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Syrie, Mali, Afghanistan... La France est sur tous les fronts, martèle le ministre de la Défense. Présent lundi aux Universités d’été de la Défense, qui se déroulaient à Brest, Jean-Yves Le Drian doit également gérer le délicat dossier du budget de la Défense, contrainte comme les autres ministères à faire des efforts pour redresser les comptes publics. A l’occasion de son déplacement en Bretagne, Jean-Yves Le Drian a fait le point avec nos confrères du Télégramme.

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Au coeur de votre déplacement, cette semaine, en Jordanie et au Liban: la crise syrienne. Alors que d'aucuns lui reprochent son attentisme, que fait la France ?

 

C'est elle qui est la plus active au niveau politique et humanitaire. Nous avons réuni en juillet ceux que nous appelons les amis de la Syrie pour inciter à la pression internationale et pour faire valoir notre soutien à la résistance syrienne. Nous avons initié une résolution de l'Onu pour renforcer la pression auprès de ceux qui ne souhaitent pas un accord du Conseil de sécurité, en particulier la Chine et la Russie, pour engager une procédure de pacification en Syrie. Nous sommes en pointe au niveau humanitaire. Nous avons installé à la frontière jordanienne un hôpital militaire, qui accueille les réfugiés et les soldats de l'armée syrienne libre, victimes de blessures de guerre. Je vais d'ailleurs me rendre sur place jeudi prochain. Par ailleurs, nous intervenons en livrant aussi aux résistants syriens du matériel non létal, comme des systèmes de communication, des jumelles à infrarouges.Concrètement, quelle est votre position ?

Elle est d'une grande clarté. Nous souhaitons que la résistance syrienne s'organise et qu'elle puisse ainsi être validée de manière internationale. Car toute initiative qui ne serait pas validée en coalition internationale est vouée à l'échec! Nous avons la conviction que Bachar el-Assad partira. C'est un dictateur qui, aujourd'hui, assassine son peuple.Autre zone à hauts risques: le Mali. La pourrait-elle intervenir?

 

La situation est extrêmement préoccupante. Les groupes d'insurgés, en grande partie sous l'influence des jihadistes, sont en train d'acquérir des positions importantes. Pendant ce temps, on a un Mali qui éclate, avec un risque majeur, à terme, de transformation du Sahel en un sanctuaire terroriste difficilement expugnable. La réponse à cela: l'affirmation de la consolidation d'un gouvernement à Bamako, la constitution de forces africaines dans le cadre de la CEDAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest, ndlr), qui puisse assurer la consolidation du gouvernement malien et la reformation de l'armée malienne. À la différence de la Syrie, il y a une résolution de l'ONU. Aujourd'hui, le processus est à peine entamé et il est extrêmement fragile. Le nouveau Président vient tout juste de solliciter la CEDAO pour un soutien militaire. Si le processus se poursuit, la France apportera son soutien à cette démarche, y compris logistique, de préférence dans le cadre européen. Mais l'initiative militaire ne peut qu'être africaine.Comment se passe le retrait des troupes d'Afghanistan?

Conformément aux engagements pris par le président de la République. Nous étions 4600. Nous venons de passer sous la barre des 3000. Il restera 1500 personnels militaires à la fin de l'année. Les matériels seront progressivement rapatriés, par tous les moyens; ces opérations devraient être terminées fin juillet. Le retrait se passe donc, mais c'est une opération militaire. C'est très dangereux. Je tiens à dire combien je suis fier de la qualité des actions menées par nos forces en Afghanistan, des forces courageuses et très professionnelles.Vous devez gérer un budget 2013 plus que serré, avec plus de 7000 suppressions de postes. Il vous manque déjà 4 milliards d'euros pour les équipements. Qu'allez-vous faire?

Je ne suis pas dans l'angoisse mais dans la détermination. Et dans la clarté des objectifs, des missions et des chiffres. Le budget 2013 sera le même que celui de 2012, à 31.4 milliards d'euros hors pensions. En 2013, il y aura 16 milliards d'euros d'investissements dont 6 milliards pour les équipements neufs. Comme l'avait dit le président de la République, la Défense n'est pas la variable d'ajustement. Par contre, nous ne sommes pas, c'est vrai, dans le calendrier de la loi de programmation militaire 2008-2013 qui prévoyait, en 2008, une accélération des commandes à partir de 2011. Or, depuis 2008, il y a eu la crise. Le chiffre de 4 milliards d'insuffisance a été affiché par rapport à l'objectif de la loi de programmation de 2008. Il faut mettre les choses au clair. C'est pour cette raison que nous avons décidé de lancer un nouveau Livre blanc. Il doit définir les nouvelles menaces, le panorama géostratégique et les choix que doit faire la France pour tenir sa défense. Les conclusions seront rendues fin 2012. De nouveaux éléments doivent être pris en compte: la crise, le nécessaire redressement des comptes publics, l'inertie de l'Europe de la Défense, un changement dans la posture américaine qui privilégie plutôt aujourd'hui l'Asie-Pacifique, les révolutions arabes... Nous élaborerons ensuite la loi de programmation militaire 2014-2019. Les engagements capacitaires et financiers seront fixés avant l'été. Mais la France ne fera pas tout! Il faut qu'elle fasse des choses avec d'autres. Pour en revenir au budget 2013, tout ce qui est engagé se poursuit normalement. Il en est ainsi du programme des FREMM, les frégates multi-missions. Tout ce qui est contractualisé sera poursuivi. Cela peut rassurer un peu les industriels.Il faut parler du moral des troupes. Selon l'amiral Guillaud, Chef d’Etat-major des Armées, il est «au seuil d'alerte». Qu'en pensez-vous?

Le chef d'État-major est dans son rôle en faisant passer des messages de vigilance. Je suis en plein accord avec ce qu'il dit. Le souci que nous aurons demain, c'est d'avoir un outil de défense qui corresponde aux objectifs capacitaires et financiers que se sera donnés le pays, et surtout que cet outil soit cohérent.Serez-vous le VRP des industriels?

Il ne faut pas confondre les rôles. Le commercial, c'est l'industriel. Je ne me promène pas avec un catalogue sous le bras pour vendre de l'industrie d'armement. Je suis un industrialiste... Le rôle du ministre est d'établir avec le ou les pays partenaires les conditions d'un partenariat intégrant les transferts de technologie, la formation, les accords de défense. Nous ne sommes plus à l'époque où le ministre était le VRP mais à celle où le ministre doit impulser des partenariats durables. C'est d'ailleurs ce que pensent les industriels.L'Europe de la Défense est en panne. Vous voulez la relancer. Pourquoi réussiriez-vous là où tant d'autres ont échoué depuis des années?

Sauf à accepter un déclassement stratégique, l'Europe est confrontée aujourd'hui à une nécessité de construire une défense partagée. Si elle reste inerte, elle sera en sous-capacité pour assurer sa propre sécurité. J'ai pris l'initiative de contacts bilatéraux afin de vérifier si l'on peut, de manière pragmatique, engager des collaborations nous permettant d'aller vers cette direction, non pas en commençant par des déclarations incantatoires, mais en regardant sur les opérations, sur les capacités, sur la production industrielle, comment on peut marcher ensemble sur des projets concrets. Je sens que cette prise de conscience est de plus en plus partagée.

 

Propos recueillis par Catherine Magueur

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