Alors que le mandat d’Hervé Guillou arrive à échéance le 20 mars, son successeur à la tête de Naval Group devrait être bientôt connu. Ces dernières semaines, le nom d’un haut cadre de Thales est régulièrement annoncé, en l'occurence Pierre-Eric Pommellet, qui occupe actuellement le poste de directeur général de Thales en charge des opérations et de la performance. Un scénario contre lequel l’UNSA et la CFE-CGC de Naval Group sont vent debout. « Les personnels ou l’entreprise ne comprendraient pas que la succession du PDG actuel soit l’occasion pour Thales de positionner un outil industriel de souveraineté comme Naval Group en situation de dépendance vis-à-vis d’un équipementier », affirme dans un communiqué les deux syndicats, qui dénoncent au passage le comportement de Thales en tant qu’actionnaire (le groupe d’électronique possède 35% de Naval Group, l’Etat en détenant 62.25%). Selon l’UNSA et la CFE-CGC, Thales « freine la stratégie de développement et de coopération de l’entreprise dès lors qu’elle ne sert pas la sienne et pire encore se place régulièrement en concurrence avec Naval Group sur les offres export, comme encore récemment sur la consultation pour les Pays-Bas ». Les deux syndicats appelle l’Etat, à « assumer pleinement ses responsabilités et faire en sorte que l’intégrité et la gouvernance de Naval Group soient renforcées ».
Depuis l’entrée au capital de Thales dans l’ex-DCNS en 2007, puis l’augmentation de sa participation de 25 à 35% en 2011, les relations sont complexes entre l’entreprise et son actionnaire industriel. Et elles se sont tendues ces dernières années autour de certains sujets, dont l’export où Thales équipe les bâtiments vendus par Naval Group mais aussi des plateformes étrangères concurrentes, y compris via sa filiale néerlandaise dans les systèmes de combat, une activité stratégique sur laquelle les syndicats sont à juste titre extrêmement vigilants. Et il y a aussi aussi le projet franco-italien Poséidon. Ce dernier a vu Hervé Guillou et le patron du groupe italien Fincantieri, Giuseppe Bono, sceller en 2019 une alliance stratégique qui s’est traduite par la récente création d’une société commune, Naviris. Un rapprochement que Thales voit d’un mauvais œil puisqu’il pourrait fragiliser à terme ses positions sur le marché national de l’électronique navale, en particulier les radars, au profit de l’italien Leonardo. Pour autant, Thales n’a pas opposé son veto à cette alliance qui navigue dans des eaux politiques loin d’être claires, en particulier quant au soutien réel du gouvernement français à cette opération, au-delà d’un affichage très diplomatique.
Mais une partie des cadres de Naval Group, ainsi que des syndicats dont l’UNSA et la CFE-CGC, défendent cette alliance et craignent qu’elle tombe à l’eau si l’un de ses principaux artisans, Hervé Guillou, lâche la bétonnière avant même que les fondations ne soient complètement coulées. A fortiori si c’est un nouveau président venant de Thales qui prend la barre.
Mais cette opposition franche de l’UNSA et de la CFE-CGC n’est pas suivie par tous les syndicats de l’entreprise. La CGT n’a pas la même approche et la CFDT se montre plus prudente et nuancée, en particulier quant au pedigree du futur président. « Nous avons pas d’avis sur la personne et nous ne voulons pas entrer dans une guéguerre entre industriels. En revanche, nous savons précisément ce que l’on attend d’un PDG de Naval Group. Il doit se focaliser sur les intérêts de l’entreprise, avoir une vision industrielle de long terme, tout en ayant conscience que nous sommes dans une entreprise de souveraineté nationale. Il est vrai que l’hypothèse d’un nouveau président qui viendrait de Thales peut troubler, mais l’important c’est qu’il soit indépendant de ses activités passées », explique-t-on à la CFDT. Quant à l’alliance avec les italiens, « nous n’y sommes pas hostiles, mais ce que nous souhaitons, et ce qui n’est pas encore le cas, c’est qu’on nous démontre qu’il y a derrière un projet industriel qui fait sens, que le partenaire a une réelle valeur ajoutée et que nous puissions travailler intelligemment ensemble. En somme, que cette opération soit utile pour Naval Group et ses salariés, pour l’emploi et le développement des sites ».
A la CFDT, comme à l’UNSA et à la CFE-CGC, on est en revanche en ligne sur le fait que le changement de président est l’occasion de rediscuter l’accord industriel et commercial qui lie Naval Group et Thales, et que les syndicats jugent tous déséquilibré en faveur du second.
Le prochain Conseil d’administration de Naval Group, prévu le 20 février, pourrait entériner le nom du prochain président de l'entreprise. Sachant qu'Hervé Guillou demeure disponible pour jouer les prolongations durant quelques années, solution qui passerait cependant par une modification de la gouvernance du groupe, avec un poste de président un autre de directeur général.