Grâce à son groupe aéronaval, la France va très rapidement tripler le nombre de ses avions de combat engagés contre Daech et, surtout, être en mesure de démultiplier le nombre de sorties en se rapprochant significativement des positions djihadistes en Syrie. Hier, devant le parlement réuni en congrès à Versailles (*), François Hollande a annoncé que les frappes allaient s’intensifier contre le groupe terroriste avec le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle. Cet engagement du bâtiment amiral de la flotte française avait été annoncé il y a plusieurs semaines. L’hiver dernier, il était déjà intervenu contre Daech en participant à l'opération Chammal depuis le nord du golfe Persique.

Rafale Marine sur le Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)
Inflexion de la politique étrangère française
Mais cette fois, sauf s'il s'agit d'un subterfuge destiné à brouiller les pistes, le Charles de Gaulle pourrait frapper beaucoup plus rapidement. Le président de la République a en effet précisé qu’il rejoindrait la Méditerranée orientale, laissant entendre qu'il serait donc en mesure d'engager ses avions directement depuis cette zone. Ce serait évidemment l'idéal puisqu'il s'agit de la position géographique la plus aisée pour attaquer, du fait de sa proximité avec le territoire contrôlé par le groupe terroriste. Mais, jusqu’ici, la France n’avait pas retenu cette option à cause du régime de Damas, qui tient toujours la côte syrienne, et de la présence russe dans le secteur. Les attentats meurtriers perpétrés à Paris vendredi dernier ont semble-t-il changé partiellement la donne, entrainant une inflexion de la politique étrangère française. Même si François Hollande estime toujours que Bachar el-Assad ne peut faire partie de la solution politique en Syrie, il a été très clair : « Notre ennemi en Syrie c'est Daech. Il ne s’agit pas de contenir mais de détruire cette organisation », a solennellement affirmé le chef de l’Etat. Pour cela, il appelle « au rassemblement de tous ceux qui peuvent lutter contre ce groupe terroriste à rejoindre une même coalition ».
Avec les Etats-Unis et la Russie
Touchée en plein cœur le 13 novembre, la France revoit donc ses priorités. Si elle souhaite toujours le départ du dictateur syrien, et qu'elle se tient à cette position, le plus urgent pour elle est aujourd'hui de fédérer un maximum de forces contre l'« Etat islamique ». Fort du soutien exprimé ces derniers jours à travers le monde, les images d’horreurs en provenance de Paris ayant profondément choqué l'opinion internationale, l'Elysée se fixe pour objectif d’anéantir Daech en collaboration avec les autres nations engagées en Syrie, à commencer par les Etats-Unis mais aussi la Russie, que le président français voudrait voir rejoindre la coalition contre Daech. François Hollande a, ainsi, annoncé qu’il allait rencontrer dans les prochains jours Barack Obama et Vladimir Poutine, tout en dialoguant avec les autres pays impliqués, citant la Turquie, l’Iran et les pays du Golfe. Après plus de 14 mois d’action contre Daech et des résultats mitigés, l’heure est donc au rapprochement des grands acteurs de ce conflit incroyablement complexe afin d’organiser une lutte conjointe plus efficace. Dans le même temps, la France a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de se réunir au plus vite afin de voter une résolution contre le terrorisme. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, va quant à lui saisir ce mardi ses homologues européens dans le cadre de l’alinéa 7 de l’article 42 du Traité de Lisbonne. Celui-ci stipule en effet qu’en cas d’agression armée d’un pays membre de l’Union Européenne, les autres lui doivent « aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ». Suite aux attentats de Paris, le premier ministre britannique David Cameron a d'ores et déjà indiqué qu'il réfléchissait à intensifier l'action du Royaume-Uni contre les groupes terroristes.
Deux premiers raids contre Raqqa dimanche dernier
En attendant de voir ce qui ressortira des discussions avec ses alliés et avec les autres pays engagés dans le conflit syrien, ce qui sera loin d'être simple puisque Moscou, par exemple, a une stratégie différente de Paris et Washington, la France a lancé des actions et pris différentes mesures pour lutter contre le terrorisme sur son sol et en Syrie. Militairement, la riposte aux attentats revendiqués par Daech a débuté dimanche, avec un raid massif de 10 avions de combat (6 Rafale et 4 Mirage 2000) de l’armée de l’Air engagés dans l’opération Chammal. A ce titre, 6 Mirage 2000 sont basés en Jordanie et 6 Rafale Air interviennent depuis les Emirats Arabes Unis. Deux groupes d’appareils sont partis de ces deux points d’appui pour frapper la région de Raqqa, capitale du groupe islamiste. Vingt bombes ont été tirées sur différents objectifs. Un second raid est intervenu cette nuit, toujours avec 10 avions et toujours dans le secteur de Raqqa pour traiter le même type de cibles (un centre de commandement et un centre d'entrainement détruits). Ces opérations ont bénéficié du soutien des Américains, qui ont de leur côté mené de nouvelles frappes, notamment contre les convois de camions citernes servant au trafic de pétrole bénéficiant à Daech.
Les Etats-Unis, par la voix de Barack Obama, ont annoncé hier une intensification du partage de renseignements avec la France. Le porte-avions USS Harry S. Truman, accompagné d'un croiseur et de quatre destroyers, a quant à lui quitté lundi Norfolk pour rejoindre la Méditerranée et, normalement, poursuivre vers le Golfe Persique où il sera engagé contre Daech en Irak et en Syrie.

(© : MARINE NATIONALE)
La Marine nationale prête à entrer en action
Avec le Charles de Gaulle, la France va changer de braquet et disposer sur zone d’une force de frappe bien plus conséquente. A l’issue d’une ultime campagne d’entrainement et de qualification des pilotes de son groupe aérien embarqué, le porte-avions, qui est rentré dimanche matin à Toulon, sera en route d'ici jeudi. Certes, l’intervention du Charles de Gaulle contre Daech était déjà programmée mais, suite au massacre perpétré le 13 novembre dans la capitale française, l’action du porte-avions devrait être nettement plus offensive afin de frapper vite et fort les positions du groupe islamiste. Hier, François Hollande a promis qu’il n’y aurait « aucun répit et aucune trêve » dans l’action militaire française, assurant que « le terrorisme ne détruira pas la République car c’est la République qui le détruira ».
Permanence sur zone grâce à la proximité de la mer
Le Charles de Gaulle va permettre de tenir cette promesse puisque le bâtiment, profitant de la liberté de naviguer dans les eaux internationales, va se rapprocher au plus près des zones d’intervention. Déjà en se positionnant l’an dernier au nord du Golfe Persique, il réduisait de moitié la distance à parcourir par rapport aux avions basés aux EAU. Cette fois, s’il navigue au large des côtes syriennes, les objectifs pourront être atteints en quelques dizaines de minutes seulement. Un atout majeur pour accroître significativement la réactivité des frappes et la destruction d’objectifs d’opportunité. En théorie, la proximité du théâtre d’opération peut permettre une présence quasi-continue de l’aviation française dans le secteur. Car au moins 24 avions de combat seront déployés sur le Charles de Gaulle, chacun pouvant réaliser jusqu’à deux ou trois sorties par jour. Opérer depuis la Méditerranée plutôt que dans le Golfe permettrait, en outre, de faciliter les relèves et le soutien logistique depuis la métropole, améliorant encore la capacité naturelle du groupe aéronaval à opérer dans la durée.
Des espaces aériens à survoler
Bien entendu, intervenir depuis la Méditerranée orientale suppose des prérequis, à commencer par des autorisations de survol. Car entre la mer et le fief de Daech, il y a des espaces aériens : ceux du Liban, de la partie syrienne tenue par le régime de Damas qui contrôle la côte, et de la Turquie. Pour permettre au Charles de Gaulle d'opérer dans cette zone, il faudra donc des accords diplomatiques. Et bien entendu, si aucune solution n’était trouvée, le groupe aéronaval n’aurait d’autre choix que de gagner le golfe Persique, ce qui retarderait son entrée en action.
SEM (© : MARINE NATIONALE)
Hawkeye (© : MARINE NATIONALE)
Un groupe aérien embarqué plus puissant que l’hiver dernier
Le groupe aérien embarqué (GAE) sur le Charles de Gaulle donnera en tous cas à la France de grandes capacités d’action. Dimanche, sur le pont d’envol du bâtiment, pas moins de 18 avions de combat (14 Rafale Marine et 4 Super Etendard Modernisés) étaient visibles, d’autres étant vraisemblablement à l’abri dans le hangar, conçu pour pouvoir accueillir jusqu’à 23 appareils.

Le Charles de Gaulle dimanche à Toulon (© : MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)
L’hiver dernier, pour le précédent déploiement du porte-avions vers la mer Rouge, l’océan Indien et le Golfe Persique, le GAE comprenait 22 avions, soit 12 Rafale Marine, 9 SEM et un Hawkeye, ainsi que quatre hélicoptères (deux Dauphin, un Panther et une Alouette III). Cette fois, et alors que sa capacité pourra encore être accrue si besoin, le GAE sera clairement plus puissant, avec 24 chasseurs (16 Rafale Marine, 8 SEM) et 2 avions de guet aérien Hawkeye, ainsi que des hélicoptères.
Une escorte imposante
L’escorte du Charles de Gaulle sera également imposante, comprenant une frégate de défense aérienne et une frégate anti-sous-marine, ainsi qu’un sous-marin nucléaire d’attaque et un bâtiment de ravitaillement. Une FREMM doit s’y ajouter en cours de mission, alors qu’au moins une frégate étrangère, la belge Léopold I, sera intégrée au groupe aéronaval français.

(© : MARINE NATIONALE)
Triplement des forces aériennes engagées contre Daech
Ce dernier va donc permettre de tripler l’aviation de combat engagée par Paris contre Daech en Irak et en Syrie. Alors que 6 Rafale et 6 Mirage 2000 de l’armée de l’Air interviennent actuellement depuis les Emirats Arabes Unis et la Jordanie, le dispositif pourra évoluer en fonction des effets recherchés contre le groupe terroriste. Et, comme on l’a vu, en dehors du nombre d’avions, la proximité géographique du groupe aéronaval avec le théâtre d’opération, qu'il s'agisse de la Méditerranée orientale ou du golfe Persique, accroîtra encore les capacités de frappes.

Rafale Air en Irak (© : ARMEE DE L'AIR)
Une intervention contrainte depuis 14 mois
Au-delà du renforcement des moyens, se pose bien entendu la question de l’efficacité des raids. Depuis le début de l’opération Chammal, le 19 septembre 2014, l’aviation et l’aéronavale françaises ont procédé à moins de 300 frappes, essentiellement en Irak. Quelques objectifs seulement ont été visés en Syrie, où l’armée française intervient officiellement depuis le 27 septembre, surtout à des fins de renseignement. Agissant au sein d’une coalition internationale regroupant une dizaine de pays, la France totalise moins de 4% des frappes, ses avions revenant de mission la plupart du temps avec leurs bombes sous les ailes. Une situation également valable pour les Etats-Unis, qui réalisent les trois quart des missions. En cause, des règles d’engagement très strictes et la volonté d’éviter au maximum les dommages collatéraux. Une donnée qu’a bien assimilée Daech, dont les troupes se mélangent le plus possible à la population civile. C’est pourquoi, bien que des milliers de djihadistes ont été tués depuis un an, l’aviation ne peut avoir une action décisive contre le groupe terroriste.
Seule une action coordonnée au sol et dans les airs peut venir à bout de l’Etat islamique, dont il faut par ailleurs, et c'est essentiel, couper les sources de revenus, tant sur le plan financier qu'au niveau de la production pétrolière (vendue sur le marché parallèle vers la Turquie notamment). C’est pourquoi, malgré la complexité de la situation et des enjeux géostratégiques, ainsi que des divergences de vue qui opposent depuis des années les acteurs impliqués dans le conflit, l’émergence d’une coalition étendue pourrait être cruciale. Mais il est clair qu'à terme, une solution politique est incontournable pour assurer durablement la stabilité de la région, où il faut bien reconnaître que les Occidentaux, comme les monarchies pétrolières, ont joué trop longtemps aux apprentis sorciers.
(*) Lire le discours de François Hollande devant les parlementaires