Aller au contenu principal

Les semaines se suivent mais heureusement ne se ressemblent pas pour Naval Group. Après le choc de l’abandon du programme des sous-marins australiens, la France a remporté une très belle victoire en Grèce. Hier, au lendemain de l’inauguration d’une grande exposition Paris-Athènes au musée du Louvre, Emmanuel Macron et le premier ministre grec ont tenu une conférence de presse commune à l’Elysée. Kyriákos Mitsotákis a annoncé la signature d’un « nouvel accord de partenariat stratégique de coopération en matière de sécurité et de défense » et, dans ce cadre, le choix d’équiper la marine hellénique de frégates conçues et réalisées par Naval Group. Un protocole d’accord (Memorandum of Undersanting – MoU) a été signé en ce sens pour la fourniture de trois frégates du type FDI, avec une option pour une quatrième.

Une commande attendue dans les trois mois

Naval Group et MBDA (qui fournira les missiles) sont entrés dans une phase de négociations avec le gouvernement grec en vue d’aboutir rapidement à une commande. « C’est une question de trois mois maximum, d’ici la fin de l’année le contrat doit être signé », indique Hervé Grandjean, porte-parole du ministère français des Armées, qui assure n’avoir « pas de doute sur l’aboutissement » de cette affaire.

Après l’échec d’une lettre d’intention signée fin 2019 par Florence Parly et son homologue grec, le projet étant finalement rouvert à la compétition internationale sous la pression américaine, Paris a tout mis en œuvre ces dernières semaines pour emporter la décision d’Athènes. L’enjeu n’en était devenu que plus grand après le camouflet australien, qui a notamment provoqué une crise diplomatique et une grave crise de confiance avec les Etats-Unis. Après cette gifle, il fallait rebondir.   

Un deal bien meilleur pour Lorient que le projet initial

C’est donc chose faite et cette décision d’Athènes est d’autant plus importante que, contrairement aux sous-marins où Naval Group dispose d’un solide plan de charge (et n’aurait eu après les études qu’une activité industrielle réduite en France), l’industriel français devait impérativement engranger des commandes de navires de surface. Sans quoi son chantier de Lorient se serait rapidement retrouvé en grande difficulté. Le choix grec permet d’éviter ce trou d’air. Surtout, et c’est une évolution majeure, qu’il ne s’agit plus, comme en 2019, de construire la seule tête de série en France puis les autres frégates en transfert de technologie. Cette fois, toutes les FDI destinées à la marine hellénique sortiront de Lorient. L’industrie grecque sera quand même associée au programme, la production locale de « sous-ensembles » étant prévue selon le ministère des Armées, sans que l’on sache pour le moment de quoi il s’agira précisément. Naval Group s’appuiera sur la centaine d’entreprises grecques avec lesquelles le groupe avait pris langue pour le projet initial afin de voir comment les associer au programme. Mais la majorité de la charge de travail sera bien pour Lorient, ce dont se félicitent des syndicats comme la CFE-CGC et l’UNSA.

Les deux premières unités livrées dès 2025

D’un montant annoncé à 3 milliards d’euros, ce projet porte sur la construction de trois unités du type FDI (frégates de défense et d’intervention) et leur maintien en condition opérationnelle (MCO) pendant trois ans après leur livraison. Pour répondre au souhait d’Athènes de disposer au plus vite de ces unités, ce qui a semble-t-il été déterminant dans le choix grec face aux offres concurrentes, Naval Group va prélever ces bâtiments sur la chaine de production des FDI commandées pour la flotte française. La tête de série du programme, l’Amiral Ronarc’h, dont la construction a débuté en octobre 2019 et qui sera mis sur cale en décembre prochain à Lorient, sera bien livré à la Marine nationale au printemps 2024. Ce qui est logique pour permettre le retour d’expérience nécessaire sur un prototype afin de faciliter la production et la mise au point des unités de série. En revanche, les deux frégates suivantes, prévues pour être achevées au printemps et à l’automne 2025, partiront pour la Grèce. Deux autres FDI suivront en 2026, (l’ordre reste à définir) soit une pour la Grèce et l’autre pour la France, pour laquelle cinq frégates de ce type sont prévues. La troisième unité française suivra en 2027 et les deux dernières en 2028 et 2029, conformément au calendrier initial. Le plan de charge du chantier de Lorient est donc sécurisé pour plusieurs années.

Maintenir une forte cadence de production

Mais Naval Group, qui s’est fixé pour objectif d’optimiser ses capacités industrielles pour réduire les délais de production à seulement 30 mois pour une frégate et 20 mois pour une corvette, va tout faire pour conserver une cadence d’au moins deux frégates et/ou corvettes livrées par an. Ce sera le cas en 2022 avec l’achèvement de la dernière frégate du programme FREMM, la Lorraine, ainsi que la première des deux corvettes du type Gowind commandées par les Emirats Arabes Unis. La seconde devrait suivre en 2023 qui, comme 2024 avec une seule livraison prévue (la première FDI française), seront deux années de transition avant le retour aux doubles livraisons à partir de 2025. La cadence est donc maintenant assurée pour 2026 et, si la Grèce exerce son option pour une quatrième FDI, ce devrait être aussi le cas en 2027. A charge maintenant de Naval Group de compléter encore ce plan de charge pour maintenir le rythme dans les années qui suivront.

Des frégates très proches des FDI françaises

Les FDI grecques seront quasiment identiques à leurs cousines françaises. Ces bâtiments de près de 122 mètres de long et 4500 tonnes de déplacement en charge seront dotés du système de combat SETIS de Naval Group. Ils mettront en œuvre des missiles surface-air Aster (jusqu’à 32), en l’occurrence des Aster 30 Block 1 précise MBDA (missile à capacité de défense antimissile balistique initiale contre des engins d'une portée allant jusqu'à 600 km) ; la dernière génération du missile antinavire Exocet MM40, le Block3C (deux lanceurs quadruples), des torpilles MU90, une tourelle de 76 mm et deux canons téléopérés de 20 mm. Devrait s’y ajouter un système surface-air américain RAM. L’intégration de missiles de croisière navals (MdCN), un temps évoqué, n’est cependant plus d’actualité.

 

262034 fdi
© NAVAL GROUP

(© : NAVAL GROUP)

 

Côté électronique, les principaux équipements seront fournis par Thales, avec un radar à quatre panneaux fixes Sea Fire, un sonar de coque KingKlip Mk2 et un sonar remorqué Captas-4 leur conférant des capacités de défense aérienne et de lutte anti-sous-marine de premier plan. Les frégates grecques n’embarqueront pas un hélicoptère NH90 comme les FDI françaises mais un MH-60R américain (7 ont été commandés par la Grèce) doté d’un sonar trempé ALFS de Thales. Il n’est à ce stade par prévu de drone aérien embarqué, comme le VSR700 d’Airbus dont doivent disposer les FDI françaises.

L’hypothèse de corvettes Gowind construites en Grèce

Au-delà de ces trois à quatre frégates, la presse hellénique a également évoqué ces derniers jours trois à quatre corvettes du type Gowind, qui seraient réalisées en Grèce en transfert de technologie. Une hypothèse qui semble pour l’instant prématurée : « Les corvettes Gowind peuvent faire l’objet d’une solution pour répondre aux besoins de la marine grecque qui ne seront pas épuisés avec la commande des frégates. Nous verrons dans la période à venir si ce besoin est confirmé et si des discussions plus avant sont menées », explique prudemment Hervé Grandjean. Avant cette éventuelle étape supplémentaire, qui aurait un grand intérêt pour l’industrie navale hellénique, la priorité est clairement de boucler la commande des FDI.

 

229225 gowind egypte elfateh
© JEAN-CLAUDE BELLONNE

Corvette du type Gowind (© : JEAN-CLAUDE BELLONNE)

 

Pas de solution intérimaire

Quant aux deux autres volets du plan de renouvellement de la marine grecque tel que présenté ces derniers mois, on se souvient qu’Athènes souhaitait une solution intérimaire portant sur la fourniture de frégates d’occasion en attendant l’arrivée des unités neuves. L’offre française portant sur la cession de la frégate anti-sous-marine Latouche-Tréville et de la frégate antiaérienne Jean Bart, mises en service en 1990 et 1991 a été déclinée (la première sera donc comme prévu désarmée en 2022 alors que la seconde, prolongée durant quelques mois, a été retirée du service fin août). Comme les deux premières FDI grecques seront livrées dès 2025, ce besoin n’a peut-être plus lieu d’être. Quant à la rénovation des quatre unités du type allemand Meko 200 HN de la marine hellénique (entrées en flotte entre 1992 et 1998), on ne sait pas si Naval Group se positionne toujours sur ce volet.

50 ans après les Combattantes de CMN et 140 ans après un trio de cuirassés

Les FDI seront en tous cas les premiers bâtiments de combat de la marine grecque construits en France depuis les patrouilleurs lance-missiles du type Combattante livrés par les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) dans les années 70. Et pour des unités de premier rang, il faut remonter comme le rappelait hier Kyriákos Mitsotákis aux cuirassés Hydra, Spetsai et Psara, construits à Saint-Nazaire (le premier) et Le Havre (les deux autres) où ils furent lancés en 1889 et 1890. La livraison des premières FDI grecques, en 2025, coïncidera avec le 140ème anniversaire de leur commande, en 1884/85.

Une alliance renforcée entre Paris et Athènes

Après la décision de la Grèce d’acquérir 24 avions de combat Rafale (6 appareils supplémentaires allant s’ajouter aux 18 initialement commandés), le choix des FDI confirme le renforcement sensible des relations avec la France, en particulier sur le plan militaire. Des liens qui s’étaient manifestés l’an dernier lorsque Paris avait apporté un soutien appuyé à Athènes pendant la crise avec la Turquie, envoyant notamment des bâtiments de combat et des avions de chasse en Méditerranée orientale. « Aujourd’hui est un jour historique pour la Grèce et la France car nous avons pris la décision d’améliorer notre coopération bilatérale de défense en renforçant l’engagement de nos deux Etats pour une meilleure coalition, pour une entraide mutuelle et une action commune dans tous les domaines. La Grèce et la France ont déjà développé une alliance puissante qui va au-delà de nos obligations mutuelles stipulées dans la cadre de l’Union européenne et de l’OTAN. Nous sommes liés par des valeurs communes : l’attachement à la liberté, à la démocratie, aux droits de l’homme et bien sûr le respect du droit international et notamment la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Ces accords d’aujourd’hui viennent solidifier cette relation étroite », a souligné hier le premier ministre grec.

Kyriákos Mitsotákis appelle à renforcer l’Europe de la défense

Mais Kyriákos Mitsotákis, en parfait accord avec Emmanuel Macron qui cherche à développer l’autonomie européenne en matière de défense, alors que de nombreux pays de l’UE restent « inféodés » aux Américains, a aussi donné à cette annonce une forte dimension politique en ce sens : « La Grèce et la France font aujourd’hui un premier pas audacieux vers l’autonomie stratégique européenne, nous avons avec le président Macron une vision commune : développer les activités de défense nécessaires et la capacité de l’Europe à répondre de manière autonome aux défis auxquels elle est confrontée. Notre accord ouvre la voie vers l’Europe de demain : puissante et autonome, une Europe capable de défendre ses intérêts dans la région de la Méditerranée, du Moyen-Orient et du Sahel, une Europe qui disposera de moyens et la volonté de garantir la sécurité à l’échelle mondiale, une Europe qui ajustera enfin son pouvoir géopolitique sur sa puissance économique ». Et d’estimer que cet objectif ne va pas à l’encontre de l’OTAN et des Etats-Unis : « En renforçant sa défense l’Europe ne fait que consolider l’alliance transatlantique ».

© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.

 

Aller plus loin

Rubriques
Défense
Dossiers
Naval Group