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Un ministère de la mer... François Hollande l'a promis dans une interview accordée à nos confrères du Télégramme lors de son passage à Quimper et Lorient entre les deux tours de l'élection présidentielle. Depuis, aucune précision supplémentaire n'a été donnée et il sera compliqué au nouveau président de la République - qui doit annoncer aujourd'hui le nom de son premier ministre - de s'exprimer à ce sujet avant la constitution effective du nouveau gouvernement et les élections législatives de juin. Sous la Vème République, il n'y a eu qu'un seul ministre de la Mer : le Finistérien Louis Le Pensec, qui a assumé cette fonction dans les deux premiers gouvernements de Pierre Mauroy (1981-83). Le poste a ensuite été supprimé pour être brièvement recréé au sein du gouvernement de Michel Rocard (1988-89). Dans les colonnes du Télégramme, Louis le Pensec rappelle qu'à l'époque « François Mitterrand avait créé ce ministère comme une reconnaissance de la vocation maritime de la France et la réparation d'une erreur historique ». Flotte de commerce, pêche, chantiers, recherche océanographique, ports, sécurité en mer... Le ministre avait « compétence sur l'ensemble du domaine maritime ». Au fil des années, cette approche s'est néanmoins effritée : « Par la suite, la Mer fut confiée à des ministres délégués, rattachés à d'autres ministres ou à des secrétaires d'État, qui ne sont généralement invités au Conseil des ministres qu'une fois tous les trois mois et qui vont là où leur ministre de tutelle n'a pas envie d'aller », affirme Louis Le Pensec. L'ancien ministre, qui regrette cette situation, « ce n'est pas ma conception de ce poste », continue de penser qu'« un vrai ministère de la Mer, la France le vaut bien ». Des problématiques réparties sur une quinzaine de ministères Mais cette idée n'est pas partagée par tous. Nombreux sont en effet ceux qui estiment que les problématiques maritimes sont trop éclatées : Ports, Marine marchande, Marine nationale, Douane, Affaires maritimes, Pêche, Energies marines renouvelables, Archéologie sous-marine, Aires marines protégées... Aujourd'hui, elles dépendent en effet d'une quinzaine de ministères et, si toutes ont la mer comme dénominateur commun, leurs spécificités sont réelles et constituent dans certains cas des mondes très différents. « Bien sûr, il faut une ambition maritime mais je ne suis pas sûr qu'on puisse regrouper toutes les compétences sous un seul chapeau. Les problématiques sont tellement différentes qu'il y a un risque de dilution dans un ministère fourre-tout. Je pense qu'il vaut mieux, par exemple, que les hydroliennes restent rattachées au ministère de l'Écologie, la pêche au ministère de l'Agriculture ou la Marchande aux Transports », estime Alain Cadec, député européen UMP. Egalement interrogé par Le Télégramme, André Le Berre, ancien président du comité régional des pêches en Bretagne, craint lui aussi que dans un grand ministère de la Mer, les pêcheurs soient « la troisième roue de la charrette » et préfère rester au sein du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, notamment en raison des négociations à Bruxelles, où « nous pouvons mieux discuter car les autres pays européens sont organisés comme nous ». Depuis le ministère de la Mer de Louis Le Pensec, les temps ont en effet changé. A l'époque, la France avait la totale maîtrise de sa stratégie maritime. Il n'y avait pas, comme dans d'autres secteurs, de grandes politiques européennes au tout début des années 80. En trois décennies, la physionomie de l'économie maritime a totalement changé. Elle s'est non seulement diversifiée, et technicisée, mais elle s'est aussi et surtout communautarisée. Un gros pan des réglementations, du quota de pêche à l'inspection des navires dans les ports, en passant par les plans de financement des navires et les subventions accordées aux chantiers navals, se décide désormais à Bruxelles. Sans compter l'Agence européenne de sécurité maritime, qui fixe depuis Lisbonne les lignes de la politique de sécurité maritime. La mer est devenue un sujet de moins en moins domestique et de plus international. Faire évoluer le SG Mer ? Ce qu'il reste de régalien, ce sont les missions de défense, de police et de maintien de l'ordre public dans les eaux territoriales, ainsi que l'aménagement et la protection du littoral au sens large. Pour coordonner les actions dans ces domaines, il existe déjà un outil : le Secrétariat général de la mer. Organisme interministériel purement administratif, le « SG Mer » est constitué par des fonctionnaires détachés des différentes administrations concourant à l'action de l'Etat en mer et est dirigé par un de ces fonctionnaires. Chargé d'assurer en concertation avec tous les acteurs la cohérence des décisions gouvernementales en matière de politique maritime, il dépend directement du premier ministre. Depuis sa création, en 1995, le SG Mer a, de manière générale, plutôt donné satisfaction aux acteurs du monde maritime. Toutefois, selon certains observateurs, il serait peut-être utile de « politiser » celui-ci, afin de renforcer la légitimité de l'action maritime. Ainsi, tout en lui conservant son rôle de spécialiste, il serait l'unique point d'entrée de l'action régalienne en mer. Son rôle de veille, d'expertise et de mise en oeuvre en matière d'économie maritime pourrait être renforcé. Mais, surtout, le SG Mer pourrait avoir à sa tête une autorité politique, tel un Haut commissaire, siégeant au gouvernement et responsable devant le parlement. D'un rôle technique, l'ex-SG Mer, devenant Haut commissariat, passerait à celui d'un interlocuteur politique capable de singulariser son point de vue. Un visage politique à l'action maritime Il semble en tous cas évident qu'il manque un visage politique à l'action maritime de la France. Au-delà de l'évolution du SG Mer, d'autres pistes plus institutionnelles sont évoquées. Pour Alain Cadec, « il faudrait un secrétariat d'État à la mer pour assurer la cohérence et la transversalité entre les ministères concernés ». Patricia Adam, députée socialiste du Finistère, plaide quant à elle pour un renforcement du rôle du SG Mer, tout en ajoutant cette fameuse dimension politique : « Le gouvernement doit afficher fortement sa politique maritime, c'est une évidence compte tenu des enjeux. Je pense que créer au moins un secrétariat d'Etat à la Mer auprès du premier ministre serait une bonne chose. Pour mieux coordonner la politique maritime française, il faut un suivi politique. Celui-ci serait du ressort du secrétaire d'Etat, qui participerait par exemple au Conseil des ministres et travaillerait en duo avec le SG Mer », nous expliquait en mars l'élue bretonne. Comme beaucoup, Patricia Adam pense, en revanche, irréaliste l'idée d'un grand ministère de la Mer dans lequel seraient regroupés tous les domaines d'activité. Certains secteurs sont, en effet, rattachés de manière très cohérente avec leur ministère de tutelle, comme la Pêche avec l'Agriculture. Les en retirer ne serait donc pas forcément efficient. En outre, il y a la problématique budgétaire car un regroupement supposerait que les ministères abandonnant des missions cèdent également les financements qui vont avec. Or, il s'agit là d'un véritable casse-tête tant les lignes budgétaires sont parfois difficile à définir. « Il n'est pas pensable de construire un budget uniquement dédié à la mer, car les problématiques sont très vastes, allant de la plaisance à la défense. Le budget est donc, logiquement, éclaté sur plusieurs ministères. Et il doit le rester faute de quoi, je ne pense pas que la mer y gagnerait », estime la députée. « Ne pas sacrifier l'efficacité à l'affichage » Du côté du Cluster Maritime Français, qui défend les intérêts des différents secteurs maritimes nationaux, la perspective de voir recréé un ministère de la Mer n'est pas rejetée, mais suscite de la prudence. « La mer relève d'une quinzaine de départements ministériels avec des sujets très transversaux. Cela nécessite une grande coordination au niveau gouvernemental. Dans l'idéal, on pourrait souhaiter un grand ministère de la Mer auxquels seraient intégrés la plupart des secteurs, à l'exception de la Pêche et de la Marine nationale, qui sont de manière cohérente rattachés à l'Agriculture et la Défense. Ce ministère devrait être pérenne, avoir un budget et des services à même de peser sur Bercy. Et il aurait à sa tête une personnalité politique de premier plan. Mais cet idéal, nous n'y croyons pas beaucoup », confie le président du CMF. Pour Francis Vallat, qui souhaite au moins un renforcement de l'action interministérielle sur les sujets maritimes, « il faut être réaliste et ne pas sacrifier l'efficacité à l'affichage ».

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