Annoncée en décembre 2013, la commande de 36 avions de combat suédois Gripen NG a été signée par le Brésil le 24 octobre. D’un montant de 5.4 milliards de dollars, le contrat porte sur la livraison par Saab à la Force Aérienne Brésilienne de 28 monoplaces et 8 biplaces entre 2019 et 2024. Il comprend aussi la formation des pilotes et des mécaniciens chargés d’assurer la mise en oeuvre et la maintenance des futurs appareils, ainsi que tout le volet de transfert de technologie qui permettra à l’industrie brésilienne de produire localement d’autres Gripen, sous la houlette d’Embraer. Le renouvellement des moyens de la FAB pourrait en effet se traduire par la réalisation à terme d’une centaine d’avions de combat. D’autant que la flotte brésilienne est elle aussi intéressée par le programme et l’a fait savoir sitôt l’annonce de la signature du contrat avec Saab connue. « Pour la marine du Brésil, cet accord représente la première étape d’un processus qui permettra, à l’avenir, de disposer d’un avion pour un emploi naval », a indiqué l’état-major de la marine brésilienne, dans un communiqué illustré avec une photo présentant une maquette du porte-avions Sao Paulo avec des Gripen sur son pont d’envol. Des images de synthèse existent aussi, comme celle diffusée par Defensa Aerea & Naval.

Image de synthèse du Sao Paulo avec des Sea Gripen (© : DEFENSA AEREA & NAVAL)
Manque de moyens financiers pour lancer PRONAE
L’ex-Foch de la marine française, mis en service en 1963 et transféré au Brésil en 2001, ne dispose pour l’heure que de vieux A-4 M Skyhawk datant de 1977. Des avions périmés que la marine brésilienne souhaite voir remplacés par de nouveaux appareils. La construction de nouveaux porte-avions est aussi voulue dans le cadre du projet PRONAE. Mais les problèmes économiques rencontrés par le Brésil, s’ils n’ont pas remis en cause les ambitions du pays de se doter d’une force de projection aéronavale, retardent clairement le lancement de ce programme. Du coup, en attendant d’avoir les moyens de construire de nouveaux porte-avions, le Brésil étudie la refonte du Sao Paulo. Un bâtiment aujourd'hui très ancien et qui navigue relativement peu. Le contenu de l’éventuel chantier de rénovation n’est pas connu à ce jour, aucun contrat en ce sens n’ayant encore été lancé. Mais il faudra remotoriser le bateau, dont le système propulsif, basé sur des chaudières à vapeur, est à bout de souffle. De plus, il parait clair que les travaux tiendront compte des nouveaux avions embarqués que la marine brésilienne souhaite acquérir. Avec deux options possibles : soit conserver les deux catapultes à vapeur de 50 mètres dont est doté l’ex-Foch, soit les débarquer et intégrer éventuellement à la proue du bateau un tremplin.
Le Sea Gripen, dévoilé en 2010 (© : SAAB)
Saab a dévoilé la version navalisée de son avion en 2010
Lors que Saab a dévoilé en 2010 le Sea Gripen, version navalisée de son avion de combat, le constructeur suédois avait affirmé qu’il pouvait être développé en modes CATOBAR (Catapult Assisted Take Off Barrier Arrested Recovery) et STOBAR (Short Take Off Barrier Arrested Recovery).En clair, des lancements au moyen de catapultes ou d’un tremplin, et une récupération sur une piste oblique dotée de brins d’arrêt. Toujours selon les déclarations de Saab à l’époque, la navalisation du Gripen nécessiterait des travaux afin de renforcer la structure de l'avion et le doter d'une crosse d'appontage (et d'un train avant renforcé pour la variante catapultée). Mais, selon l’avionneur, ces développements seraient limités compte tenu de la robustesse de la cellule. Celle-ci, ont fait valoir les Suédois, a été conçue pour permettre à l'appareil de se poser à faible vitesse avec une pente de descente élevée, par exemple sur une autoroute. Le poids à vide du Sea Gripen serait de 8 tonnes, la masse maximale au catapultage de la version CATOBAR (la plus lourde) étant de 16.5 tonnes et de 11.5 tonnes à l’appontage. Quant à l’autonomie, elle était donnée à 1400 km.

Gripen (© : SAAB)
Du conventionnel au naval, une opération très complexe
Au-delà des assurances de Saab, la robustesse de la cellule du Gripen est-elle suffisante pour pouvoir décliner relativement facilement l’avion pour un emploi sur porte-avions ? Rien de moins sûr. L’expérience a, en effet, montré que les appareils embarqués étaient très spécifiques et techniquement bien éloignés des variantes conventionnelles employées par les forces aériennes. La France l’a notamment appris lorsqu’elle a tenté, à la fin des années 60, de développer une version navalisée du Jaguar. Après un premier vol en 1969 du prototype, qui réalisa son premier appontage sur le Clemenceau à l’été 1970, le programme Jaguar Marine fut abandonné en 1973. Trop compliqué et trop cher, alors que les performances de l’appareil dans sa version embarquée n’étaient pas au rendez-vous. Depuis, on a d’ailleurs coutume de dire chez Dassault Aviation que pour transformer un avion classique en chasseur embarqué, il faut modifier 80% de l’appareil. Ce qui coûterait une fortune et explique pourquoi, lorsqu’est venu le temps du Rafale, la variante navale a été conçue dès l’origine.
Il reste maintenant à voir si Saab et l’industrie brésilienne seront capables techniquement et dans une enveloppe budgétaire maîtrisée de développer un Sea Gripen. En clair, de prouver que cette version n'était pas, en 2010, qu’un simple effet d’annonce destiné à séduire des clients potentiels, comme le Brésil mais aussi l’Inde à l’époque. Alors que, malgré l’intérêt affiché de la marine et de l’Etat brésilien, qui voient là une bonne occasion d’homogénéiser le parc d’avions de combat du pays et donc de réduire les coûts, le Sea Gripen ne fait pour le moment l’objet d’aucun contrat.

Gripen avec missiles antinavire RBS 15 (© : SAAB)
Coopération avec l’Argentine
On notera par ailleurs que le Brésil et l’Argentine ont conclu quelques jours avant la signature du contrat avec Saab un accord de coopération de leurs industries aéronautiques. Buenos Aires a, à cette occasion, annoncé un projet d’achat de 24 Gripen NG, qui pourraient être produits au Brésil avec l’appoint de sociétés argentines comme fournisseurs. En dehors de son armée de l’Air, l’Argentine pourrait également s’intéresser au Sea Gripen en vue de remplacer ses 10 derniers Super Etendard. Depuis le désarmement en 1997 du seul porte-avions argentin, le Veinticinco de Mayo (ex-HMS Venerable, ex-Karel Doorman), la marine de ce pays ne dispose plus de groupe aérien embarqué. Mais un rapprochement a eu lieu avec le Brésil, des essais d’embarquement de Super Etendard argentins intervenant en 2002 sur le Sao Paulo. Le programme Gripen pourrait donc être l’occasion de relancer la coopération entre les aéronavales brésilienne et argentine, débouchant pourquoi pas, si les finances et la politique le permettent, sur un futur programme conjoint, y compris au niveau des futurs porte-avions.