. Le recours à cet outil majeur de projection de puissance présente plusieurs avantages. Le premier est sa souplesse d’emploi, qui lui permet de profiter de la liberté de naviguer dans les eaux internationales (et de voler au dessus) pour se positionner au plus près de la zone d’action. Dans le cas présent, le groupe aéronaval pourrait se placer devant les côtes irakiennes, au nord du golfe Persique, réduisant ainsi de moitié la distance à l’objectif par rapport aux avions basés à Al Dhafra. Les frappes n’en serait que plus réactives, surtout dans le cadre de cibles d’opportunité. Avec sa vingtaine d’avions de combat, dont une douzaine de Rafale, le Charles de Gaulle offrirait en outre une force de frappe bien plus importante que les moyens actuellement présents à Abu Dhabi, qu'il pourrait soulager sur une période plus ou moins longue.

Rafale Marine sur le Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)
Un calendrier à priori favorable pour déployer le porte-avions
Le déploiement du groupe aéronaval français, s’il est décidé, devra néanmoins faire l’objet d’une communication adaptée. Car l’envoi d’un porte-avions sur un théâtre d’opération constitue toujours un signal politique et diplomatique très fort. Dans cette perspective, il faut non seulement préparer l’annonce de son départ, mais aussi gérer les conditions de son retour. En l’absence de visibilité précise sur les objectifs à atteindre et la durée qu’il faudra pour permettre aux forces irakiennes de reprendre le contrôle du terrain, le mieux est encore de prendre le prétexte d’un déploiement régulier. Ainsi, la présence dans la région du Charles de Gaulle permettrait de justifier sa participation aux opérations, tout en établissant d’entrée de jeu un cadre temporel permettant, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, de retirer le bâtiment du fait de la fin programmée de sa mission. L’emploi du groupe aéronaval en Irak serait donc officiellement la résultante d’une opportunité constituée par son grand déploiement annuel, réalisé presque toujours dans ce secteur. En cela, le calendrier est plutôt favorable puisque l’an dernier, le porte-avions français avait quitté Toulon mi-novembre pour trois mois de manœuvres vers l’océan Indien et le golfe Persique. Un déploiement marqué par cinq semaines d’exercices et d’opérations conjointes avec un groupe aéronaval américain, permettant à l’US Navy et la marine nationale d’atteindre un niveau d’interopérabilité encore jamais vu. Autant dire que Washington verrait sans doute d’un œil particulièrement confiant l’arrivée sur zone du Charles de Gaulle.

Le Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)
Intervenir à moindres frais
Tout dépendra en fait de l’importance que la France souhaite donner à son engagement aérien en Irak. Pour l’heure, celui-ci demeure comme on l’a vu limité et semble surtout destiné à demeurer, aux côtés des Etats-Unis, au centre du jeu politique et diplomatique dans la région (sans oublier quand même que l’éradication d’un groupe terroriste comme Daech est une priorité du fait qu’il peut représenter une menace directe pour les occidentaux via de possibles attentats, notamment en Europe). De ce fait, il ne serait pas étonnant que Paris se contente de réaliser des frappes plus ou moins régulières avec les moyens déjà positionnés sur zone, ainsi que ceux qui pourraient y venir dans le cadre de missions programmées. Avec un avantage direct sur le coût des opérations, puisque tous les moyens actuellement engagés sont budgétés. Un argument qui pèse lourd au regard des difficultés financières du ministère de la Défense, qui dans un contexte très contraint doit déjà gérer le financement d’un certain nombre d’opérations extérieures. De plus, il y a le problème des ressources matérielles et humaines, les multiples missions confiées actuellement à l’armée française mobilisant fortement un potentiel aujourd’hui restreint.
Le problème libyen
La France semble, de plus, vouloir garder disponibles des capacités aériennes et maritimes si une intervention en Libye se révélait nécessaire. Car, si tous les yeux sont actuellement rivés sur l’Irak, les inquiétudes sont très vives à Paris quant à la dégradation de la situation de l’autre côté de la Méditerranée. Le gouvernement provisoire mis en place à Tripoli suite à la chute du colonel Kadhafi, en 2011, s’est en effet effondré et le pays est en proie à une nouvelle guerre civile, où les groupes islamistes semblent prendre l’avantage. Or, si les djihadistes l’emportent, le Maghreb et l’Europe seraient confrontés à la possible instauration d 'un Etat terroriste à leurs portes. Un dénouement impensable car il se traduirait par une menace directe sur l’ensemble de la région, avec des actions de déstabilisation sur les pays voisins, à commencer par ceux de la région du Sahel, où les groupes terroristes, malmenés par l’intervention française au Mali, reprendraient sans nul doute de la vigueur. Des discussions sont actuellement en cours entre différents pays, notamment l’Egypte et l’Algérie, mais aussi au Moyen-Orient, pour envisager différentes solutions, y compris militaires. Certains n’ont apparemment pas attendu pour agir puisque, selon les Américains, l’aviation émiratie aurait lancé en août, depuis l’Egypte, un raid aérien sur des positions djihadistes en Libye. Et une autre attaque serait intervenue il y a quelques jours. Toujours est-il que la situation sur place est présentée comme gravissime et qu’elle imposera peut-être une nouvelle action militaire internationale, à laquelle la France pourrait participer, non sans bénéficier si tel est le cas du soutien de Washington, à priori plus simple à obtenir compte tenu de l’engagement tricolore en Irak.