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Ce sera le contrat naval majeur de la décennie et la France a décidé de tout mettre en œuvre pour séduire l’Australie et la convaincre de travailler avec elle pour réaliser sa nouvelle génération de sous-marin. Dans le cadre du renforcement de ses forces navales, le pays souhaite acquérir jusqu’à 12 nouveaux bâtiments. C’est le double de la flotte actuelle de la Royal Australian Navy (RAN), constituée de six unités du type Collins (77.8 mètres, 3350 tonnes en plongée), mises en service entre 1996 et 2001. Pour leur succéder, la marine australienne souhaite disposer, à partir de 2025, de sous-marins océaniques dotés d’une très forte autonomie, capables de mener des missions loin des côtes australiennes et pendant une longue période.

 

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© RAN

Sous-marin du type Collins (© : RAN)

 

DCNS face aux Japonais et aux Allemands

Alors que les Japonais semblaient l’an dernier quasi-assurés d’emporter le contrat avec un modèle dérivé des nouveaux Soryu (83.7 mètres, 4200 tonnes), le remaniement gouvernemental intervenu en décembre 2014 a rebattu les cartes. La compétition a, depuis, été rouverte aux Français et aux Allemands, le nouveau ministre de la Défense australien, Kevin Andrews, ayant visité en avril les sites de DCNS et TKMS spécialisés dans la construction de sous-marins. En mai, les trois compétiteurs ont signé un contrat d’évaluation compétitive en collaboration avec l’équivalent australien de la DGA. D’une durée de six mois, ce premier round technique et commercial permettra d’approfondir les propositions des uns et des autres. La suite du processus, comme la sélection d’un ou deux finalistes, dépendra des résultats obtenus. La commission d’experts chargée d’évaluer les dossiers a été installée vendredi 5 juin.  

 

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© DCNS

Barracuda (© : DCNS)

 

Un design basé sur le Barracuda

Sur le plan technique, les Français ont de solides atouts. Leur proposition est basée sur le design des SNA du type Barracuda (100 mètres, 5000 tonnes), dont la tête de série est en achèvement à Cherbourg pour une livraison en 2018 à la Marine nationale. La propulsion serait néanmoins conventionnelle, et non nucléaire, ce qui implique des modifications importantes. Mais l’avantage de cette option est que DCNS a déjà réalisé l’essentiel des études de développement, réduisant de facto les risques. L’architecture des Barracuda est de plus validée par la marine française, dont la composante sous-marine est réputée comme l’une des meilleures de la planète. DCNS s’appuie, dans le même temps, sur le succès à l’export des sous-marins du type Scorpene, déjà vendus à 14 exemplaires (2 au Chili, 2 en Malaisie, 6 en Inde et 4 au Brésil) et considérés comme faisant partie des sous-marins les plus silencieux du marché.

 

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© DCNS

Le premier Scorpene indien sera mis à flot en septembre (© : DCNS)

 

Des innovations qui peuvent faire la différence

En outre, le groupe naval français dispose d’atouts technologiques majeurs sur ses concurrents. Après plusieurs années d’études, de développement et de tests, menés dans le plus grand secret, il a mis au point une propulsion anaérobie innovante basée sur des piles à combustible de seconde génération (FC-2G). Leurs performances et leur fiabilité sont présentées comme bien supérieures aux technologies actuellement en service (notamment sur les sous-marins allemands). Une avancée doublée d’une autre innovation, en l’occurrence de nouvelles batteries basées sur la technologie lithium-ion et offrant là aussi des capacités accrues (voir notre article détaillé sur les nouveaux systèmes anaérobie de DCNS).

Dévoilées en octobre 2014, ces nouveautés avaient été intégrées sur le SMX Ocean, un concept de sous-marin océanique reprenant le design des Barracuda (voir notre article sur le SMX Ocean). Les ingénieurs de DCNS avaient calculé que ce bâtiment de 100 mètres de long, 8.8 mètres de diamètre et 4700 tonnes de déplacement pourrait grâce à sa propulsion innovante effectuer des missions allant jusqu’à 90 jours, soit le double du Scorpene, avec une vitesse de transit de 14 nœuds, ce qui ne s’est encore jamais vu sur un sous-marin classique. Basée sur six moteurs diesels de 1250 kW, deux systèmes FC-2G et trois batteries lithium-ion, la propulsion du SMX Ocean lui permettrait de réaliser en plongée deux transits d’une semaine et, une fois sur le théâtre d’opération, de rester immergé durant un mois. 

Concept basé sur des technologies disponibles, le SMX Ocean, extrêmement équipé, ne correspond pas à l’offre que la France va faire à l’Australie. Mais elle s’en inspirera sans aucun doute, avec un bâtiment probablement plus classique.

 

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© TKMS

Type 216 (© : TKMS)

 

TKMS : Manque de références sur les sous-marins océaniques

Face aux Français, qui ont donc de solides arguments, les Allemands sont, comme à leur habitude, de redoutables compétiteurs. Mais ils partent cette fois avec un gros handicap puisqu’ils n’ont pas de grand sous-marin océanique opérationnel, ni dans la marine allemande, ni à l’export. Les types 2012A (56 mètres, 1830 tonnes) et 214 (65 mètres, 1860 tonnes) sont clairement trop petits. Le type 218SG, vendu à deux exemplaires à Singapour en 2013 (pour une livraison à l’horizon 2020), sera en revanche plus grand. Pour l’heure, les spécifications de ces nouveaux bâtiments demeurent secrètes mais il n’est pas improbable que TKMS se soit inspiré du type 216, un modèle de 90 mètres et 4000 tonnes dévoilé en 2011. Ce design visait justement à répondre aux besoins de marines désireuses de se doter de sous-marins océaniques. Il pourra servir de base à l’offre allemande pour l’Australie.

 

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Le Soryu  (© : COLLECTION FLOTTES DE COMBAT - M. KADOTA)

 

Le Soryu nippon massif mais aux capacités limitées 

Quant au troisième compétiteur, le Japon, il propose un bâtiment éprouvé. C’est en 2009 que le Soryu, premier d’une série de 11 sous-marins commandés par la marine nippone, a été mis en service. Il a depuis été suivi par quatre autres exemplaires, une sixième unité devant entrer prochainement en flotte. Dotés d’un système de propulsion anaérobie, les Soryu sont de gros bâtiments. Du moins en extérieur car ces bateaux à double coque offrent un fait un espace interne assez restreint pour leur gabarit, réduisant de fait leurs capacités (seulement 20 armes pour un bâtiment de 4200 tonnes contre 18 pour un Scorpene de 1700 tonnes et 34 pour le SMX Ocean, le concept français disposant en plus de silos verticaux pour 6 missiles de croisière).

 

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© DCNS

SMX OCEAN (© : DCNS)

 

La question du transfert de technologie

Si l’on s’en tient à la technique, aux capacités et aux références, les Français sont en mesure de l’emporter. Idem pour le transfert de technologie, DCNS pouvant mettre en avant les coopérations en cours avec l’Inde et surtout le Brésil, ce dernier constituant le programme le plus complet et le plus ambitieux réalisé jusqu’ici.

A ce titre, on ne sait pas encore où seront réalisés les futurs sous-marins australiens. La construction de 12 bâtiments nécessiterait en effet des capacités industrielles très importantes et la probable mobilisation de plusieurs chantiers. Dans le même temps, les Australiens sont très prudents avec les transferts de technologie suite aux déboires rencontrés à l’époque des Collins et, plus récemment, sur les destroyers lance-missiles du type espagnol F100. DCNS planche donc sur trois scénarios : une construction en France, une réalisation en Australie et une option mixte. Cette dernière présenterait notamment l’avantage de permettre à la RAN de disposer beaucoup plus rapidement de ses sous-marins, avec une cadence de livraison plus élevée grâce à une double chaine de production australienne et française. Avec à la clé une charge de travail colossale pour le site de Cherbourg.

 

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© DCNS

Le site DCNS de Cherbourg (© : DCNS)

 

Etre compétitif et savoir répondre aux besoins du client

Le choix de l’Australie ne se fera, bien sûr, pas uniquement sur des facteurs techniques, si importants soient ils. La compétitivité des offres sera un argument crucial, sachant que les estimations du coût global du programme atteignent 25 milliards d’euros. Entrera aussi en ligne de compte la capacité de chaque industriel à répondre au mieux aux besoins exprimés par l’Australie. Ecoute, capacité d’adaptation et connaissance du terrain seront fondamentales. C’est d’ailleurs pourquoi DCNS a créé l’an dernier une filiale à Canberra. Forte aujourd’hui d’une vingtaine de collaborateurs, DCNS Australia va voir ses moyens et effectifs monter en puissance. Le groupe naval français s’appuie également sur ses grands partenaires, à commencer par Thales, qui dispose d’une importante force commerciale sur place, l’électronicien employant 1000 personnes en Australie.

 

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© RAN

La frégate Chevalier Paul et le ravitailleur HMAS Success (© : RAN)

 

Une alliance diplomatique et stratégique

La Marine nationale, qui coopère de longue date avec la Royal Australian Navy, joue également son rôle, plus discret mais crucial. Il ne faut en effet pas oublier que la France est, avec ses territoires ultramarins, une nation de l'Océanie. A ce titre, elle contribue, avec ses forces navales notamment, à la stabilité de la zone. Cela, aux côtés des deux acteurs majeurs de la région, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, avec lesquels la France. Des partenaires qu'elle peut, au delà de la traditionnelle coopération régionale, également soutenir à plus grande échelle sur le plan diplomatique, en s'appuyant par exemple sur son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.   

Dans le cadre des discussions qui se déroulent entre Paris et Canberra, ces aspects sont importants car, au delà d'un contrat géant, c'est aussi le renforcement de l'alliance franco-australienne qui est en jeu. Avec en toile de fond, notamment, l'inquiétude des Occidentaux face aux velléités expansionnistes de la Chine sur la région Asie/Pacifique. Le fait que la France accèpte de céder le design de ses sous-marins de nouvelle génération, des outils hautement sensibles et stratégiques, n'est pas anodin. Il n'y a qu'un seul précédent, celui du projet de vente de 12 SNA du type Rubis au Canada dans les années 80, qui n'avait finalement pas abouti suite à l'effondrement de l'URSS. C'est dire le niveau de confiance que la France a dans l'Australie et sa volonté de renforcer une coopération à long terme. 

 

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© ELYSEE

François Hollande et le premier ministre australien Tony Abbott (© : ELYSEE)

 

Le soutien politique sera déterminant

Pour que ce projet voit le jour, l’action politique sera d'ailleurs déterminante, comme l’avait démontré l’échec de la vente de BPC à la RAN en 2007. Les Espagnols de Navantia, soutenus bien plus fortement par leur gouvernement, avec de nombreuses visites de ministres en Australie, l’avaient emporté face à DCNS et Thales. Huit ans plus tard, les choses ont changé et, au delà des évolutions géo-stratégiques, les pouvoirs publics français sont bien plus investis. Sur le dossier australien, une forte action de lobbying est menée par le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères, avec le plein soutien de l’Elysée. Du côté du Quai d’Orsay, le projet des sous-marins est notamment suivi par le Franco-Australien Ross McInnes. Cet ancien de Thales, président depuis le mois d’avril du Conseil d’administration de Safran, a été nommé en février représentant spécial de la France en Australie dans le cadre du développement de la stratégie de diplomatie économique voulue par Laurent Fabius.

On notera enfin que les très bonnes relations entre Paris et Washington, ainsi que la grande confiance nouée ces dernières années entre l’US Navy et la Marine nationale, sont également un atout. Les futurs sous-marins australiens seront, en effet, très probablement équipés d’armements américains et la perspective de voir ces équipements mis en oeuvre sur des bâtiments de conception française ne suscite, apparemment, aucune réticence de la part de Washington. 

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