Les Constructions Mécaniques de Normandie sont officiellement candidates à la reprise du chantier STX du Rohu, situé sur la commune de Lanester, près de Lorient. Après une période difficile entre 2010 et 2013, CMN connait une nouvelle phase de croissance, et celle-ci va significativement s’accentuer. Compte tenu des contrats engrangés et de ceux qui s’apprêtent à tomber, le constructeur normand veut augmenter ses capacités industrielles. « Avec ce plan de charge les ateliers de Cherbourg seront saturés pour quatre à cinq ans. Or, en plus des commandes fermes et de celles qui vont assurément aboutir en 2016, nous avons en prospection commerciale de nombreuses discussions et d’importantes perspectives. Il faut donc que nous disposions d’un nouveau site pour construire ces futurs bateaux et notre intérêt pour le Rohu est clair depuis quelques temps », explique le président de CMN, qui a fait à STX France un offre de reprise ferme pour sa filiale morbihannaise.

Mise à l'eau d'un patrouilleur de 45 mètres en 2014 (© : MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
Hausse prévue des effectifs
Pour Pierre Balmer, il faut que le site de Lanester, qui ne fabrique plus aujourd’hui que des éléments en sous-traitance pour Saint-Nazaire, redevienne un véritable chantier. « CMN veut refaire de ce chantier un site de construction de navires complets. Il ne s’agira pas de produire des blocs ou des coques puis de les ramener à Cherbourg pour les assembler ou les achever. Notre projet est très clair : l’intégralité des navires confiés à Lorient seront réalisés sur place et, pour cela, on ne pourra pas se contenter des 45 emplois actuels ». Avant que STX Lorient devienne l’an dernier un simple atelier travaillant au profit du grand chantier nazairien, une centaine de personnes travaillaient au Rohu. Si CMN est choisi pour reprendre l’entreprise, Pierre Balmer estime que ce niveau de personnel devrait être de nouveau atteint, voire dépassé: « Ce n’est pas un engagement mais je pense que les effectifs, qui seront peut être renforcés dans un premier temps avec des intérimaires, pourraient se situer entre 100 et 150 personnes. Par exemple, deux patrouilleurs d’environ 50 mètres à produire chaque année correspondent à 250.000 heures de travail, soit environ 120 emplois ».

La corvette émiratie Baynunah, livrée fin 2011 (© : CMN)
Toute la gamme de CMN, y compris les grosses corvettes de 90 mètres
Côté marché, CMN vise d’abord, pour Lanester, des bâtiments militaires destinés à des marines étrangères, qui sont aujourd’hui son cœur de métier. Lanester connait d’ailleurs plutôt bien les bateaux gris puisque le site a produit de 2009 à 2015, en sous-traitance pour Raidco Marine, des patrouilleurs de 33, 45 et 70 mètres livrés au Maroc, au Togo et au Sénégal. « C’est un très beau site industriel qui est bien gréé pour construire nos bateaux. Seuls quelques éléments extérieurs, comme le quai et l’espace d’armement, pourraient être améliorés », explique Pierre Balmer, qui affirme que le chantier breton est capable de réaliser toutes les tailles de bâtiments commercialisés par CMN. Y compris les plus grands et complexes, à l’image « des corvettes comme la Baynunah (bâtiment de 71 mètres fortement armé livré fin 2011 aux Emirats, ndlr) et des grosses unités de 90 mètres ».

Le C Sword 90, plus grande corvette conçue par CMN (© : VERHAAREN NAVAL ARCHITECTS)
Les contrats pour le Liban et Arabie Saoudite destinés à Cherbourg
Contrairement à certaines rumeurs, le constructeur cherbourgeois n’a pas l’intention de faire réaliser dans le Morbihan une partie des trois patrouilleurs destinés au Liban et de la trentaine d’intercepteurs qu’il fournira à l’Arabie Saoudite. Ces contrats, en passe d’être signés ou d’entrer en vigueur, seront pour Cherbourg, sauf une partie des bateaux saoudiens que le client souhaite voir réaliser chez lui en transfert de technologie. « Nous avons besoin de Lorient pour d’autres contrats que nous comptons finaliser cette année. Le temps de mener les études, la production démarrera début 2017, ce qui permet à STX France de continuer, comme cela est prévu dans son plan de charge, à utiliser cette année le Rohu pour ses les besoins de Saint-Nazaire ».

Cheminée de paquebot réalisée au Rohu pour Saint-Nazaire (© : STX FRANCE)
Complémentaire du nouveau chantier prévu à Cherbourg
Quant à savoir si l’acquisition de Lorient pourrait devenir inutile avec le nouveau chantier que CMN veut ouvrir à Cherbourg d’ici 2019, Pierre Balmer est très clair : « Même avec le nouveau chantier, qui offrira des capacités un peu plus importantes que notre implantation actuelle, Lorient ne sera pas de trop et notre objectif est bien de faire vivre le Rohu de manière pérenne. On ne veut pas venir en Bretagne juste pour faire un coup et rester seulement quelques années. Notre actionnaire Iskandar Safa, qui a repris Cherbourg en 1992, a d’ailleurs démontré que lorsqu’il investissait quelque part, il ne lâchait pas, même en cas de tempête. Ce projet d’acquisition de STX Lorient s’inscrit dans notre stratégie de croissance à long terme, qui nécessite le développement de notre outil industriel au-delà de Cherbourg, où l’activité continuera d’augmenter, ce qui nous conduit d’ailleurs à recruter une quarantaine de personnes, dont une trentaine d’ouvriers (portant l’effectif à plus de 350 salariés, ndlr) ». Cette embellie, CMN la doit notamment, selon son président, aux importants efforts réalisés par le management et les salariés pour rationaliser les process industriels du chantier. Au point, affirme-t-il, que « nous pourrions faire aujourd’hui en France des bateaux de pêche de manière compétitive par rapport à la Roumanie (où CMN a sous-traité la réalisation de 16 de 21 palangriers de 24 mètres commandés par le Mozambique), ce qui n’était pas le cas en 2013 ».

L'intérieur de la nef du Rohu en 2009 (© : STX FRANCE)
Une période très tendue entre chantiers français
La probable vente de STX Lorient, pour laquelle Kership, filiale de Piriou et DCNS, candidate également (voir notre article sur la situation globale du Rohu), intervient après une longue période de tensions entre chantiers français. Sur le plan national comme à l’export, les industriels se sont affrontés avec parfois une grande violence. Une situation que Pierre Balmer souhaite voir s’apaiser, en particulier à l’export. Le patron de CMN cite volontiers l’exemple de l’Allemagne, que le groupe auquel appartient l’entreprise (Privinvest, la holding d’Iskandar Safa) connait bien pour y avoir racheté l’ancien chantier HDW de Kiel. « En Allemagne, quand un projet apparait à l’export, les chantiers ne s’étripent pas publiquement comme on le constate parfois en France. Ils se réunissent pour choisir qui portera l’affaire et se mettent d’accord sur la répartition en cas de victoire. Les négociations sont parfois corsées mais rien ne sort de ces réunions, ce qui donne une image bien meilleure au client et permet de disposer d’une industrie soudée face à la concurrence internationale ». Pierre Balmer pense donc qu’il serait préférable, pour les constructeurs tricolores, de jouer plus collectif et, qu’au niveau étatique, « la neutralité prévale pour le soutien, le seul ayant le droit de ne pas être neutre étant le client ».
Prêt à travailler avec les « confrères »
Partant de ce constat, le président de CMN se dit prêt, si l’occasion se présence, à développer des collaborations. « Si demain DCNS considère qu’un travail commun sur certains pays peut booster l’activité, nous sommes tout à fait ouverts », affirme-t-il, rappelant que son entreprise a déjà oeuvré avec le grand groupe naval français par le passé, ainsi que d’autres acteurs hexagonaux. « Nous avons par exemple travaillé en sous-traitance de Socarenam pour le NSR Alizé, nous avons confié la réalisation des coques des trimarans pour le Mozambique à H2X et nous étions ensemble avec STX France pour le marché B2M. CMN n’a donc aucun souci à travailler avec ses confrères ». Et Pierre Balmer assure que cette logique est aussi valable pour Piriou, avec qui les relations ont pourtant été particulièrement délicates. Ainsi, au cas où l’offre cherbourgeoise est retenue pour STX Lorient et que le constructeur concarnois a besoin à l’avenir de compléter ses capacités industrielles, la porte du Rohu serait ouverte : « S’il y a de la place, bien sûr que nous pourrions faire de la sous-traitance pour Piriou. Il n’y a pas d’oukase ou de ségrégation. Tout ce qui compte, c’est d’aller de l’avant et de montrer que nous sommes capables d’apporter du développement économique et de créer des emplois ».