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Créé en octobre 2005, le Cluster Maritime Français vient de fêter son 10ème anniversaire. Cela fait maintenant une décennie que cet organisme, lancé pour fédérer les différentes filières navales et maritimes tricolores, se bat pour faire valoir, auprès des pouvoirs publics, les intérêts du secteur et la nécessité de le soutenir. Avec plus de 300.000 emplois directs et 69 milliards d’euros de valeur de production, le maritime est en effet un poids lourd de l’industrie et de la recherche dans l’Hexagone. Et son potentiel de croissance est encore considérable avec le développement de nouvelles technologies, comme les énergies marines, et la valorisation des eaux françaises et des richesses naturelles colossales que recèlent les grands fonds marins.

Alors qu’un Comité interministériel de la mer doit se tenir la semaine prochaine et que les prochaines Assises de l’Economie maritime se dérouleront à Marseille début novembre, nous faisons le point aujourd’hui avec Frédéric Moncany de Saint-Aignan, qui a succédé en début d’année à Francis Vallat à la présidence du CMF. 

 

MER ET MARINE : Les enjeux maritimes commencent enfin à trouver un écho médiatique et un intérêt politique. Après les avoir négligé pendant longtemps, les gouvernants en parlent de plus en plus. Cela dit, au-delà des grands discours, les résultats semblent parfois un peu décevants et le volontarisme affiché ne se traduit pas toujours concrètement, loin s’en faut…

FREDERIC MONANY DE SAINT-AIGNAN : On parle en effet de plus en plus de la mer et des océans. Les gouvernants et ceux appelés à gouverner se saisissent de ces questions. C’est une bonne chose. Toutefois, nous sommes il est vrai passés d’un silence assourdissant à un bruit de fond assez confus.

Qu’attendez-vous ?

C’est bien de s’intéresser au maritime mais, au-delà des paroles et de quelques actions, il faut passer à la vitesse supérieure. Nous devons maintenant avancer vers une politique globale et coordonnée pour tirer le pays vers la Croissance Bleue. Car, si de nombreuses choses sont faites, les mesures sont généralement dispersées et manquent de cohérence. Il faut une véritable stratégie maritime, cohérente, coordonnée et concrète.  

Quels sont vos sujets d’inquiétudes actuellement ?

La taxe foncière sur les ports maritimes et un sujet de vigilance extrêmement important car de la santé financière des ports dépend leur développement futur et leur capacité à générer de l’activité et des emplois dans les territoires. Nous sommes également inquiets concernant l’évolution de la loi de 1992, dont il faudra corriger les travers afin de s’assurer de la pérennité des emplois et du pavillon français pour la flotte pétrolière. Le soutien au financement est lui aussi un sujet majeur car il doit permettre notamment de renouveler la flotte afin d’atteindre les objectifs environnementaux que se fixe notre pays.

Avec justement la COP 21 qui arrive, il y a sans doute matière à cela ?

Oui, nous avons d’un point de vue politique une série de séquences importantes à venir, d’autant que cet été, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, s’est saisie de la question de la Croissance Bleue et souhaite la promouvoir. Dans cette perspective, le CMF a été l’un des grands témoins invités le 31 août à la Conférence nationale pour la transition écologique et le climat.  Celle-ci a débouché sur 10 propositions en faveur de la croissance bleue.

Oui mais là encore, au-delà des effets d’annonces, ces propositions sont assez vagues et générales…

C’est pourquoi nous sommes et serons  extrêmement attentifs à ce qu’elles se traduisent par des mesures concrètes et permettent de faire du développement durable un levier de croissance de l’économie maritime.

Il y a également un Comité interministériel de la mer prévu le 22 octobre, juste avant les Assises de l’Economie Maritime. Qu’attendez-vous de ce CIMER, qui ne s’est pas réuni depuis 2013 ?

C’est un moment important car le gouvernement va prendre un certain nombre de décisions et, nous l’espérons, répondra aux attentes du secteur maritime. Nous attendons notamment la mise en place d’une feuille de route sur les grands fonds marins. Parmi les autres sujets, que nous souhaitons voir à   l’ordre du jour, il y a le financement du shipping, l’apport de moyens financiers à la SNSM, le soutien au renouvellement de la flottille de pêche, l’aide à l’innovation et la simplification des procédures administratives pour les EMR, ainsi que la problématique des visas pour les membres d’équipage des paquebots, qui touche particulièrement la Polynésie française. Nous espérons également des avancées sur la planification des espaces maritimes.

La question du financement du shipping avait déjà été évoquée l’an dernier et la Banque Publique d’Investissement devait s’y intéresser. Ce ne fut pas le cas ?

Il y a eu des réunions avec la BPI en début d’année mais, depuis, rien n’a avancé. Nous n’arrivons pas à l’intéresser au shipping. Ce que nous demandons, c’est que la BPI vienne en soutien et en garantie des investissements des armateurs.

Il y a aussi la problématique de la construction en France par des armateurs tricolores. Ponant, par exemple, dit faire construire ses bateaux à l’étranger car il ne bénéficie pas dans l’Hexagone des mêmes avantages que ce que procure la Coface avec les crédits export mis en œuvre pour des sociétés étrangères…

Le cas de Ponant, comme celui de tous les armateurs nationaux qui veulent faire construire en France leurs navires, font partie des sujets sur lesquels nous travaillons. Il faudrait qu’avec les armateurs français, nous puissions avoir un système de Coface inversée pour pouvoir construire des navires à des conditions financières aussi intéressantes que dans des chantiers étrangers.

L’exploration et l’exploitation des grands fonds est un sujet que porte le Cluster depuis des années. Les choses vont-elles enfin bouger ?

Une stratégie doit impérativement émerger et nous comptons sur le CIMER pour concrétiser une feuille de route afin d’y parvenir. Il en découlera des engagements de l’Etat et des industriels, coordonnés par le Secrétariat Général de la Mer, qui permettront de lancer la future filière d’exploration et d’exploitation.

Une alliance franco-allemande dans ce domaine est évoquée. C’est une bonne chose ?

La France et l’Allemagne devraient en effet s’entendre pour coordonner leurs efforts sur les grands fonds, qui représentent des potentialités d’avenir phénoménales. C’est une initiative intéressante car, sur le plan politique, le couple franco-allemand serait moteur afin que l’Europe se dote d’une feuille de route permettant d’élaborer une stratégie commune. Et, sur le plan pratique, les industries allemande et française sont complémentaires.

Concernant la pêche, quelles sont vos attentes ?

La flottille doit être renouvelée et il faut en profiter pour construire de nouveaux bateaux plus écologiques, plus sûrs et qui s’inscrivent dans une politique de pêche durable. Le soutien au renouvellement comprend deux volets : le volet financier, c’est-à-dire les aides, et le volet consacré au soutien à l’innovation.

Reste que les patrons pêcheurs semblent pour beaucoup un peu perdus dans l’accumulation de dispositifs, tant nationaux qu’européens. L’ensemble est au final très complexe et mériterait peut-être d’être simplifié ?

C’est exact et c’est pourquoi nous souhaitons la mise en place d’une sorte de guichet unique qui donnerait une visibilité sur les financements français et européens, qu’il s’agisse de recherche, d’innovation ou de soutien au renouvellement. Alors que certains fonds européens ne sont pas consommés, l’idée est de créer une structure rassemblant les compétences de plusieurs ministères pour informer  les pêcheurs notamment mais tous ceux qui recherchent aide aux financements en améliorant la lisibilité de ces aides, de manière à ce que les entreprises ne se noient pas dans les dispositifs et ne ratent pas certaines occasions.

L’enseignement maritime en France traverse actuellement une période délicate, pour ne pas dire une crise. Comment voyez-vous l’avenir de l’ENSM ?

Les acteurs de l'économie maritime sont très attachés à un enseignement maritime français d'excellence. L'inauguration par le Président de la République, du centre havrais de l'école nationale supérieur maritime mardi dernier  a souligné l'importance de la formation maritime dans le cadre de la croissance bleue. L'ENSM s'est dotée  il y a 2 ans d'une feuille de route stratégique novatrice.  Comme dans toutes périodes de  rodage, il est sans doute opportun de la relire et s'assurer qu’elle correspond bien aux attentes notamment des armateurs, premiers employeurs de l'Ecole. L'ENSM ne peut pas être une école d'ingénieurs comme les autres. Elle est avant tout une école maritime. Elle forme d’abord des navigants même si nous souhaitons qu'elle se diversifie en continuant à développer la formation continue, en renforçant les liens avec le milieu universitaire pour aboutir un jour à une grande académie maritime française.

Le député Arnaud Leroy a déposé au printemps dernier une proposition de loi visant à soutenir l’économie maritime française. Ses idées vont elles dans le bon sens ?

Cette proposition de loi est importante car elle apporte des solutions sur de nombreux pans de l’économie maritime. Dans le transport, elle propose par exemple une simplification du rôle d’équipage et comprend des dispositions sur la protection des navires. Elle comprend des mesures facilitant l’employabilité des marins, le texte s’attaque aussi au dumping social. Il traite également de la flotte stratégique et comprend un volet assuranciel pour les EMR. Cette proposition de loi est donc une brique importante  dans la construction d’une stratégie maritime.

Les prochaines Assises de l’Economie maritime se dérouleront donc les 3 et 4 novembre à Marseille. Cet évènement est devenu le grand rendez-vous institutionnel du secteur. Quels ministres seront présents cette année ?

Nous aurons pour la première fois une intervention de Ségolène Royal, d’autant plus importante dans la perspective de la COP 21, qui suivra peu après. Le secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies, sera lui-aussi présent, et peut être le premier ministre. Jean d’Amour, ministre de la stratégie maritime du Québec, prendra également la parole, de même que Teva Rohfritsh, ministre polynésien de la relance économique et de la croissance bleue.  Ils permettront d’élargir le débat au sein d’un évènement dont le programme est très riche en conférences.

Ce sera également l’occasion de fêter l’anniversaire du Cluster, créé il y a 10 ans tout juste, à l’initiative de Francis Vallat…

Une poignée de visionnaires ont imaginé le Cluster Maritime Français, formidable outil de promotion de l'économie maritime, créé le 10 octobre 2005 lors de l’Assemblée Constituante tenue dans l’hémicycle du Conseil Economique et Social, à l'initiative et sous la présidence du Président de l’Institut Français de la Mer de l’époque. Il s’agissait de tenter de lancer une organisation voulue et animée par et pour les acteurs de cette économie. Qui aujourd'hui douterait de la pertinence de cette idée ? La France possède la seconde ZEE au monde. La France compte parmi ses grands acteurs de l'industrie maritime nombre de leaders mondiaux et une  multitude de PME et TPE performantes et extraordinairement dynamiques. Pour que notre pays, trop souvent terrien par son histoire et sa culture, puisse prendre toute sa place dans la maritimisation du monde à l'aube du XXIème siècle, il lui fallait réunir de manière transverse toutes ses forces maritimes. Le Cluster Maritime Français l'a fait.

Et 10 ans plus tard, il continue de voir le nombre de ses membres s’accroître. Que faut-il en conclure ?

Le Cluster Maritime Français regroupe aujourd’hui près de 400 membres, dont une quarantaine nous ayant rejoint cette année. De plus en plus d’entités adhèrent afin de faire entendre la voix du maritime dans toute sa diversité. C’est un signe très encourageant car plus nous sommes nombreux, plus nous avons d’impact et ce mouvement s’inscrit clairement dans la maritimisation de la France.

Quelle est la typologie des nouveaux membres ? S’agit-il de grands groupes, de PME ? Quels secteurs d’activités sont concernés ?

Les grands groupes sont déjà membres du Cluster. Aujourd’hui, nous voyons plutôt des équipementiers et des PME nous rejoindre. Nous avons par exemple des motoristes et beaucoup d’entreprises liées en particulier à l’aquaculture ainsi qu’aux biotechnologies. Et puis il y a des entreprises de haute technologie, à l’image des concepteurs et fabricants de drones.

L’un des objectifs du CMF est, depuis le début, de faire travailler les différents acteurs du maritime sur des thématiques communes. C’est l’objectif des Groupes Synergies. De nouveaux thèmes vont-ils voir le jour prochainement ?

Les Groupes Synergies sont très importants et ont permis de faire avancer de nombreux dossiers ces dernières années. Actuellement, une dizaine de groupes sont actifs et rassemblent parfois une quarantaine d’acteurs privés et publics. Nous allons lancer dans les mois qui viennent quatre nouveaux groupes. Le premier sera consacré aux drones, le second à la planification des espaces maritimes, le troisième au financement des activités maritimes et le quatrième sera un groupe d’échanges pour les acteurs de la plaisance.

En plus de la métropole, des Clusters maritimes se sont développés Outre-mer pour fédérer les acteurs locaux. La transposition du concept dans les territoires ultramarins fonctionne ?

Entre 2011 et 2014, six Clusters ont vu le jour dans les territoires d’Outre-mer. Il s’agit de La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie. Ils sont tous très actifs sur leurs territoires et nous les aidons à coordonner leurs actions, tout en facilitant le dialogue avec les administrations centrales. Nous avons eu cette année six réunions avec la Direction Générale des Outre-mer sur trois grandes thématiques : le tourisme, la formation et les infrastructures portuaires. Chacun présente ses problématiques propres et nous faisons avancer ensemble les dossiers. Le prochain grand rendez-vous est programmé le 6 novembre, date où se déroulera une journée de coordination des clusters maritimes ultramarins, au cours de laquelle il y aura notamment des échanges avec des parlementaires et le ministre en charge de l’Outre-mer.

Le Cluster est-il un rouage essentiel entre les filières maritimes et les pouvoirs publics ?

Le Cluster est devenu au fil des années un interlocuteur incontournable pour les décideurs du monde maritime, ainsi que les administrations et les politiques en charge de ces questions. Nous nous félicitons des relations avec les pouvoirs publics. Nous collaborons étroitement et en bonne entente, même si parfois les décisions tardent à venir ou ne sont pas à la hauteur de ce que nous attendons.

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Interview réalisée par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, octobre 2015

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