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Une frégate multi-missions construite pour la Marine nationale pourrait changer de pavillon et devenir égyptienne. L’information circulait dans les milieux bien informés depuis un certain temps et nous nous en étions implicitement fait l’écho dans un article en date du 21 novembre. Nous avions cependant décidé de ne pas évoquer précisément le souhait du Caire d'acquérir une FREMM, qui proviendrait du stock des frégates françaises, afin de ne pas nuire à des négociations toujours sensibles pour des projets soumis à une forte concurrence. Avant d’arriver à Paris, le président égyptien, qui a déjeuné hier avec François Hollande, était par exemple à Rome, où l’on cherche également à vendre la version italienne de la frégate multi-missions.

 

Une livraison dès 2015 après modifications ?

 

Ce sont donc nos confrères de La Tribune qui ont lâché le morceau hier après-midi, révélant que la Normandie, seconde FREMM française, serait susceptible d’être vendue à l’Egypte pour une livraison dès 2015, Le Caire souhaitant disposer d’une nouvelle frégate très rapidement. Ce projet d'acquisition, qui n’est pas confirmé officiellement, s’ajouterait aux quatre corvettes de 2500 tonnes du type Gowind commandées cette année. La première, qui sera réalisée par DCNS à Lorient, doit être livrée à l’été 2017, alors que les trois suivantes doivent être construites localement, en transfert de technologie. Les discussions se poursuivent par ailleurs en vue de prolonger le contrat avec deux unités supplémentaires, fabriquées comme la tête de série en France.

Pour en revenir à la Normandie, dont la livraison à la Marine nationale est prévue dans les prochaines semaines, son éventuel transfert à l’Egypte nécessiterait des modifications. Il faudrait, notamment, débarquer les installations de lancement des missiles de croisière MdCN (16 cellules) et les remplacer éventuellement par des silos pour missiles surface-air Aster, sachant que la frégate dispose déjà de 16 cellules pour Aster 15. Il serait, en outre, nécessaire d'adapter différents systèmes aux standards égyptiens, à commencer par les communications. Et, bien entendu, assurer la formation d’un équipage, ce qui serait probablement l’un des grands défis d’un tel contrat compte tenu du calendrier évoqué.

 

Des conséquences pour la Marine nationale

 

Si celui-ci devait être confirmé, le transfert de la frégate française ne serait pas sans conséquence pour la Marine nationale, qui verrait une nouvelle fois sa seconde FREMM vendue à l’export. Il ne faut en effet pas oublier que la première Normandie a été achetée par le Maroc, qui l’a réceptionnée début 2014 sous le nom de Mohammed VI. Une vente qui, dans un contexte budgétaire très tendu, avait permis au ministère de la Défense de différer une partie des investissements liés au programme FREMM, logique qui s’applique aussi dans le cas de l’Egypte.  

Concernant la marine française donc, la cession potentielle de la Normandie pose plusieurs problèmes. D’abord, ce bâtiment doit venir renforcer à Brest la tête de série, l’Aquitaine, livrée par DCNS en novembre 2012 et qui doit être admise au service actif cet hiver. Les capacités des deux bâtiments sont très attendues, notamment pour la protection des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force Océanique Stratégique. Cela, alors que les frégates anti-sous-marines Georges Leygues et De Grasse ont été désarmées en 2012, ne laissant à Brest que les Primauguet, La Motte-Picquet et Latouche-Tréville. Une situation qui, d’ailleurs, pouvait laisser imaginer que ce soit plutôt la troisième FREMM française, la Provence (actuellement en essais pour une livraison en 2015), voire même la suivante, la Languedoc (livrable en 2016), qui soit vendue à l’Egypte. Mais, finalement, ce serait donc la Normandie qui aurait été désignée, probablement pour des questions de timing.

Moyennant quoi, ponctionner une frégate destinée à l'Atlantique ou une prévue pour être basée en Méditerranée pose dans tous les cas des problèmes. Car il n’y a pas qu’à Brest que le besoin en moyens ASM se fait sentir. A Toulon, suite au retrait du service cette année du Dupleix, il ne reste plus que deux frégates anti-sous-marines, le Montcalm et le Jean de Vienne, qui vont être désarmées dans les toutes prochaines années et dont l’une des missions principales est l’escorte du porte-avions Charles de Gaulle. C’est pourquoi il a été décidé de baser la Provence et la Languedoc à Toulon.

Si la vente de la Normandie se confirme, la marine française devra donc faire un choix difficile, entrainant potentiellement le repositionnement de certains bâtiments. Avec, quoiqu'il arrive, la problématique de devoir maintenir encore un peu plus des unités hors d’âge, tout en voyant accentuée la problématique déjà délicate de la cohabitation de deux générations de bâtiments pour lesquels la formation des marins, les capacités et jusqu’au concept d’emploi sont très différents. En somme, un beau casse-tête en perspective.

 

Cap sur les FTI

 

D’autant que ce projet égyptien brouille encore un peu plus la configuration de la future flotte française de frégates. Déjà, sur les 11 FREMM commandées, il n’y a plus grand monde pour croire que la série ira au-delà de 8 unités, dont deux avec des capacités antiaérienne renforcées. Le sort des trois dernières doit, officiellement, être fixé en 2016. Au-delà de ces trois bateaux, il convient de se demander si une nouvelle FREMM sera commandée en cas de vente de la Normandie. Ce n’est pas certain. Car l’argent économisé par cette opération, sans compter d’autres contrats potentiels de frégates (Arabie Saoudite, Qatar) pourrait permettre d’anticiper le lancement des futures frégates de taille intermédiaires (FTI), dont seules les études sont pour le moment budgétées dans l’actuelle loi de programmation militaire (2014-2019). Pour les industriels, DCNS en tête, ce programme est important car il doit permettre de faire travailler l’ingénierie sur un nouveau projet et développer un bâtiment moins complexe et donc supposé plus facilement vendable à l’export. Le plus tôt serait donc le mieux, d’autant que l’une des grandes innovations de la FTI, la mâture intégrée avec radar à faces planes, sera techniquement prête avant la fin de la décennie. A cet effet, les efforts de R&D se sont récemment concentrés, via notamment le plan d’études Topside et le radar Sea Fire 500 de Thales. Destinées à remplacer tout ou partie des La Fayette au cours de la prochaine décennie, les FTI pourraient donc voir le jour un peu plus tôt. Ce qui ne poserait pas de problème pour DCNS dont l’outil industriel, initialement calibré pour produire une frégate tous les 7 mois, peut très bien absorber des FTI en plus des FREMM, dont la cadence de production va être portée à une unité tous les 12 mois. La cible serait de cinq ou six FTI qui, en complément des deux frégates de défense aérienne du type Horizon et des FREMM, permettraient d’atteindre le format de 15 frégates de premier rang fixé par le dernier Livre blanc sur la défense.

 

Navigation à vue pour les marins français

 

Tout cela n’est évidemment que suppositions ou réflexions dans une situation qui commence à devenir passablement trouble et au sein de laquelle il faut bien reconnaitre que la marine française n’a guère de visibilité à moyen terme. Avec une flotte réduite et dans certains cas à bout de souffle, des missions toujours aussi nombreuses voire même des besoins croissants, des programmes amputés, retardés et potentiellement ponctionnés pour l’export et le renflouement des caisses de l’Etat, la menace permanente d’un dérapage financier de la LPM qui imposerait de nouvelles coupes sombres, une situation économique qui ne s’améliore pas et fait craindre d’autres restrictions, sans même parler de l’affaire des BPC russes dont on ne connait pas l’issue … La visibilité est aujourd’hui aussi bonne que pour une navigation en plein brouillard et sans radar. 

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