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Alors que les négociations se poursuivent autour du rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric ou Siemens, la France vient de se doter d’un dispositif permettant à l’Etat de s’opposer à la reprise, par des sociétés étrangères, d’entreprises tricolores considérées comme stratégiques. Le premier ministre, Manuel Valls, a signé mercredi un décret en ce sens, qui a été publié hier au journal officiel et s’applique à compter de ce vendredi.

 

 

La défense, l’énergie, l’eau, les transports, les réseaux de communication…

 

 

Aussitôt baptisé « Décret Alstom », puisque c’est le projet de rachat de ce fleuron national qui est à l’origine de la décision gouvernementale, le texte impose l’autorisation préalable de l’Etat à toute prise de contrôle d’entreprises françaises dont les activités sont considérées comme « essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d’ordre public ou de sécurité publique ou de défense nationale ». Et il n’y a pas que le domaine très sensible de la défense qui est concerné. En fait, la plupart des secteurs clés sont visés, couvrant de fait la majorité des grands groupes hexagonaux. Ainsi, le texte doit permettre d’assurer « l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique », de « l’approvisionnement en eau dans le respect des normes édictées dans l’intérêt de la santé publique », de l’exploitation « des réseaux et des services de transport », « des réseaux et des services de communications électroniques », ou encore « d’un établissement, d’une installation ou d’un ouvrage d’importance vitale au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense ».

 

 

« La puissance publique doit avoir son mot à dire »

 

 

Grâce à ce décret, le gouvernement entend avoir son mot à dire quant aux éventuelles cessions d’entreprises nationales de premier plan, afin de garantir que ces opérations ne fragilisent pas le pays. La possibilité de pouvoir bloquer un rachat par des investisseurs étrangers constitue, évidemment, une arme majeure pour permettre aux pouvoirs publics de peser sur les négociations de rachat. Mais c’est aussi un véritable dispositif de protection puisqu’il met un terme au risque de voir certains fleurons industriels français se faire absorber par des intérêts étrangers peu scrupuleux sans que l’Etat puisse intervenir. « Bien entendu, la France reste ouverte aux investissements étrangers, mais dans les cas sensibles la puissance publique doit avoir son mot à dire et le dossier Alstom nous a fait prendre conscience qu'on avait besoin d'un dispositif de ce type », a fait savoir Matignon, rappelant que d’autres pays, comme les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne s’étaient déjà dotés de protections similaires. C’est ce qu’a notamment souligné Michel Sapin, le ministre des Finances, interrogé hier matin sur le sujet dans le studio d’Europe 1.

 

 

Michel Sapin: " L'Etat doit protéger les... par Europe1fr

 

 

L’Etat comme arbitre

 

 

Le nouveau décret remet donc l’Etat au centre des discussions entre Alstom et ses repreneurs potentiels. Avec pour objectif, comme l’avait indiqué François Hollande le 6 mai, d’améliorer les offres des candidats au rachat. Le nouveau dispositif offre plus largement une protection à la plupart des grands groupes français contre d’éventuels prédateurs internationaux. Pour cela, le gouvernement a intelligemment justifié sa décision en inscrivant dans son décret « la garantie des intérêts du pays en matière d’ordre public ou de sécurité publique ou de défense nationale ». Car, si pour le secteur militaire cette notion est évidente, elle s’applique également aux transports, aux approvisionnements énergétiques, à la distribution de l’eau ou encore aux systèmes de communication, pour lesquels des défaillances seraient à même de provoquer de graves troubles au sein de la société. On notera qu’il est aussi fait mention de la nécessité d’assurer la « protection de la santé publique », ce qui complète l’argumentaire en faveur de ce texte.

 

 

Une arme à utiliser avec parcimonie

 

 

Il reste maintenant à voir comment cette nouvelle arme sera utilisée par l’Etat. L’instrument est certes intéressant, mais il est aussi à prendre avec précaution. Ainsi, le politique devra utiliser cette capacité de blocage avec parcimonie et ne pas en abuser au seul motif de satisfaire une opinion publique parfois en décalage avec les véritables intérêts industriels et sociaux liés à des rapprochements internationaux.  Le maintien coûte que coûte d’entreprises dans le giron national n’est, en effet, pas toujours une solution, ni pour le développement de ces sociétés, y compris en termes d’emplois, ni pour leur pérennité.  C’est sans doute le sens de la réflexion de Michel Barnier, qui a estimé hier qu’ « une bonne protection c’est l’investissement, pas le protectionnisme ». Selon l’ancien ministre français, aujourd’hui Commissaire européen en charge du marché intérieur, « l'objectif de protéger les intérêts essentiels stratégiques dans chaque Etat membre est essentiel dès qu'il s'agit de sécurité ou ordre public. C'est clairement prévu dans le traité. Mais nous devons vérifier si (cet objectif) est appliqué de manière proportionnée sinon cela reviendrait à du protectionnisme ». 

 

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