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La commande des nouveaux bâtiments multi-missions de la Marine nationale a été officialisée hier. Le contrat a été notifié par la Direction Générale de l’Armement (DGA) le 30 décembre à Piriou et DCNS. Le ministère de la Défense a donné sa préférence à l’offre des deux industriels, engagés dans une très vive compétition avec deux autres groupements franco-français : d’un côté le Cherbourgeois CMN allié à STX France (via sa division Services et son site de Lorient) et, de l’autre, le chantier Socarenam de Boulogne-sur-Mer, qui concourrait en tandem avec CNN MCO pour la partie maintenance.

Il s’agit en effet d’un marché global, couvrant les études, la construction, mais aussi le maintien en condition opérationnelle (MCO) de chaque bâtiment pour une durée de six ans. DCNS sera en charge de cette partie du contrat, qui sera mené là où les B2M seront basés : en Polynésie française, aux Antilles et en Nouvelle-Calédonie. Piriou réalisera quant à lui les bateaux, livrables fin 2015 pour le premier et en 2016 pour les deux suivants.

 

 

Un Batral débarquant du matériel et des hommes sur une plage (© MARINE NATIONALE)

 

 

Trois bâtiments pour remplacer les Batral

 

 

Commandés à trois exemplaires, avec une option pour un quatrième pouvant être affermie avant 2018, les B2M vont remplacer les bâtiments de transport léger (Batral) du type Champlain, dont il ne reste que deux unités opérationnelles après le retrait du service du Jacques Cartier l’été dernier (il était en Nouvelle-Calédonie). Livrés en 1983 et 1987, le Dumont d’Urville et le La Grandière sont respectivement basés à La Réunion et aux Antilles. A bout de souffle, ces bateaux de 80 mètres ont été prolongés autant que possible en attendant leurs successeurs. Ceux-ci seront moins grands et ne pourront pas, comme les Batral, s’échouer sur une plage afin d’y débarquer une compagnie mécanisée de l’armée de Terre. Les B2M sont en fait un compromis destiné à répondre aux besoins maritimes ultramarins, dominés par les missions d’action de l’Etat en mer. Le tout dans un contexte financier très contraint, qui a poussé à arbitrer en faveur de capacités plus civiles que militaires. On notera à ce propos qu’il était initialement prévu un financement interministériel, ces bateaux étant appelés à remplir des opérations essentiellement autres que purement liées à la défense (lutte contre les trafics illicites, la piraterie et l’immigration clandestine, police de pêches, intervention contre des pollutions, assistance à des navires en difficulté, sauvetage en mer…)  Mais, finalement, c’est le ministère de la Défense qui devrait assumer seul le financement des B2M, les autres administrations s’étant retirées, probablement en raison des problématiques budgétaires. Cette décision a en tous cas bien failli faire capoter le projet…  

 

 

Les caractéristiques techniques

 

 

Longs de 65 mètres pour une largeur de 14 mètres, les B2M auront un tirant d’eau de 4.2 mètres. Le déplacement lège sera d’environ 1500 tonnes et atteindra 2300 tonnes en charge. Leur design s’inspire des navires de soutien à l’offshore de type Supply, des bateaux robustes et endurants. Dotés d’une propulsion classique avec deux lignes d’arbres, les B2M pourront atteindre la vitesse de 15 nœuds. Armés par un équipage de 20 marins, ces unités destinées à naviguer dans les vastes espaces maritimes ultramarins présentent logiquement une autonomie très importante. Ils pourront, ainsi, réaliser 30 jours d’opérations sans ravitaillement. Pour surveiller et protéger la zone économique exclusive (ZEE) française, les futurs bâtiments, équipés d’une passerelle panoramique pour offrir une visibilité à 360 degrés, auront de solides moyens de communication, notamment satellites, et seront dotés de deux mitrailleuses de 12.7mm. Ils pourront mettre en œuvre des embarcations rapides pour les interceptions et contrôles. Bien que n’ayant pas de capacité amphibie comme les Batral et que leurs possibilités d’emport seront bien plus faibles, les B2M pourront néanmoins assurer des missions d’assistance au profit des populations, notamment dans le cadre de catastrophes naturelles. A cet effet, leur vaste plage arrière pourra accueillir des conteneurs, manutentionnés à l’aide d’une grue d’une capacité de 12 tonnes à 14 mètres (ou 10 t à 17 m). Ils embarqueront également un petit chaland de débarquement de 8 mètres, qui pourra déposer à terre du matériel et du personnel. Les B2M seront d’ailleurs en mesure de projeter une petite force de 20 personnes avec armes et munitions, par exemple des soldats, gendarmes ou policiers (logements prévus à bord à cet effet, mais aussi pour l’accueil de naufragés ou de ressortissants en cas d’évacuation), ainsi que deux véhicules de type 4x4. Ils pourront également mettre en œuvre des plongeurs et des équipements sous-marins, y compris des drones.

Capables de naviguer 200 jours par an, les B2M seront, enfin, capables de porter assistance à des navires en difficulté. A cet effet, ils seront équipés de moyens de lutte contre les incendies et pourront remorquer d’autres bateaux, avec une capacité de traction au point fixe de 30 tonnes.

 

 

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© MARINE NATIONALE

Le Batral Dumont d'Urville (© MARINE NATIONALE)

 

 

Un besoin crucial pour la protection des espaces ultramarins

 

 

Très attendus par la Marine nationale, les bâtiments multi-missions sont cruciaux pour la surveillance et la protection des espaces maritimes outre-mer. Comme on le rappelle souvent, la France dispose de la seconde ZEE du monde, avec environ 11 millions de km². D’immenses espaces potentiellement riches en ressources naturelles et qu’il convient de protéger face aux convoitises de plus en plus marquées de certains pays. Il faut dire que les mers et sous-sols marins recèlent, dans certaines zones, d’importantes réserves halieutiques et minérales, sans compter les hydrocarbures et le gaz. Or, faute d’argent pour renouveler ses moyens, la marine française a vu ses effectifs outre-mer se réduire significativement ces dernières années. Et les B2M, si importants soient-ils, ne feront en fait que compenser partiellement le trou capacitaire. Car ils ne remplaceront au mieux (rappelons que le quatrième n’est pas inscrit dans la Loi de Programmation Militaire) que les quatre anciens Batral (en comptant le Francis Garnier, désarmé en 2010). Aucun programme de remplacement n’est encore lancé pour les patrouilleurs du type P400, dont les quatre derniers survivants, qui datent de 1987, vont bientôt prendre leur retraite, de même que l’Albatros (1967) et l’Arago (1991). Leurs successeurs, les futurs bâtiments d’intervention hauturiers (Batsimar), n’ont là encore pour des questions budgétaires, pas été inscrits à l’actuelle LPM et ne devraient donc l’être qu’à la suivante, à partir de 2020. Seule consolation, en plus des B2M, la DGA doit commander cette année deux patrouilleurs spécialement conçus pour opérer en Guyane et qui remplaceront les deux P400 actuellement basés dans cette zone.

 

 

Du travail pour Concarneau, qui respire

 

 

En dehors de leur intérêt opérationnel, les B2M ont également un impact industriel. Pour Piriou, la notification de ce contrat est une excellente nouvelle, d’autant que le site de Concarneau devait impérativement regarnir son carnet de commandes. Le chantier breton ne dispose en effet, actuellement, que du navire de voyage de 76 mètres destiné à un entrepreneur français. Commandé en juin 2012 et livrable en mai 2015, ce bateau voit son assemblage s’achever et il va bientôt sortir de son hall de construction pour recevoir ses infrastructures. Cela signifie que Piriou et ses sous-traitants ont du travail dans les domaines de la finition jusqu’en 2015, mais que la charge se tarissait pour les métiers de coque. La construction des B2M, dont la tête de série sera mise en chantier cette année, va donc alimenter la machine concarnoise et assurer 200 emplois. « Cette commande était fondamentale pour nous. D’abord sur le plan pratique car nous en avions besoin pour éviter un creux de charge en 2014, mais aussi bien sûr sur le plan stratégique puisque qu’elle donne corps à notre collaboration avec DCNS qui se voit ainsi mise sur orbite avec de belles perspectives à suivre, notamment à l’export. Je suis extrêmement heureux que notre collaboration porte ses fruits aussi vite grâce à une parfaite entente entre nos équipes », se félicite Pascal Piriou.   

 

 

Le premier contrat de Kership ?

 

 

DCNS et Piriou sont, en effet, désormais alliés au sein d’une société commune, Kership, détenue respectivement à 45% et 55% par les deux partenaires. Dédiée à la commercialisation de patrouilleurs de moins de 100 mètres conçus aux normes civiles, cette coentreprise a été créée au printemps dernier. C'est-à-dire après que DCNS et Piriou aient répondu conjointement à l’appel d’offres de la DGA sur le programme B2M. Légalement, ce n’est donc pas Kership qui est titulaire du marché mais les deux industriels cherchent un accord avec l’Etat pour que le contrat lui soit transféré. En attendant, chacun gère sa partie, la conception et la construction pour Piriou, soit environ 75% de la valeur de la commande, et pour DCNS les études sur les parties militaires (très limitées) et la fourniture des systèmes de communication embarquée, en attendant le MCO.

On notera que le succès de Piriou et DCNS en a surpris plus d’un, le premier n’ayant pas d’expérience dans la construction militaire et le second n’étant pas réputé pour être bon marché sur les plateformes peu complexes. De plus, l’enveloppe budgétaire dévolue à ce programme est très serrée, soit à peine 100 millions d’euros, maintenance comprise. S’il est clair que le tandem a fait une offre commercialement agressive pour l’emporter et au passage permettre à Kership de pénétrer un nouveau segment de marché, on assure néanmoins en coulisses que ce contrat n’a pas été pris à perte. Pour assurer la rentabilité du projet, une utilisation massive de la modélisation numérique est prévue, ainsi qu’une préfabrication très poussée, afin de réduire les délais et coûts de fabrication. Dans le même temps, les sous-traitants et équipementiers sont invités à faire des efforts, surtout que les B2M sont des bateaux peu complexes réalisés aux normes civiles, ce qui ne justifie pas les écarts de prix parfois significatifs constatés avec les constructions militaires (y compris pour des produits équivalents). En définitive, les deux industriels mettent donc en avant leur capacité à être concurrentiels. « Cette marque de confiance de la DGA démontre la capacité commune de DCNS et Piriou à proposer des offres globales compétitives de conception, réalisation et maintenance de navires de petits et moyens tonnages. Ce succès commun entre nos deux groupes renforce notre alliance avec Piriou et donne du souffle à notre partenariat », se félicite Bernard Planchais, directeur général délégué de DCNS.

 

 

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© DCNS

L'Adroit, prototype de la gamme Gowind OPV (© DCNS)

 

 

Sous-traitance potentielle en cas d’autres commandes

 

 

Forts de ce premier succès, les deux partenaires espèrent décrocher d’autres contrats dans les prochains mois. Pas forcément encore pour des unités du type B2M ou dérivées, puisque ce sont des bateaux réalisés sur mesure pour le ministère français de la Défense et qui ne sont pas encore éprouvés à la mer ni « labellisés » Marine nationale, ce qui est un facteur déterminant  dans la vente de bâtiments militaires. Il y a en revanche des perspectives intéressantes du côté de la gamme Gowind OPV de DCNS, versée à Kership. Après trois ans de mise à disposition du prototype de cette nouvelle génération de patrouilleurs hauturiers, L’Adroit, réalisé sur fonds propres par DCNS, sera restitué par les marins français en octobre 2014. Kership entend bien, d’ici là, le vendre à une flotte étrangère et en profiter pour obtenir au passage la commande de sisterships. La piste de l’Uruguay a notamment été évoquée cet hiver. Mais la gamme Gowind intéresse aussi d’autres pays. Tant et si bien que, si des commandes sont enregistrées et qu’elles comportent tout ou partie de la construction en France, le chantier de Concarneau ne pourra répondre à la demande. Idem si Piriou engrange le contrat du ferry que le Conseil général du Morbihan doit commander cette année pour renouveler les moyens affectés à la desserte de l’île de Groix.  

Dans cette perspective, Piriou s’est laissé des marges de manœuvre : s’il n’y a pas d’autre(s) commande(s) rapidement, les trois B2M seront intégralement réalisés par son site finistérien et, si de bonne nouvelles interviennent, une partie du travail sera sous-traité. Dans ce cas, différentes pistes sont à l’étude, y compris celle consistant à confier au site STX de Lorient la réalisation de blocs.

 

 

Quid de l’absorption éventuelle de STX Lorient 

 

 

Quant à savoir si la montée en puissance de Kership pourrait se traduire par une restructuration des chantiers du sud de la Bretagne, à savoir l’absorption de STX Lorient par la société commune de DCNS et Piriou, rien n’est encore fait. Certes, l’intérêt est là, ce n’est pas un secret. Mais plusieurs facteurs doivent être pris en compte. D’abord, STX France, dont le chantier principal est à Saint-Nazaire, doit éclaircir sa stratégie quant à l’avenir de son site lorientais, qui peut aussi dépendre du désengagement éventuel de son actionnaire principal, le groupe sud-coréen STX Shipbuilding. Pour qu’un rapprochement aboutisse, il faut ensuite qu’il soit vendeur. Il devrait également composer avec son actuel client principal, Raidco Marine, qui fait construire à Lorient une partie de ses patrouilleurs vendus à l’export et qui se retrouve donc, de facto, en concurrence potentielle avec Kership. Dans le même temps, l’hypothèse d’un rapprochement suppose implique que les commandes enregistrées par DCNS et Piriou soient suffisamment nombreuses pour permettre l’accroissement de capacité engendrée par une telle opération. Tout dépend donc du contexte et de l’évolution du marché. Une vraie question de pragmatisme industriel.    

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