Créer des sociétés de projet destinées à porter l’acquisition de matériels militaires pour soulager temporairement le budget du ministère de la Défense, qui ne peut être tenu en l’état. C’est l’objectif de Jean-Yves Le Drian qui a, mercredi, annoncé le lancement à l’été des premières « SPV ». Avec, pour commencer, deux types d’équipements : trois frégates multi-missions (FREMM) et quatre avions de transport A400M. Des déclarations très sûres du ministre qui ont surpris pas mal de monde. Car ce dossier n’est, en fait, pas tranché et demeure particulièrement flou tant dans ses contours que dans ses modalités d’exécution.
Retard d’encaissement des recettes exceptionnelles
Pour mémoire, le budget du ministère de la Défense, soit 31.4 milliards d’euros cette année, comprend 2.2 milliards de « recettes exceptionnelles ». Ces fameuses rentrées financières, sur lesquelles on table depuis deux législatures et qui peinent toujours à arriver, sont constituées notamment du produit de la vente aux opérateurs de téléphonie les plus offrants de fréquences à très haut débit. Sauf que ces sommes, qui devaient être encaissées cette année, ne le seront pas avant 2016. Il y a donc un trou dans le budget de plus de 2 milliards.
Location de matériel
Pour le résorber et éviter des reports de livraisons qui auraient des conséquences industrielles et opérationnelles, les services du ministère de la Défense ont donc imaginé de recourir à ce que l’on connait dans la finance sous le nom de Special Purpose Vehicles (SPV). Il s’agit, concrètement, de créer des sociétés qui vont devenir propriétaires de certains matériels et les loueront ensuite au ministère de la Défense. Dans un premier temps, ces sociétés seraient détenues à 100% par l’Etat et pourraient être par la suite ouvertes aux industriels. L’énorme avantage est de soulager immédiatement le budget du ministère en reportant le poids des investissements initiaux sur un tiers acteur, pour ne conserver que les frais de leasing, bien moins lourds, du moins sur le court terme. Car le danger de ce système est, en fait, que le coût final soit nettement supérieur pour l’Etat.
Vive inquiétude des parlementaires
Tout dépend des modalités de mise en œuvre des SPV et de la durée sur laquelle l’Hôtel de Brienne compte s’appuyer dessus. Or, pour le moment, aucune réponse n’a été apportée en la matière. Ce qui inquiète les parlementaires. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a d’ailleurs procédé, hier, à un contrôle dans les locaux des ministères des Finances et de l’Economie sur l’organisation tendant à mettre en place les SPV. Les sénateurs, comme d’ailleurs les députés, réclament des garanties. Ils veulent que ce projet ne soit pas contraire aux intérêts patrimoniaux et financiers de l’Etat, ils souhaitent que les SPV ne soient mise en place que pour une durée limitée et connaître les conditions de location des matériels. Des questions qui restent pour l’heure en suspens.
Michel Sapin très prudent
Alors que les SPV pourront être créées avec l’entrée en vigueur de la loi Macron (où elles ont fait l’objet d’un amendement), dont la promulgation est attendue cet été, le débat se poursuit manifestement entre Bercy et l’Hôtel de Brienne quant à la pertinence de ce système. Pour l’heure, la seule déclaration gouvernementale valable sur le sujet est celle de Michel Sapin, interrogé sur le sujet à l’Assemblée nationale le 4 mars. Or, le ministre des Finances n’a pas caché sa prudence quant aux SPV « Les sociétés de projets présentent aussi un certain nombre d’inconvénients. Il n’est donc pas interdit de s’interroger sur d’autres solutions. Je résumerai donc ainsi la seule ligne qui existe au gouvernement : la loi de programmation militaire sera respectée ; il existe un risque, non encore avéré, que les ressources exceptionnelles ne soient pas au rendez-vous ; les sociétés de projets constituent une solution intéressante ; il est de ma responsabilité d’examiner les solutions alternatives qui permettraient de donner à nos armées tous les moyens nécessaires sans présenter d’inconvénients ».
Une solution plus onéreuse pour les finances publiques ?
Au de là des aspects juridiques, l’un des inconvénients majeurs des sociétés de projet est que, si elles permettraient de boucler miraculeusement le budget de la Défense cette année, ce dispositif revient à générer de la dette dans une autre composante de l’Etat. Car ces sociétés étant 100% publiques à leur création, c’est bien l’Etat qui réalisera l’investissement initial. Y associer les industriels permettrait de leur faire supporter une partie de cet investissement. Mais ça ne serait évidemment pas gratuit et beaucoup craignent que la marge soit supérieure à un achat classique. Pour éviter que cette solution de secours se fasse aux dépends de l’Etat, de la dette nationale et in fine du contribuable, il est donc impératif de limiter le dispositif dans le temps. En clair, pas plus de quelques petites années, disons jusqu’à la fin de la loi de programmation militaire.
Financer la réduction des déflations de postes
Une LPM qui va d’ailleurs être révisée au mois de juin à la demande du président de la République. Une décision que François Hollande a prise en janvier suite aux attentats de Paris, qui ont bouleversé la donne. Depuis les attaques, quelques 10.000 miliaires sont en effet mobilisés pour la protection des lieux sensibles (contre un millier auparavant) et, la France étant engagée sur de nombreux théâtres d’opérations extérieurs, il a été décidé de remettre à plat les déflations d’effectifs prévues sur la LPM (23.500 postes de moins entre 2014 et 2019). Après la réduction du rythme des suppressions de postes initialement évoquée, il a été décidé dès la fin janvier d’en préserver 7500, dont un millier en 2015. Sauf que la réduction des effectifs sera encore moindre, a annoncé mercredi Jean-Yves Le Drian, qui n’a pas précisé de nouveau chiffre mais juste confirmé « une moindre déflation globale des effectifs de la Défense d’ici 2019, allant au-delà de la diminution de 7500 postes de cette déflation déjà annoncée par le chef de l’Etat le 21 janvier dernier ».
Augmenter le budget de la Défense, ou ?
Une nouvelle trajectoire qui va complètement remettre en cause le budget du ministère et rend caduque la LPM. Car il va falloir financer ce surcroit de masse salariale qui n’était pas prévu par la loi et va se chiffrer en milliards d’euros. Alors que le ministre s’est engagé à plusieurs reprises à ne pas toucher aux crédits équipements, ce qui est notamment l’objectif des SPV, comment ce nouveau modèle d’armée, en matière d’effectif, va se traduire en termes de financements ? Là encore, les parlementaires sont très inquiets et appellent le gouvernement à ne pas sacrifier les équipements sur l’hôtel des nécessités opérationnelles immédiates, en clair des moyens humains nécessaires pour assurer les opérations et la protection du territoire national. De là, les marges de manœuvre sont très réduites et il n’y a guère comme solution que d’augmenter le budget de la Défense au-delà des 31.4 milliards d’euros. Ou alors de démultiplier des dispositifs originaux, comme les sociétés de projet, pour alléger le coût des équipements, mais en prenant alors le risque que ces solutions provisoires deviennent des pièges durables et dommageables pour les finances publiques.