Depuis quelques années, le recours aux satellites est de plus en plus fréquent à des fins de sécurité maritime. Complémentaire des moyens aériens et navals, l’observation spatiale, par sa capacité de couverture d’une vaste zone et sa discrétion, se révèle très utile pour détecter des anomalies et débusquer différentes cibles, comme des trafiquants de drogue. « Pour être efficace, le satellite s’intègre dans un dispositif qui doit comprendre, dans la zone visée, des navires et des aéronefs, à même de relocaliser, d’identifier et d’intercepter une cible potentielle. Le satellite, s'appuyant sur un niveau de résolution de plus en plus fin (voir images ci-dessous), va travailler en avance de phase. L’intérêt est de pouvoir couvrir une vaste zone, depuis l’espace, et si des pistes dignes d’intérêt sont découvertes, on peut, alors, envoyer sur place un bateau ou un avion », explique Olivier Pronier, responsable des produits Oceanway chez Astrium.

L'Ile polynésienne de Bora Bora vue par Spot 6 (© ASTRIUM)

Un vraquier vu par Pléiades 1a (© CNES)
Image traitée par les analystes d'Astrium (© ASTRIUM)
La lutte contre le narcotrafic dans l’arc antillais
En collaboration avec différentes administrations, comme la Douane et la Marine nationale, l’observation spatiale est employée avec succès, depuis plusieurs années, dans les Antilles, où les autorités locales sont confrontées à un important trafic de drogue transitant par voie maritime. « L’utilisation du spatial pour détecter des go-fast (bateaux rapides utilisés par les trafiquants, ndlr) est un vrai défi car il faut être en mesure de fournir des informations suffisamment tôt pour permettre une interception. C’est pourquoi nous fonctionnons en boucle courte ». L’objectif est, ainsi, de récupérer immédiatement les images recueillies depuis l’espace. Pour se faire, disposer d’un centre de réception dans la zone concernée est impératif. « Il faut une station dans le cercle de visibilité du satellite, qui présente un rayon de 2500 km. La station locale est équipée d’une longue antenne dépointée qui va chercher le satellite dans cette zone. Le capteur peut, dès lors, descendre immédiatement les données, ce qui permet au centre de traitement d’être en prise directe avec le satellite et donc de travailler en temps réel. Sans cette station locale, nous serions donc contraints de travailler en temps différé ».
Dans cette perspective, Astrium utilise une station de réception régionale, où arrivent les données brutes fournies par les satellites. Celles-ci sont ensuite transférées à un centre de traitement, où les photos sont interprétées par des spécialistes. Ces géo-experts sont, souvent, d’anciens marins et professionnels du renseignement, qui extraient des clichés différentes informations et déterminent les pistes dignes d’intérêt. « Les opérationnels attendent une véritable expertise. Le traitement des données brutes par des professionnels est donc fondamental afin de reconnaitre, par exemple, la signature d’un bateau rapide, son cap et sa vitesse, tout en pouvant analyser son comportement, s’il va à toute vitesse ou s’il est stoppé en pleine mer, l’ensemble permettant de comprendre si le bateau est potentiellement impliqué dans une action de narcotrafic ».
Interception d'un go-fast (© MARINE NATIONALE)
Le narcotrafic dans la zone Antilles - Guyane (© MARINE NATIONALE)
L’enjeu de la réactivité
Une fois analysées, les données sont envoyées au PC Opérations de Fort-de-France, en Martinique, où les militaires, à la lumière des pistes présentées, décident d’intervenir. « Le service fourni par Astrium est une aide à la décision. Généralement, les moyens satellites sont utilisés lors d’opérations précises programmées en amont, par exemple suite au recueil de différents renseignements laissant penser qu’une cargaison de drogue va être acheminée par la mer. L’emploi de l’observation spatiale nécessite en effet un certain délai, un satellite ne se trouvant pas en permanence au dessus d’une zone. Aujourd’hui, 24 heures sont nécessaires afin de programmer une passe sur un secteur précis, mais ce délai devrait se réduire. En support aux opérations, le traitement des images reçues peut, en revanche, être beaucoup plus rapide, les analystes étant capables de fournir aux opérationnels des pistes en moins d’1h30. Les personnels des administrations concernées travaillent sur des logiciels spécifiques, simples d’utilisation, présentant une situation renseignée, avec la possibilité de discriminer les informations, par exemple en ne retenant que les petits bateaux de moins de 10 mètres de long. Une fonction « export » permet, par ailleurs, d’intégrer ces données dans le Système d’information et de communication (SIC 21) des bâtiments et aéronefs à la mer ou dans les airs, qui disposent ainsi d’une situation tactique rafraîchie régulièrement (la transmission de données pouvant se faire via des satellites de communication). « Le grand avantage de ce dispositif est de pouvoir économiser le potentiel des moyens navals et aériens, en confiant des heures de mer et de vol autrefois consacrées à la recherche des cibles aux satellites, ce qui permet de concentrer les bâtiments et aéronefs sur l’identification et l’interception des cibles ».

Interface du service Oceanway (© ASTRIUM)

Interface du service Oceanway (© ASTRIUM)
Des moyens plus précis et des fréquences de passages accrues
Jusqu’ici, les satellites utilisés étaient Spot 4 et Spot 5, avec une résolution de respectivement 10 et 5 mètres, ce qui permet, par exemple, d’observer le sillage d’un go-fast. La fauchée est, par ailleurs, importante, puisqu’à chaque passage, les satellites couvrent une surface de 120 x 300 km, soit 36.000 km², une étendue pour laquelle il faudrait 12 heures de vol à un avion de patrouille maritime Atlantique 2 afin qu’elle soit complètement investiguée, et ce évidemment de manière progressive.
Le positionnement des satellites ne doit évidemment rien au hasard, les objectifs étant braqués sur des zones précises déterminées selon les informations collectées par les services de renseignement, mais aussi par l’habitude. Ainsi, dans la zone antillaise, les routes empruntées par les trafiquants, qui vont du sud vers le nord, c’est à dire du continent vers les îles, sont bien connues. Astrium Services propose par ailleurs un système d’archivage offrant une analyse statistique des comportements des trafiquants, facilitant ainsi leur identification.

Le satellite Spot 6 (© ASTRIUM)
L’entrée en service de nouveaux moyens satellites ne fait que renforcer l’intérêt pour ce mode d’observation, tant dans l’amélioration de la résolution que dans la fréquence de passage. Ainsi, Spot 6, lancé en septembre dernier, présente une fauchée de 60 km et livre des images d’une résolution égale à 1.5 mètre. Il sera rejoint en 2014 par Spot 7, permettant une revisite quotidienne de n’importe quel point de la terre avec une capacité d’acquisition de 6 millions de km². Ces satellites seront exploités conjointement avec les engins civilo-militaires Pléiades 1a, lancé en décembre 2011, et Pléiades 1b, dont la mise en orbite est prévue dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre, qui autorisent des prises de vue jusqu’à 1500 km autour de leur position et peuvent produire 450 images par jour, avec une résolution de 70 cm (50 cm après traitement) sur une largeur d’image de 20km.
Ainsi, à partir de 2014, chaque point du Globe sera vu quotidiennement à la fois en haute et en très haute résolution par les satellites opérés par Astrium Services, Spot 6 et 7 produisant des images d’une zone large, alors que les Pléiades seront capables de livrer des produits de la même zone, avec un champ de vue plus restreint mais offrant un niveau de détails beaucoup plus élevé.
Pour l’avenir, l’objectif est de disposer d’une information en temps réel, en plaçant les moyens d’observation plus haut. En orbite géostationnaire (36 000 km), un satellite pourra couvrir de manière permanente un tiers de la surface du globe, avec une résolution de l’ordre de 2 mètres. C’est l’objectif d’Astrium avec le projet GO-3S, imaginé pour observer une zone en continu et fournir des vidéos.

La ville de Hong Kong vue par Pléiades 1a (© MARINE NATIONALE)
Un outil stratégique
La lutte contre le narcotrafic n’est, évidemment, pas le seul intérêt de l’observation spatiale dans le domaine de la sécurité maritime. Les satellites peuvent également être utiles pour détecter des pollutions maritimes, ce que fait d’ailleurs l’Agence européenne de sécurité maritime (EMSA) via le service Cleanseanet. Ils peuvent également servir à la surveillance du trafic en mer, où encore à la détection d’embarcations de migrants, sans oublier la possibilité pour les Etats de suivre l’évolution d’une situation, par exemple militaire, ou encore d’observer les dégâts provoqués par une catastrophe naturelle. L’observation spatiale demeure donc, plus que jamais, un outil stratégique garantissant aux pays qui disposent de ces moyens une autonomie de décision, une importante capacité d’anticipation, aini que la possibilité d’intervenir de manière plus efficiente.

Pollution maritime vue de l'espace (© ASTRIUM)