La crise entre l’Ukraine et la Russie, qui s’est notamment soldée par l’annexion de la Crimée, officialisée le 21 mars, a eu d’importantes conséquences sur la physionomie des forces navales de ces deux pays. Les bâtiments de la marine ukrainienne présents à Sébastopol ont été saisis, de même que ceux situés au nord-ouest de la péninsule, dans le lac Donuszlav, bloqué le 6 mars par les Russes qui ont sabordé dans le chenal d’accès trois unités désarmées, l’ancien croiseur Ochakov et deux ex-bâtiments bases de plongeurs. Les forces russes, après s’être emparées des bateaux ukrainiens entre le 20 et le 25 mars, en ont finalement rendu un certain nombre, les restitutions, intervenues en grande partie la semaine dernière, étant néanmoins limitées.

Le patrouilleur Skadovk (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)
Des bâtiments qui ont échappé à la saisie
Si on ne sait pas encore ce qu’il adviendra de certaines unités, le sort de nombreux bâtiments ukrainiens est désormais tranché. Tout d’abord, Kiev a évidemment conservé les navires qui n’étaient pas situés en Crimée mais étaient basés dans les ports de l’Est, comme Odessa et Nikolaïev, à l’image du patrouilleur Skadovk (type Zhuk) et du transport côtier Pereyaslav (type Muna), ou bien qui n’avaient pas rejoint leur base de Sébastopol en raison des troubles. C’est le cas du principal bâtiment de combat de la marine ukrainienne, la frégate Hetman Sahaidachniy, qui a rallié Odessa début mars après son retour d’océan Indien, où elle a notamment participé aux opérations de lutte contre la piraterie Atalante (Union européenne) et Ocean Shield (OTAN).

La frégate Hetman Sahaidachniy (© EU-NAVFOR)
Les unités restituées et celles qui ont été conservées
Pour le reste, les différentes informations recueillies ces derniers jours permettent de dresser un premier état des lieux, à prendre évidemment avec les précautions qui s’imposent. L’unique sous-marin ukrainien, le Zapporizzya, un vieux Fox Trot mis en service en 1970 et à la valeur militaire quasi-nulle, ne devrait pas quitter Sébastopol, l’état-major de la flotte russe de la mer Noire ayant annoncé son intention de le transformer en musée.

La sous-marin Zapporizzya (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)
Du côté des unités de surface, la corvette Vinnitsa (type Grisha II) a été restituée aux Ukrainiens. Il devrait en être de même pour la corvette Ternopol (type Grisha V), alors que l’avenir de son sistership, le Luts’k, demeure incertain. Concernant les deux corvettes lance-missiles du type Tarantul II, le Pridniprovye est hors service (il devrait donc être condamné) et le Kremenchuk est à priori conservé par les Russes. La situation est la même pour les deux patrouilleurs du type Pauk I, l’Uzhagorod n’étant semble-t-il plus en état de naviguer et le Khmelnitsky n’ayant pas encore été restitué. Les Ukrainiens ont, en revanche, pu récupérer le patrouilleur Priluki (type Matka), le sort de son sistership, le Kahovka étant incertain. Dans le domaine des dragueurs de mines, les Russes se seraient attribués les Chernigiv et Cherkasi (type Natya 1), ainsi que le Geniches’k (type Yevgenya), aucune nouvelle n’étant disponible concernant les Melitopol et Maruipol (le premier était à priori déjà désarmé).

La corvette Vinnitsa (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

La corvette Ternopol (© MARINE NATIONALE)

La corvette Pridniprovye (© MARINE UKRAINIENNE)

La dragueur de mines Cherkasi (© SHIPS OF THE WORLD)
Le seul bâtiment de débarquement de chars ukrainien du type Ropucha, le Konstantin Olshanskiy, a pour sa part été pris par la marine russe, qui a néanmoins restitué le BDC Kirovograd (type Polocny C), plus ancien, ainsi que le chaland de débarquement Svatove (type Ondaltra). Pas ne nouvelle en revanche de son sistership, le Vil, de même que l’engin de débarquement sur coussins d’air Donetsk (type Pomornik).

Le Konstantin Olshanskiy (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Le Kirovograd (© MARINE UKRAINIENNE)

Le Donetsk (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)
Du côté des bâtiments logistiques et auxiliaires, la Russie a saisi le navire citerne Sudak (type Voda), alors que le Fastov (type Toplivo) a été restitué, ce qui n’a toutefois pas été le cas de son sistership, le Bakmach. L’Ukraine a également pu récupérer le navire atelier Donbas (type Amur) et le bâtiment de démagnétisation Balta (type Bereza), mais pas le transport côtier Dzankoy (type Muna) et le bâtiment de commandement Slavutich (type Bambuk).

Le Sudak (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Le Donbas (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Le Slavutich (© MARINE ROUMAINE)

Le Balta (© MARINE NATIONALE)
La flotte de la mer Noire s’est, par ailleurs, attribué tous les remorqueurs ukrainiens qu’elle a pu saisir. Enfin, au niveau de l’aéronautique navale, l’Ukraine a retrouvé un hydravion de patrouille maritime Be-12 Mail et deux hélicoptères Ka-27 Helix qui étaient passés sous contrôle russe.

Un Be-12 Mail ukrainien (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Un Ka-27 Helix ukrainien (© MARINE NATIIONALE)
Les Russes renvoient des navires hors d’âge
Au final, l’Ukraine se retrouve avec une marine réduite à sa portion congrue. Surtout que les unités restituées sont, pour l’essentiel, les bateaux les plus vétustes, une grande partie n’étant même plus en état de naviguer. La restitution de ces bâtiments a d’ailleurs donné lieu à des opérations de remorquage, les coques ukrainiennes étant convoyées jusqu’à la limite des eaux territoriales russes pour être prises en charge par des remorqueurs dépêchés par Kiev. Quant aux bateaux qui étaient bloqués dans le lac Donuzslav, les Russes ont entrepris de renflouer les épaves qu’ils avaient sabordées, notamment les ex-bâtiments bases de plongeurs, afin de libérer les passes.

Le croiseur Moskva (© MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)
Une flotte de la mer Noire ancienne et peu nombreuse
A l’issue de cette crise, la flotte russe de la mer Noire se garnit donc d’un certain nombre d’anciens bâtiments ukrainiens plus ou moins âgés. Concernant ses effectifs, les chiffres présentés par les media avant les saisies portaient sur 350 unités. Si l’on comptabilise tout ce qui est plus ou moins en état de naviguer, y compris les barges et baleinières, on arrive peut être à ce résultat. Plus sérieusement, la marine russe n’aligne pas à Sébastopol une force colossale, loin s’en faut. Alors que la base des sous-marins nucléaires creusée dans la montagne Balaklava n’est plus opérationnelle, on ne compte sur place que deux sous-marins conventionnels du type Kilo.

Sous-marin russe du type Kilo (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)
Quant à la flotte de surface, elle se limite à cinq unités principales. Il y a là deux croiseurs, une unité du type Slava, le Moskva (1982), ainsi que le vénérable Kerch (1974), dernier survivant des sept bâtiments du type Kara. S’y ajoutent le Smetliviy (1969), vétéran des destroyers du type Kashin; ainsi que les deux dernières frégates des types Krivak I et Krivak II encore en service, les Ladniy (1980) et Pytliviy (1981).

Le Kerch (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Le Smetliviy (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Le Ladniy (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)

Le Pytliviy (© COLLECTION FLOTTES DE COMBAT)
Le reste des forces de surface comprend quelques corvettes des types Grisha V et Tarantul III, ainsi que des dragueurs de mines. La composante amphibie, dont les unités sont régulièrement déployées en Syrie, est assez nombreuse, avec notamment des bâtiments de débarquement de chars des types Ropucha I et II, ainsi que les quatre vieux Aligator. L’ensemble est soutenu par quelques unités logistiques, dont le pétrolier-ravitailleur Ivan Bubnov.
Modernisation en cours
La flotte de la mer Noire, si elle n’est pas insignifiante, n’est donc pas une force de premier plan. Elle est tout juste plus importante que la flotte de la Baltique et bien moins puissante et nombreuse que celles du Nord et du Pacifique. L’intérêt russe pour la mer Noire et la Méditerranée a néanmoins poussé Moscou à lancer un plan de modernisation des unités basées à Sébastopol. Six nouvelles frégates du type Krivak IV doivent ainsi rejoindre la flotte de la mer Noire d’ici la fin de la décennie. Réalisée à Kaliningrad, en Baltique, la tête de série, l’Admiral Grigorovitch, devait être mise à flot ce en mars. La construction a néanmoins pris du retard, le lancement étant initialement prévu en octobre 2012.

Frégate indienne du type Krivak IV (© MER ET MARINE - JEAN-LOUIS VENNE)
Dans le même temps, six nouveaux sous-marins du type Kilo ont été commandés pour la flotte de la mer Noire. Le premier, baptisé Novorossiysk, a été mis à flot à Saint-Pétersbourg le 28 novembre dernier, sa livraison étant espérée en fin d’année. Quant au second bâtiment de ce type, le Rostov na Donu, il doit être lancé au mois de mai. Ce programme pourrait lui aussi prendre du retard, les commandes à l’export étant généralement prioritaires. Or, les chantiers russes, qui ont récemment livré deux Kilo au Vietnam, doivent en réaliser quatre autres pour ce pays.

Le BPC russe Vladivostok (© DROITS RESERVES)
Bien que retardée, l’arrivée en Crimée de ces frégates et sous-marins flambants neufs, auxquels doit s’ajouter le bâtiment de projection et de commandement Sevastopol, construit par le chantier STX France de Saint-Nazaire et qui doit être livré en 2015 (le positionnement en Crimée du second BPC russe réalisé en France a été confirmé par Moscou, le premier bâtiment, le Vladivostok, livrable en octobre prochain, devant intégrer la flotte du Pacifique). L’ensemble va permettre d’accroître significativement les moyens de la flotte russe en mer Noire, mais aussi en Méditerranée. En ligne avec la volonté de Moscou de renforcer sa présence dans la région.