Shipspotters ou, en français, photographes de bateaux. Voilà une passion dévorante, pour deux retraités qui passent des heures à traquer les coques qui viennent lécher les côtes bretonnes. Un vrai boulot à plein temps, entre la recherche d'informations sur Internet, les heures de prise de vue sur le terrain, le traitement, le partage et l'archivage des images. Michel Floch pratique depuis 2008, quasiment tous les jours et selon les horaires de bureau s'il y a du trafic. Eugène Gillet est tombé dedans depuis quatre ans, sur la côte nord et dans le secteur du Minou, à l'endroit où les bateaux entrent ou sortent du goulet.
Le sens du partage
Il y a tout d'abord le plaisir de la photographie, puis le voyage que dessinent les sillages. Se tenir informé de la progression des bateaux, calculer leur passage à portée d'objectif, se renseigner sur leur retard, leur parcours, leur histoire, être parmi les premiers à les mettre dans la boîte. Les shipspotters abondent plusieurs sites où ils postent gratuitement leurs clichés. Rien de commercial, que du partage et sa signature pour laisser une trace dans le milieu. « À force, on se connaît tous. On doit être une demi-douzaine de réguliers à la pointe bretonne, tous amateurs passionnés ! ». « Du temps où nous ne disposions pas des informations de Marine Traffic, je me suis vu rester à l'affût des journées entières », concède Michel Floch, l'un des plus expérimentés de la pointe bretonne. À force, le moindre changement de cap, la moindre évolution de la pilotine leur permet de dérouler le scénario maritime. « On connaît les habitudes, on assiste aux évolutions du trafic et des besoins. Nous complétons sans cesse nos galeries personnelles et partageons tout le temps nos photos ». Fondus d'informatique, l'ancien marin militaire (secrétaire) et l'ancien pyrotechnicien de DCNS enchaînent les séances de prises de vue, le plus souvent à proximité du phare du Minou, idéalement positionné. Cargos, navires militaires, unités de plaisance remarquables : rien n'échappe à leur téléobjectif, leur image étant parfois demandée par les journaux ou les compagnies de ces navires.
Loups blancs du Minou
« Si nos épouses comprennent notre passion ? On pense que oui ; au moins, on leur fout la paix une bonne partie de la journée ! ». Même s'il faut parfois se résigner à empoigner la tondeuse ou s'emparer du taille-haie... À condition qu'un navire jamais venu à Brest ne pointe pas le bout de son étrave ! Connus comme les loups blancs du Minou, les shipspotters n'inquiètent même plus les fusiliers marins qui viennent sécuriser les entrées et sorties de sous-marins nucléaires. « On joue le jeu, on ne prend jamais les grosses bêtes noires en photo ». Mais tout le reste, ils mitraillent avec le plaisir d'obtenir une belle composition, dans la plume, soleil couchant sur le goulet. En plein air, à la manière de chasseurs inoffensifs d'embruns et de coques salées.
Un article de la rédaction du Télégramme