Les missions d’assistance aux migrants qui tentent de franchir la Méditerranée battent de tristes records. Ainsi, du 5 au 7 juin, pas moins de 5200 hommes, femmes et enfants ont été secourus, alors qu’ils essayaient, sur des embarcations surchargées, d’atteindre les côtes italiennes. Profitant de conditions météorologiques favorables la semaine dernière, des dizaines de bateaux ont en effet quitté les côtes d’Afrique du nord pour permettre à leurs occupants de gagner l’Europe. Face à cet afflux considérable de migrants, la marine italienne, qui déploie pourtant de très importants moyens en Méditerranée centrale dans le cadre de Mare Nostrum, n’a pu répondre seule à l’urgence. En plus d’un bâtiment dépêché par Malte, trois navires de commerce ont, ainsi, été mobilisés pour prendre à leur bord quelques 700 personnes et les amener vers des ports siciliens. L’un d’eux, le chimiquier maltais Norient Star, a même ramené trois corps de migrants décédés (à bord de leur embarcation ou par noyade lors du transfert selon les sources). Et la marine américaine est également arrivée à la rescousse, le porte-hélicoptères d’assaut USS Bataan et la frégate USS Elrod portant assistance, le 6 juin, à 277 personnes, qui traversaient la Méditerranée sur six embarcations, dont l’une venait de couler. Recueillis par les Américains, les migrants sont été transférés le lendemain sur un patrouilleur maltais, à l’exception de cinq d’entre eux, dont l’état de santé a nécessité une évacuation médicale vers Malte.

Migrants recueillis par l'USS Bataan (© US NAVY)
L’appel à l’aide de l’Italie et de Malte
Après cette vaste opération de sauvetage internationale, aucune accalmie n’est intervenue dans le week-end puisque la marine italienne a annoncé avoir secouru quelques 2000 personnes entre samedi et dimanche. Selon Rome, depuis le début de l’année, entre 40 et 50.000 migrants seraient arrivés en Italie, où l’on estime que le record de 2011 (62.000 personnes), année marquée par les vagues de réfugiés liées aux évènements du printemps arabe, est en bonne voie pour être dépassé en 2014. Un afflux qui commence à causer de sérieux problèmes dans les localités italiennes touchées par le phénomène. Et il n’y a pas que sur l’île de Lampedusa, destination privilégiée des embarcations en raison de sa proximité avec les côtes nord-africaines. En Sicile, également, les élus locaux estiment que la situation devient ingérable et réclament des mesures de la part du gouvernement italien. Ce dernier, bien impuissant, en appelle pour sa part à l’Europe, accusée de ne pas prendre suffisamment le problème à bras le corps et de laisser l’Italie seule face à cette pression migratoire. Rome souhaite non seulement un investissement financier européen accru, mais aussi l’implication d’autres Etats membres, à commencer par ses voisins, dans Mare Nostrum. Car cette opération, lancée en octobre 2013 après le décès tragique de 366 migrants au large de Lampedusa, demeure purement nationale et coûte très cher à la Marina militare. Or, les Italiens estiment, non sans raison, qu’il s’agit d’un problème impliquant toute l’Union, dont ils protègent la frontière sud. Une position partagée par Malte, qui est également aux premières loges, la petite île ayant recueilli à elle seule, depuis le début de l’année, plus de 2000 migrants.

(© MARINA MILITARE)

(© MARINA MILITARE)
Une action européenne encore timide
Suite à ces arrivées massives de migrants ces derniers jours et aux critiques qui émanent d’Italie et de Malte, la Commission européenne a fait savoir que Rome et La Valette avaient « son plein soutien » et, en plus des moyens existants et de mesures d’urgence, elle se dit prête à discuter d’autres initiatives. Mais il est clair que l’UE peine à trouver un consensus politique quant aux mesures à adopter. Alors que les pays du nord se désintéressent partiellement du problème, lointain pour eux, ceux du sud ne semblent pas très à l’aise avec la question dès lors qu’il s’agit d’intervenir. Car le soutien à l’opération navale italienne pose des questions, certains pays riverains redoutant de devoir ramener les naufragés sur leur territoire, où l’accueil des populations locales ne serait on l’imagine pas forcément bon. Alors que Bruxelles a octroyé à l’Italie une aide d’urgence de 30 millions d’euros pour soutenir l’opération Mare Nostrum, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières de l’Union (FRONTEX) a reçu fin 2013 un fonds spécial suite au drame de Lampedusa. Doté lui aussi d’une trentaine de millions d’euros, il est essentiellement destiné à améliorer les conditions d’accueil dans les centres de rétention où sont transférés les migrants sauvés en mer. L’agence va, par ailleurs, voir les moyens navals qui lui sont alloués renforcés, avec par exemple la mise en service, en 2015, du nouveau patrouilleur de la douane française. Ce bâtiment, en cours de construction à Boulogne-sur-Mer, a été en grande partie financé par FRONTEX et sera employé en Méditerranée. Mais ce sera logiquement plutôt à l’ouest de la Grande Bleue, là où la pression migratoire est pour l’heure très faible.

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Des populations qui fuient les violences et la faim
Quoiqu’il en soit, le contexte géopolitique sur le continent africain, au Moyen Orient et même au-delà va continuer de nourrir le flot de réfugiés. A bord des embarcations, les nationalités sont multiples. On trouve des Syriens, des Erythréens, des Somaliens, des Soudanais ou encore des Afghans. Des hommes, des femmes, des enfants et même des nouveaux nés poussés à l’exil par les guerres civiles, les persécutions et la famine. Autant de drames individuels et collectifs qui obligent ces populations à tenter de rejoindre l’Europe, dans l’espoir d’une vie meilleure. Un voyage souvent très long, particulièrement éprouvant et extrêmement dangereux, avec des passeurs peu scrupuleux qui entassent les migrants sur des pneumatiques, des bateaux de fortune et de véritables épaves… des embarcations surchargées et en mauvais état, où il n’y a souvent pas de vivre, les côtes européennes étant présentées comme toutes proches et atteignables en quelques heures seulement. La réalité est bien entendu différente et les migrants vivent ces traversées comme un calvaire, la peur et la faim au ventre. Les naufrages sont malheureusement fréquents, des milliers de personnes ayant trouvé la mort en Méditerranée ces dernières années.

(© MARINA MILITARE)
Un phénomène qui pourrait encore empirer
Malgré tout, les candidats à l’exil continuent d’affluer sur les côtes et semblent de plus en plus nombreux à vouloir s’embarquer. Ainsi, selon FRONTEX, plusieurs centaines de milliers de migrants ont rejoint la Libye et souhaitent quitter ce pays en raison de l’insécurité qui y règne. Le gouvernement italien se fait plus précis et parle de 400 à 600.000 personnes prêtes à partir de Libye. Un chiffre énorme qui en dit long sur les enjeux liés au contrôle des flux migratoires au sud de l’Europe. D’autant que les passeurs profitent sans nul doute du renforcement de la présence navale au sud de l’Italie pour convaincre les migrants de tenter l’aventure. Il suffit en effet de leur expliquer qu’en cas de problème, ils seront sauvés, pris en charge, nourris et soignés par des militaires européens chargés de leur porter assistance. De quoi encourager les plus réticents à donner aux réseaux criminels dont c’est le business tout ce qu’il leur reste (le prix du passage est estimé à 1000 dollars). Avec la saison estivale, plus propice aux traversées, le dispositif maritime mis en place en Méditerranée pourrait donc être débordé. Et il ne faut pas négliger le risque, de plus en plus fort, de voir un regain d’arrivées provoquer des troubles dans les régions d’accueil, où les élus, et surtout les populations, se disent exaspérés et ne veulent plus voir les camps de réfugiés se développer.
Il s’agit donc d’un véritable casse-tête pour l’Europe, qui ne peut évidemment laisser des familles entières périr en mer et, dans le même temps, doit tenter de juguler un phénomène potentiellement insoutenable et même déstabilisant pour certaines régions. Cela, alors que la seule manière de tarir le flot demeure avant tout le retour de la stabilité dans les pays d’origine des migrants, ce qui n’est malheureusement pas pour demain.