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L’opération Sophia en sursis ? Les deux derniers bâtiments de l'EUNAVFOR MED, la frégate italienne Luigi Rizzo et le patrouilleur espagnol Rayo, ont en tous cas quitté leur zone de patrouille au large des côtes libyennes. C'est la conséquence des récentes décisions prises par le Conseil de l’Union européenne (qui réunit les ministres des 28 pays membres) concernant le devenir de cette opération lancée le 22 juin 2015 pour démanteler le modèle économique des passeurs et des trafiquants d'êtres humains dans la partie sud de la Méditerranée centrale. Dans un communiqué, vendredi 29 mars, le Conseil a certes annoncé que Sophia était prorogée de six mois, jusqu’au 30 septembre. Mais « le commandant de l'opération a reçu pour instruction, pour des raisons opérationnelles, de suspendre temporairement le déploiement des moyens navals de l'opération pour la durée de cette prorogation ». Bref, plus de navire sur zone dans le cadre de cette opération jusqu’à nouvel ordre. D'où le départ intervenu dans la soirée du 31 mars du Luigi Rizzo, qui fut bâtiment amiral de l'EUNAVFOR Med pendant 92 jours, et du Rayo, qui n'aura participé que deux semaines à cette mission. « Sophia est une opération navale et il est clair que sans navires en mer, la mission ne sera pas en mesure de remplir complètement son mandat. Mais les Etats membres en ont décidé ainsi », a dû admettre Maja Kocijancic, porte-parole de la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.Bras de fer avec l’Italie

Le problème vient très clairement d'Italie. Depuis l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle coalition dans le pays, il y a un an, les autorités italiennes semblent décidées à mettre un terme à l’opération militaire basée à Rome et qui mutualise des moyens militaires européens. 

Destinée à lutter contre le trafic d'êtres humains, avec à son actif 151 passeurs présumés remis à Frontex et aux autorités italiennes mais aussi 551 embarcations neutralisées depuis ses débuts, Sophia a aussi pris un tour humanitaire en permettant de sauver de nombreuses vies en Méditerranée. En tout, 44.988 personnes ont été secourues par l'EUNAVFOR Med lors de 312 opérations de sauvetage, la dernière en date remontant au 5 juillet 2018. Le patrouilleur irlandais Samuel Beckett avait alors recueilli 106 migrants à 85 nautiques au nord de Zuwarah. En dehors des bâtiments, on notera que les aéronefs engagés dans l’opération par l’Espagne, le Luxembourg, la Pologne ou encore la France ont de très nombreuses fois apporté une aide cruciale aux opérations de sauvetage, notamment en larguant des chaines SAR (search and rescue) en attendant que des navires arrivent sur zone et prennent en charge les naufragés. 

S’il n’y a pas eu de sauvetage par les bâtiments européens depuis neuf mois donc, cela découle d’une activité accrue et d’ailleurs contestée par les ONG des garde-côtes libyens, qui ont étendu leur zone d’intervention très au large. Et, dans le même temps, Rome refuse depuis l'été 2018 que de nouveaux migrants arrivent dans ses ports. Au-delà des ONG, cela concerne aussi l’opération Sophia, qui bien que n’effectuant plus le moindre sauvetage, semblait toujours constituer en la matière une menace pour le ministre de l’Intérieur italien. « Soit les règles changent, soit il est mis fin à la mission », avait encore lancé en janvier dernier sur son compte Twitter Matteo Salvini, qui n'avait pas hésité à déclarer de façon provoquante que Sophia avait « pour mandat de débarquer tous les migrants secourus seulement en Italie ». Un raccourci qui pourrait faire référence aux textes de droit international, dont l’Italie est signataire, qui prévoient l'obligation de débarquement de naufragés dans « le port sûr le plus proche ». Dans le cas des migrants secourus dans le sud de la Méditerranée centrale, il s’agissait essentiellement de ports italiens.

Ce dont l’Italie ne veut plus. Dans l’impasse, les ministres européens ne sont donc visiblement pas parvenus à s’entendre et l’opération est maintenant amputée par l'absence de consensus entre les Etats membres.

Surveillance de la zone et formation des marins et garde-côtes libyens

En attendant, sans navire, Sophia se poursuivra sur deux axes, indique le Conseil de l'UE : intensifier « la surveillance par des moyens aériens » et renforcer « le soutien apporté aux garde-côtes libyens et à la marine libyenne pour les opérations répressives en mer au moyen d'un contrôle accru, y compris sur terre, et de la poursuite de la formation ». Le Conseil rappelle que l’opération remplit des tâches de soutien : elle « forme la marine et les garde-côtes libyens et contrôle l'efficacité de la formation sur le long terme ». Lancée en 2017, cette initiative a permis de former à ce jour 355 marins et garde-côtes libyens. Les deux derniers stages se sont achevés le 16 mars à La Sude, en Grèce, et le 29 mars à Split, en Croatie. D’autres sont déjà en cours de programmation.

Quant au suivi de ce qui se passe sur zone, cela demeure un élément crucial pour l'UE alors que la Libye est toujours dans une situation chaotique. Si l’absence de bâtiments, qui sont autant de « piquets radars » est évidemment handicapante, Sophia ne va cependant pas se contenter d'une simple surveillance aérienne plus ou moins régulière. Les militaires européens entendent bien continuer d’élaborer jour après jour une véritable situation tactique du secteur. Celle-ci est obtenue par des vols quotidiens d’aéronefs mais aussi bien d’autres moyens de renseignement.

Embargo sur les armes 

Il reste enfin la question d’une autre mission que Sophia remplit depuis octobre 2016. Suite à une résolution alors adoptée par les Nations Unies, l’EUNAVFOR avait entrepris de participer de manière active à l'embargo sur les armes en Libye. Cela passait notamment par un contrôle accru du trafic maritime en provenance d'autres pays ainsi que des liaisons entre les ports libyens. A cet effet, les unités de la force aéromaritime européenne ont interrogé des centaines de navires et réalisé de très nombreuses inspections via les équipes de visite déployées par les bâtiments présents sur zone. Une action qui a permis de conduire plusieurs saisies d'armes et avait, selon les militaires européens, un effet dissuasif important. Sans bâtiment sur place désormais, l’efficacité sera forcément moindre. Pour autant, le contrôle de l’embargo demeure dans les directives de Sophia, qui s’appuiera là aussi sur ses moyens aériens et autres sources de renseignement, ainsi que la coopération déjà en place avec d’autres agences européennes et internationales.

 

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