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Bien qu’elle n’y possède aucun territoire, la France s’intéresse de très près à la région de l’Arctique, y compris sur le plan militaire. Ces dernières années, la Marine nationale a, au cours de déploiements et d'exercices, régulièrement déployé des bâtiments au large du Groenland et de la Norvège, y compris en mer de Barents, qu’il s’agisse de remorqueurs de haute mer mais aussi de frégates et, plus discrètement, de sous-marins. Lors de l'exercice OTAN Brillant Mariner, en 2010, le porte-avions Charles de Gaulle avait lui-même franchi le cercle polaire. Bien qu'il s'agissait surtout, à l'époque, de trouver un terrain de dégagement pour le groupe aérien embarqué suite à l'éruption du volcan islandais Eyjafjöl, cette première avait marqué les esprits. 

 

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© MARINE NATIONALE - J. LEMPIN

Le Charles de Gaulle dans le Grand Nord au printemps 2010 (© : MARINE NATIONALE)

 

La présence navale de la France autour de l'Arctique est en passe, si ce n'est de devenir permanente, du moins de s'accentuer. Le dernier déploiement en date est celui du La Motte-Picquet, qui a effectué une mission Narval (c'est ainsi que l'on appelle les missions des unités de combat dans le grand nord) du 30 octobre au 2 décembre. Basée à Brest, la frégate anti-sous-marine a évolué jusqu'à l’extrême nord de la Norvège. A cette occasion, elle ne naviguait pas seule puisqu’un sous-marin nucléaire d’attaque était également de la partie. Deux mois plus tard, la marine française a envoyé dans la région d’importants moyens, comprenant notamment deux frégates ASM, le Primauguet et le Latouche-Tréville, qui doivent appareiller de Brest cette semaine. Les bâtiments participeront à un exercice international organisé par la Norvège et axé sur la guerre sous-marine.

 

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© MICHEL FLOCH

La frégate Latouche-Tréville (© : MICHEL FLOCH)

 

Des enjeux économiques, scientifiques et de militaires

Le renforcement des missions dans le grand nord, qui vont se poursuivre aussi bien en été qu’en hiver, s’explique par des enjeux économiques, environnementaux et de défense. Avec la fonte des glaces, il y a bien entendu les perspectives d’exploration et d’exploitation futures de ressources naturelles, ainsi que l’ouverture des routes commerciales arctiques. Si le passage du nord-ouest est pour l’essentiel resté fermé en 2014, ne voyant que quelques rares navires transiter au nord du Canada, le passage du nord-ouest, qui rejoint l’Extrême-Orient en longeant la Russie, fut ouvert entre quatre et cinq mois. Le trafic commence à s’y développer et, pour soutenir cette croissance, de nouveaux navires sont en cours de construction. La Russie investit notamment dans de nouveaux brise-glaces et des méthaniers à coque renforcée, conçus pour opérer en zones polaires, ont été commandés aux chantiers sud-coréens. Ils serviront à acheminer les productions de GNL des grands champs en cours de développement dans le nord de la Russie.

 

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© MARINE NATIONALE - M. MULLER

Le Tenace lors de la mission Grand Nord 2014 (© : MARINE NATIONALE)

 

Le climat, les glaces, la faune et la flore

D’importants enjeux environnementaux sont, dans le même temps, liés à la région de l’Arctique. Des enjeux qui intéressent l’ensemble de la communauté internationale, en particulier dans le cadre de l’étude du réchauffement climatique et de ses conséquences. Dans une énorme zone polaire qui n’appartient légalement à personne, bien que les revendications territoriales soient légion, la France entend aussi jouer son rôle d’un point de vue scientifique. Ainsi, les remorqueurs de haute mer de la Marine nationale, capables de naviguer dans les glaces, effectuent régulièrement des missions Grand Nord, participant notamment à des programmes de recherche, en embarquant du matériel et du personnel scientifiques. Ce fut encore le cas cet automne avec un déploiement du RHM Tenace. Il s’agit par exemple de contribuer aux études liées au suivi du climat et des glaces, à certains aspects des conditions météorologiques, ou encore à la faune et à la flore.

 

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© JEAN-CHRISTOPHE L'ESPAGNOL

Frégate glacée, ici à Saint-Pierre et Miquelon (© : J-C L'ESPAGNOL)

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© JEAN-CHRISTOPHE L'ESPAGNOL

Frégate glacée, ici à Saint-Pierre et Miquelon (© : J-C L'ESPAGNOL)

 

Se familiariser avec les opérations en zone arctique

L’un des grands objectifs de ces déploiements est aussi de permettre aux bâtiments et à leurs équipages d’évoluer dans des conditions extrêmes, bien éloignée des environnements habituellement fréquentés par la flotte française, si ce n'est quelques brefs passages dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon au large de Terre Neuve. En Arctique, les marins travaillent différemment, ne serait-ce qu’au niveau des tenues et des sorties sur les extérieurs, parfois glacés. Il convient aussi d’évaluer les capacités du matériel à être mis en œuvre en zones polaires. Comment opérer un hélicoptère embarqué avec les contraintes du givre ? Comment mettre en œuvre des plongeurs dans des eaux dont la température est proche de 0°C ? Comment se comportent les moyens de communication et de détection, tant au dessus qu’en dessous de la surface de ces eaux très froides ? Et de là, quel concept d’emploi adopter ? Cela fait partie des enjeux opérationnels de ces missions, dont l’un des principaux objectifs est de mieux connaître la zone pour s’y familiariser et y opérer le plus efficacement possible.

 

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© MARINE NATIONALE - M. BREBEL

Un SNA du type Rubis (© : MARINE NATIONALE)

 

Renseignement

S’y ajoute, évidemment, la fonction « connaissance – anticipation » autour d’une zone d’intérêt stratégique jusqu’ici relativement peu fréquentée par les militaires français. Quelle est précisément l’activité maritime et navale dans les eaux arctiques ? Comment évoluent les forces en présence ? Où se situent les zones de pêche et d’extraction pétrolière et gazière ? Sur place, on apprécie évidemment mieux la situation, l’évolution de l’environnement et les tensions qui peuvent régner entre pays riverains. Les missions arctiques de la Marine nationale ont aussi cette visée, contribuant à l’autonomie de renseignement et d'appréciation. 

 

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© MARINE NATIONALE - C. DAVENNE

La frégate Latouche-Tréville lors d'une mission dans le grand nord (© : MARINE NATIONALE)

 

Marquer le territoire face à la Russie

Enfin, et ce n’est pas le moindre des enjeux, il s’agit également de marquer le territoire face aux Russes. L’un des enseignements retirés des dernières missions dans le grand nord des bâtiments français est, en effet, que la flotte russe fait preuve d’une activité extrêmement soutenue dans la zone. Et, comme en Baltique, il y aurait eu des incursions de sous-marins dans les eaux norvégiennes, en plus de celles constatées dans l'espace aérien de ce pays (dont deux bombardiers stratégiques Tu-95 accompagnés de chasseurs MiG-31 et de ravitailleurs IL-78 la semaine dernière). La remontée en puissance de la marine russe, qui s’accompagne de revendications territoriales sur des zones potentiellement riches en ressources naturelles, inquiète évidemment les pays scandinaves et, derrière eux, l’Europe et l’OTAN. D’où, aussi, le renforcement de la présence navale occidentale dans la région, à commencer par celle des deux plus grandes marines européennes. Avec leurs puissantes frégates ASM et leurs sous-marins nucléaires, la Marine nationale et la Royal Navy sont en effet les mieux outillées, du moins qualitativement, pour tenir en respect les forces navales russes.

 

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© MARINE NATIONALE - M. MULLER

Echange avec un patrouilleur danois (© : MARINE NATIONALE)

 

Coopération avec les marines alliées

Il convient d’ailleurs de rappeler que les liens entre Français et Britanniques se sont accrus depuis les accords de défense de Lancaster House fin 2010. Les manœuvres et opérations communes se multiplient, une frégate britannique, le HMS Kent, étant par exemple intégrée en ce moment au groupe aéronaval français emmené par le porte-avions Charles de Gaulle. On citera aussi, puisqu’il n’est pas étranger au sujet qui nous intéresse, le déploiement régulier d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2 en Ecosse. Une capacité ASM précieuse dont ne dispose plus les Britanniques, malgré le fait que la Royal Navy est mobilisée pour empêcher les incursions de sous-marins russes dans les eaux du Royaume-Uni. Pour les mêmes raisons, il ne serait pas étonnant de voir un jour des ATL2 voler au large de la Norvège, bien que ce pays dispose encore d’une patrouille maritime, avec en l’occurrence une escadrille de quatre P-3C Orion.

Dans le grand nord, le tandem franco-britannique est également à l’œuvre, les deux marines travaillant en étroite collaboration avec les structures internationales, comme l'OTAN, et bien entendu les Scandinaves. A commencer par les Norvégiens, avec lesquels la coopération s’accentue, mais aussi les Danois, qui veillent à protéger leurs territoires, notamment le Groenland, des prétentions étrangères. Echanges, coopération et manoeuvres communes sont autant d’occasions de renforcer l’interopérabilité des moyens et de familiariser les équipages avec le combat naval en zone polaire. Autant d’occasions, aussi, de concentrer régulièrement d’importantes forces aéronavales pour refroidir les appétits de Moscou. On assiste donc, quelque part, à un retour vers l’époque de la Guerre Froide. Non qu’un conflit armé soit imminent entre l’Est et l’Ouest, mais le regain de tension existe et, de l’actuel repositionnement des forces émergera probablement un nouvel équilibre régional. Pour la France, en tous cas, le théâtre atlantique s’étale désormais clairement jusqu’à l’Arctique. 

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