La Marine nationale a lancé hier sa nouvelle campagne de recrutement. Forte de 38.000 hommes et femmes, dont 35.000 militaires, elle recrute chaque année jusqu’à 3000 jeunes, âgés de 16 à 29 ans et d’un niveau scolaire allant de la 3ème au bac +5. Malgré les restrictions budgétaires et les déflations d’effectifs, les besoins de recrutement de la marine sont permanents et concernent plus de 50 métiers. La flotte française se doit en effet de maintenir la jeunesse de ses équipages et tenir compte des évolutions technologiques.
Avec le vice-amiral d’escadre Christophe Prazuck, directeur du personnel militaire de la marine, nous faisons le point aujourd’hui sur la politique de recrutement et les perspectives professionnelles que l’institution offre à ses marins.
MER ET MARINE : Quels sont les principaux messages de cette nouvelle campagne de recrutement ?
VAE CHRISTOPHE PRAZUCK : Le premier message est que la marine recrute, ce qui n’est pas une évidence car, ces dernières années, l’actualité a souvent été marquée par les restructurations et les diminutions d’effectifs au sein du ministère de la Défense. Il en résulte que les jeunes sont moins enclins à postuler dans des administrations ou entreprises qui réduisent la voilure.
Or, ce qu’il faut bien faire comprendre, c’est que le fonctionnement de la marine est différent de celui d’une entreprise. Nous avons en permanence et un flux de départs et un flux de recrutements ce qui garantit la jeunesse de nos équipages, même quand les effectifs diminuent. Ainsi, nos besoins en recrutement sont d’environ 3000 personnes chaque année.
Des recrutements qui visent les jeunes puisque les âges visés vont de 16 à 29 ans…
En effet, la moyenne d’âge sur nos bateaux est de 28 ans seulement. Nous proposons des métiers passionnants, très forts et où l’on apprend beaucoup, mais les métiers embarqués sont aussi particuliers, par exemple en matière d’éloignement. Il nous faut donc des jeunes, d’où cette logique de flux permanent et notre besoin impératif de recruter et de le faire savoir.
Ces grandes campagnes auprès du grand public sont primordiales ?
Complètement et nous avons pu le mesurer en 2007. Cette année là, nous n’avions pas fait de campagne et la fréquentation des bureaux de recrutement s’est effondrée.
Cette année, vous avez opté pour un nouvel axe de communication, où la marine joue plus la carte de la proximité avec les jeunes.
Il y a quelques années, nous avions des campagnes d’interpellation, avec un slogan tel que « Mettez du sel dans votre avenir ». Le problème est que l’image que nous donnions de la vie des marins pouvait être interprétée comme étant très à l’écart des autres.
Cette fois, nous voulons montrer que les talents et les valeurs que les jeunes ont déjà, comme le sens de l’engagement, le goût des autres et le travail en équipe, correspondent à ce que l’on trouve sur les bateaux et sont des qualités qui conviennent à la marine. Ce que nous voulons faire comprendre à ces jeunes, c’est que les marins ne sont pas des « martiens » et que nous avons une vraie proximité avec le monde civil.
Chaque jeune peut trouver sa place dans la marine ?
Dans un équipage, chaque marin compte, du matelot au commandant. Notre recrutement n’est pas limité à une élite, même si nos hommes et femmes ont un travail qui sort de l’ordinaire puisqu’ils travaillent sur des plateformes de très haute technologie, à l’image du porte-avions et des sous-marins nucléaires et qu’ils ont vocation à participer à des opérations militaires.
Notre recrutement vise tous les jeunes, qu’ils aient fait ou non des études. Il va de l’Ecole des mousses, avec ou sans brevet, au bac +5. Nous proposons une très large variété de métiers, soit une cinquantaine, et des durées d’engagement plus ou moins longues. Certains viennent voir pendant un an, d’autre ont des contrats longs.
Et on peut très bien avoir déjà des expériences professionnelles et s’engager…
Tout à fait. Je rencontre d’ailleurs souvent de jeunes marins qui ont déjà eu une expérience professionnelle avant d’entrer dans la marine. C’est intéressant pour nous car ces personnes emmènent avec elles leur bagage technique. Ces profils sont également intéressants du fait de la maturité du projet professionnel. Ces jeunes se sont laissé un peu de temps pour murir cet engagement.
Cela peut permettre de réduire le nombre d’ « erreurs » de recrutement, sachant que 8% des jeunes qui intègrent la marine partent au bout de six mois parce que cette vie ne leur convient pas ?
Oui, 8% c’est beaucoup dans l’absolu, mais assez compréhensible si l’on tient compte de la découverte d’un milieu très nouveau et exigeant. Il est cependant clair que les risques sont plus réduits avec quelqu’un qui a réfléchi en amont à son engagement. Je pense par exemple à ceux qui ont fait un bac pro avec option Marine, les engagés volontaires qui découvrent l’institution pendant un an ou encore ceux qui ont fait une préparation militaire marine.
Il est aussi à noter que la marine consacre beaucoup de moyens à la formation de ses personnels...
Nous avons donc des jeunes qui arrivent avec des compétences techniques, et d’autres pour lesquels il faut construire ces compétences. Dans tous les cas, nous consacrons beaucoup de temps à la formation interne car nous avons des métiers qui n’existent pas dans le civil. D’abord, on se forme à être marin et militaire. Et puis il y a des métiers techniques qui s’appliquent à des objets spécifiques. Le travail d’un électricien sera par exemple différent entre le secteur du bâtiment et ce que l’on trouve sur un bateau militaire.
Au-delà de la formation initiale, la formation continue est également primordiale…
Notre outil de formation continue est très structurant pour les marins car il correspond à des catégories d’emploi, des grades, des statuts et des salaires. Il est aussi très clair, avec un dispositif de validation des acquis qui nous permet, chaque année, de délivrer par équivalence 2200 diplômes civils, depuis le bac pro jusqu’à la licence professionnelle et la maîtrise.
C’est un atout pour la reconversion, lorsque les marins achèvent leur carrière militaire et doivent trouver un emploi dans le civil ?
C’est très important car les marins qui partent doivent pouvoir trouver du travail facilement. En cela, l’expérience à la fois technique mais aussi humaine acquise dans la marine fait mouche. Les qualités qui font la force de notre institution, comme la rigueur et l’esprit d’équipe, sont très appréciées par les employeurs. Nos indicateurs montrent que 80% des marins trouvent un emploi en moins d’un an après leur départ. Dans les spécialités très pointues, c’est l’emploi qui vient à eux, avant même leur départ, ce qui peut nous mettre en difficulté.
Êtes-vous satisfaits du nombre de candidats pour les postes offerts ? Certains secteurs sont-ils plus tendus et marqués par une concurrence avec des entreprises civiles ?
Globalement, pour 3000 recrutements chaque année, nous avons 10 à 12.000 candidatures sérieuses, c'est-à-dire des jeunes qui ont le profil scolaire, professionnel et physique. Certaines spécialités, comme celles liées au nucléaire, à la mécanique et à la maintenance aéronautique sont actuellement très prisées et nous recrutons dans le même creuset que les industriels, avec lesquels nous sommes donc en concurrence.
Comment convaincre les jeunes qui ont le choix entre la marine et un industriel ?
Nous nous appuyons sur nos campagnes de communication et notre réseau de bureaux de recrutement, les CIRFA, qui sont une cinquantaine en France. On y trouve de gens qui connaissent la marine, qui viennent des forces et parlent de leur métier aux jeunes, en les recevant dans les bureaux ou en allant à leur rencontre dans les écoles.
L’attrait du voyage et de l’aventure est-il toujours aussi fort ?
Partir loin, découvrir le monde et vivre en équipage c’est ce qui nous différencie des recruteurs civils. Dans notre discours, nous mettons aussi en avant l’acquisition de valeurs, en particulier l’esprit d’équipage.
L’armée et la Marine nationale en particulier sont depuis longtemps caractérisées comme étant l’un des rares milieux où ce qu’on appelle « l’ascenseur social » fonctionne très bien. L’exemple traditionnel est celui d’anciens matelots qui gravissent progressivement les échelons pour devenir amiraux. Est-ce toujours possible ?
En 20 ans nous avons eu 18 exemples de marins qui ont commencé matelots et sont devenus amiraux, dont 8 ces cinq dernières années. Oui, l’escalier social fonctionne dans la marine et, en dehors de ces exemples, il y en a bien d’autres. Ainsi, la moitié des jeunes qui commencent matelots deviennent officiers mariniers et 40% des officiers que nous recrutons chaque année étaient auparavant officiers mariniers.
Qu’en est-il des possibilités de carrière justement. Les jeunes ont-ils des perspectives à long terme ou doivent-ils s’attendre à ne rester que quelques années dans la marine ?
Tout le monde ne fait pas une longue carrière dans la marine mais c’est le cas pour ceux qui ont les capacités et l’envie. L’un des grands défis du moment est de fidéliser les marins. Quelqu’un qui entre comme matelot, qui fait le job et qui n’a pas été sélectionné ensuite pour devenir officier marinier, nous souhaitons l’amener à 11 ans de service. Celui qui devient officier marinier et rend les services attendus, nous souhaitons qu’il reste parmi nous au moins 17 ans.
L’arrivée de nouvelles technologies, a-t-elle un impact sur le profil du personnel ?
Nous devons en effet tenir compte de l’évolution des métiers, ce qui implique de s’adapter et de procéder à des réajustements. En matière d’entretien des hélicoptères, il est clair qu’entre un Caïman et une Alouette III, les métiers ont profondément changé. Autre exemple : nous recrutons en ce moment beaucoup de mécaniciens et d’électriciens en raison de l’arrivée des frégates de nouvelle génération du type FREMM et aussi dans la perspective d’alimenter notre vivier d’atomiciens.
L’évolution de la société et des modes de vie a forcément des incidences. Les jeunes sont aujourd’hui plus sensibles aux aspects liés au confort et sont peut-être moins enclins à partir loin et longtemps de chez eux. Il y a en outre les problèmes liés à la connectivité, la génération actuelle ayant grandi avec Internet, qui fait partie intégrante de sa vie. Comment abordez-vous ces problématiques qui peuvent potentiellement être un frein au recrutement ?
On constate la plupart du temps que les jeunes découvrent ces réalités uniquement après leur premier embarquement. Ils constatent qu’ils ne peuvent pas être sur les réseaux sociaux, qu’ils sont éloignés de leurs familles. On peut alors avoir des réticences et des difficultés d’adaptation. C’est un enjeu aujourd’hui.
Nous n’aurons jamais sur un bateau la même connectivité qu’à terre, du fait notamment qu’il y a des contraintes opérationnelles qui imposent dans certaines circonstances de couper les communications. Je pense que la balance qui fait accepter une connectivité moindre, c’est la solidarité et la vie d’équipage, le mode de vie que l’on trouve à bord des bateaux et qui est humainement très riche.
Pour ce qui est du confort, les standards se sont significativement améliorés et de gros efforts ont été faits sur les nouvelles unités. Après, la vie de marins reste ce qu’elle est : on navigue, on fait du quart, on travaille la nuit et on est éloigné de ses proches pendant des semaines, voire des mois.
Entrer dans la marine c’est épouser un univers passionnant, avoir pour lieu de travail des navires exceptionnels, découvrir le monde et des cultures très différentes, forger des relations humaines extrêmement riches. C’est une expérience unique mais c’est aussi un engagement : la défense de la sécurité des Français, le sauvetage de personnes en danger, l’assistance à des populations en difficulté lors d’opération humanitaires. En somme, ce n’est vraiment pas un travail comme les autres ?
Ce n’est pas un travail comme les autres mais il est exercé par des Français comme les autres. Il comporte des exigences techniques et de mode de vie. Mais il repose d’abord sur un socle de valeurs qui nous sont fondamentales. On ne peut pas demander à quelqu’un qui a une vie hors du commun de participer à des opérations qui sont parfois dangereuses au service de son pays si son action ne s’appuie pas sur un socle de valeurs qui donne du sens à son action. Etre Français, militaires et marins, c’est notre dénominateur commun.
Interview réalisée par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, janvier 2015
- Pour en savoir plus sur les métiers et carrières qu'offrent la marine, rendez-vous sur le site Etremarin.fr