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Dans cette seconde partie de l'entretien avec Patricia Adam, nous revenons sur les enjeux liés à l'Action de l'Etat en mer. Récemment, l'élue finistérienne et son collègue Philippe Vitel, député du Var, ont remis un rapport sur ce sujet. Les deux parlementaires ont notamment étudié l'action et les moyens, en métropole et outre-mer, des différentes administrations impliquées dans l'AEM, ainsi que la mise en place, en 2010, de la Fonction garde-côte. Patricia Adam nous livre ses positions en la matière, ainsi que sur le rôle du Secrétaire général de la mer, et aussi, l'idée de créer un ministère ou un secrétariat d'Etat à la mer. _______________________________________________________ MER ET MARINE : Avec votre collègue Philippe Vitel, député du Var, vous avez récemment remis un rapport d'information sur l'action de l'Etat en mer devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Pourquoi avoir décidé de travailler sur ce sujet ? PATRICIA ADAM : Nous avons pensé qu'après le Grenelle de la mer et le Livre Bleu, qui réaffirme le rôle du Secrétaire général de la mer, il était intéressant de voir comment fonctionne l'Action de l'Etat en mer. Avec Philippe Vitel, étant élus de territoires maritimes, c'est une problématique que nous connaissons bien. Mais, au niveau national, ce domaine est encore très méconnu. Nous estimons d'ailleurs que les enjeux maritimes et l'Action de l'Etat en mer ne sont pas suffisamment pris en compte dans le dernier Livre Blanc sur la défense et la sécurité, alors même que les questions maritimes présentent une continuité évidente entre la défense et la sécurité. Dans le cadre des travaux de mise à jour du Livre Blanc, qui doivent débuter cette année, les enjeux liés à la sécurité maritime constituent donc un point spécifique qu'il faudra cette fois aborder. Dans le cadre de notre rapport, il s'agissait de travailler sur l'Action de l'Etat en mer dans sa globalité, en métropole comme dans les territoires d'outre-mer, afin de mieux connaître la coordination des différentes administrations impliquées et ce que cela représente en termes de moyens et de finances. Dans cette approche globale, avez-vous tenu compte des spécificités de chaque façade ? Oui, ce qui est apparu très nettement, et c'est aussi le travail qu'est en train de réaliser le Secrétaire général de la mer, c'est qu'il y a des spécificités pour chaque territoire maritime. En Atlantique, Manche et mer du Nord par exemple, les questions liées à la protection du littoral, à la lutte contre la pollution ou à la pêche sont très importantes. En Méditerranée, elles sont également présentes mais, sur cette zone, l'Etat est plus souvent confronté à d'autres problématiques, comme le narcotrafic ou l'immigration clandestine. C'est le cas aussi à Mayotte, qui représente la moitié des chiffres nationaux en termes d'immigration clandestine, où La Réunion, où nous touchons le problème de la piraterie en océan Indien. La Fonction Garde-côte a été instaurée en 2010, avec notamment l'implantation d'un centre opérationnel à l'état-major de la marine, à Paris. Cette structure a pour but de mieux coordonner les différents moyens de l'AEM, qu'il s'agisse de la marine, de la gendarmerie maritime, des affaires maritimes ou encore de la douane. Comment percevez-vous cette nouveauté ? L'idée de la Fonction Garde-côte est apparue en juillet 2009, lors du discours du Havre de Nicolas Sarkozy, d'abord dans une perspective européenne. Et cela a interpellé et inquiété les différentes autorités compétentes en la matière. En effet, le fonctionnement et les règles relatifs aux organismes assurant des missions de garde-côte dans les pays européens sont très variés. En France, notre système est très ancien, puisqu'il remonte à Colbert. Les préfets maritimes ont une double autorité, militaire et civile, qui est reconnue et fonctionne. Nous n'avons donc pas besoin de créer un corps de garde-côte. Néanmoins, il est intéressant de voir comment il est possible de mieux gérer la coordination entre administrations et comment mieux mutualiser les moyens. C'est sur ce domaine que travaille actuellement le SG Mer. Nous sommes aujourd'hui au milieu du guet. Nous devons attendre qu'il termine l'état des lieux de l'Action de l'Etat en mer, notamment les capacités mises en oeuvre dans les différentes administrations. Ensuite, il fera des propositions au gouvernement. Il faut donc attendre que ce travail se termine. Peut-on avoir une Action de l'Etat en mer plus performante ? A travers les auditions que nous avons réalisées, il ressort que chaque administration concernée connaît parfaitement ses missions et ses besoins en termes d'hommes et de moyens. En revanche, en partant d'une approche globale, embrassant l'ensemble des administrations, nous ne sommes pas du tout persuadés que l'Etat soit efficient sur chaque bassin d'intervention, par exemple dans le domaine de la sécurité en mer. Que se passerait-il par exemple dans le golfe de Gascogne s'il y avait un accident grave. Aurions-nous suffisamment de moyens ? Ce n'est pas clair. La question est aujourd'hui posée, d'autant que nous constatons ces dernières années la mise en service de navires toujours plus grands, notamment en ce qui concerne les navires à passagers. Comme nous l'avons vu avec le naufrage du Costa Concordia, en Italie, de véritables villes flottantes naviguent aujourd'hui sur le territoire maritime et il faut des moyens conséquents pour les secourir en cas d'accident. Le problème se pose dans le golfe de Gascogne, mais aussi en Méditerranée. Faut-il accorder à la Fonction Garde-côte et à l'Action de l'Etat en mer un budget particulier, qui rassemblerait les lignes budgétaires spécifiques des différentes administrations concernées ? Nous nous sommes posé la question mais cela semble très prématuré. Nous pensons que les différentes administrations doivent garder leurs budgets. Mais il y a un problème de lecture, dans le sens où l'on ne sait pas toujours très bien ce que coûte véritablement l'Action de l'Etat en mer. On considère par exemple que 25% du budget de la marine y est consacré. Il est toutefois extrêmement difficile d'avoir une comptabilité précise. Ainsi, une frégate peut appareiller pour un entraînement et, en mer, détecter un navire suspect ou intervenir au pied levé pour secourir un naufragé. Ainsi, même si ce n'était pas la raison initiale de sa sortie, le bâtiment va mettre en oeuvre des moyens, par exemple un hélicoptère ou un Zodiac, pour participer à la Fonction Garde-côte. Peut-on, en revanche, développer des investissements interministériels pour, par exemple, financer de nouveaux moyens matériels, comme les navires ou les aéronefs ? C'est en effet une attente de notre part et nous y verrons plus clair lorsque le SG Mer aura terminé son évaluation des capacités et des besoins de l'Action de l'Etat en mer. Il est néanmoins clair qu'il faudra globaliser autant que possible les investissements avec une participation des différentes administrations. Il est donc impératif que celles-ci se rencontrent régulièrement et discutent ensemble des aspects budgétaires, sous l'égide du SG Mer, afin que celui-ci présente ensuite des projets au premier ministre pour arbitrage. Puis, en cas d'investissements interministériels, il faudra désigner l'autorité de tutelle et les niveaux de responsabilité compétents dans l'utilisation des bâtiments nouvellement acquis. Je pense notamment à l'outre-mer, où la marine est largement touchée par des réductions de moyens. Nous avons par exemple un trou capacitaire évident en termes de patrouilleurs et il va falloir commander de nouveaux bâtiments. Il y a aussi un manque de moyens aériens, par exemple en termes d'hélicoptères. Or, les départements d'outre-mer ont besoin de moyens polyvalents pour répondre à des enjeux qui touchent différents ministères. Comment, de manière générale, jugez-vous l'approche française de l'Action de l'Etat en mer ? Ce qui ressort fortement de notre rapport, c'est que le traitement fait par la France de l'Action de l'Etat en mer est regardé de très près par de nombreux pays. En effet, en cas de besoin, notre système permet à une seule personne, le préfet maritime, de réquisitionner les moyens des différentes administrations, et ce sur tous les espaces marins, qu'ils soient proches ou éloignés de la côte. Nous pouvons d'ailleurs être fiers de notre système, qui a démontré à de multiples reprises sa pertinence et son efficacité. Une fonction garde-côte européenne est souvent évoquée, mais est-elle vraiment envisageable ? La Commission européenne a décidé d'y travailler. Nous sommes dans une période d'étude et d'évaluation, mais nous sommes très loin de décisions qui amèneraient à organiser une garde-côte européenne. Ce qui ressort d'ailleurs des premières études, c'est que le domaine est vaste et complexe, chaque pays étant autonome. Dans ces conditions, on voit difficilement comment pourrait émerger une garde-côte européenne. En revanche, nous pouvons travailler en commun sur certains sujets, par exemple sur les plans d'action internationaux en cas de catastrophe maritime. Cela est déjà le cas avec les Britanniques et les Espagnols en Manche et dans le golfe de Gascogne, avec des entraînements réguliers intégrant les moyens des pays impliqués. La France a également accueilli, en septembre dernier, le forum des garde-côtes de l'Atlantique nord, qui a permis de travailler sur ces questions. Au niveau européen, nous pouvons aussi oeuvrer ensemble sur la surveillance et le renseignement. Et il y a déjà des actions communes sur certains sujets, comme la pêche ou l'agence FRONTEX pour l'immigration clandestine. Le chemin sera en tous cas très long, d'autant que les Etats n'ont pas l'intention de perdre leur autonomie en la matière. Même dans l'élaboration d'un système européen de surveillance maritime, il semble qu'il y ait certaines difficultés en ce qui concerne le partage d'informations sensibles... Il y a une volonté au niveau européen pour mettre en place un outil qui globaliserait et partagerait les informations recueillies par les moyens des différents pays participant. Mais c'est compliqué puisque certaines informations touchent directement à la défense et il y a des réticences. C'est pourquoi je pense que nous pourrons avancer grâce à un système de rapprochements bilatéraux ou multinationaux. En matière de sécurité maritime, l'Europe a créé une agence spécialisée qui a été installée en 2006 à Lisbonne. Depuis, l'EMSA est montée en puissance, en se dotant notamment d'une flotte de navires antipollution pré-positionnée à différents points du littoral européen et pouvant être mobilisée en cas de besoin. Pensez-vous que nous pourrions faire la même chose avec les grands remorqueurs utilisés pour l'assistance aux navires en difficulté ? Avoir des accords bilatéraux sur ce point ne serait pas dénué de sens. Mais se pose ensuite la question de l'autorité. Au-delà de posséder des navires en commun, quel serait le statut des équipages ? Civils ou militaires ? Et sur ordre de qui interviendraient-ils ? Avant de se poser la question des moyens matériels, il faut d'abord se poser la question des moyens humains, des statuts et de l'autorité. Or, ces questions ne sont à ce jour pas traitées. Créé en 1995, le Secrétaire général de la mer est un véritable outil transversal entre les ministères impliqués dans les problématiques maritimes. Rattaché au Premier ministre, il exerce une mission de contrôle, d'évaluation et de prospective et veille à ce que la politique maritime du gouvernement soit conçue en étroite concertation avec les élus et l'ensemble des professionnels concernés. En outre, il anime et pilote l'action des préfets maritimes. Ce système est aujourd'hui préféré à un ministère de la Mer car les problématiques maritimes sont très vastes. Mais certains appellent à la recréation d'un ministère dédié, ne serait-ce que pour avoir un « visage » politique à ces questions. Qu'en pensez-vous ? Nous sommes pour un renforcement du rôle du SG Mer. Par ailleurs, le gouvernement doit afficher fortement sa politique maritime, c'est une évidence compte tenu des enjeux. La France doit impérativement renforcer son action dans les domaines qui touchent la mer. Faut-il, pour cela, créer un ministère de la mer ? Je pense que créer au moins un secrétariat d'Etat à la Mer auprès du premier ministre serait une bonne chose. Evidemment, il n'est pas pensable de construire un budget uniquement dédié à la mer car les problématiques sont très vastes, allant de la plaisance à la défense. Le budget est donc, logiquement, éclaté sur plusieurs ministères. Et il doit le rester faute de quoi, je ne pense pas que la mer y gagnerait. Néanmoins, la création d'un secrétariat d'Etat permettrait peut-être de mieux coordonner la politique maritime française. Car, si le Livre Bleu y contribue, encore faut-il qu'il soit traduit dans les faits. Pour cela, je pense qu'il faut un suivi politique. Celle-ci serait du ressort du secrétaire d'Etat, qui participerait par exemple au Conseil des ministres et travaillerait en duo avec le SG Mer. Ainsi, ils pourraient oeuvrer ensemble pour évaluer constamment les actions entreprises dans le cadre du Livre Bleu, et aussi réactualiser cette stratégie en fonction des évènements et de l'évolution des connaissances sur le milieu marin. Avec Philippe Vitel, vous proposez aussi, dans votre rapport, que se déroule chaque année un débat sur la mer à l'Assemblée nationale. Pourquoi ? C'est sans doute le moyen, au moins une fois dans l'année, de parler de la mer dans l'hémicycle. En effet, qu'il s'agisse de défense, de transport, de pêche ou encore d'environnement, ces questions sont toujours abordées en commissions, jamais globalement. Or, le milieu maritime est très vaste et il serait donc intéressant de pouvoir aborder de manière générale l'ensemble de l'Action de l'Etat en mer. C'est un monde qui demeure très largement méconnu des Français et, par conséquent, de nombreux parlementaires, qui sont leurs représentants. Pourtant, la mer constitue un enjeu majeur pour notre pays et il est donc fondamental de pouvoir partager notre connaissance du maritime, y compris avec nos collègues parlementaires, afin de leur faire comprendre que la mer est l'un des territoires les plus importants et que la France a tout à gagner à renforcer son action dans ce domaine. _______________________________________________________ Propos recueillis par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, mars 2012

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