EDF Energies Nouvelles, qui emmène l'un des consortiums candidats à l'appel d'offres pour les premiers parcs éoliens offshores français, a semé le trouble en annonçant, la semaine dernière, qu'il écartait pour le moment le recours à des fondations de type jacket. Ces structures métalliques en treillis constituent le développement le plus récent en matière d'éoliennes posées en mer. Spécialement conçues pour les machines de très forte puissance, elles disposent de quatre pieds reliés entre eux par des croisillons et surmontés d'une plateforme servant de pièce de transition entre la fondation et le mât de l'éolienne. Les jackets sont posés sur le fond marin, leurs quatre pieds étant reliés à des pieux qui assurent l'ancrage. Ce design doit, notamment, permettre de mieux répartir les efforts de la structure et d'offrir une construction plus « transparente » à la houle car elle laisse mieux passer les vagues. Enfin, le jacket serait, aux dires de certains spécialistes, la meilleure solution pour l'environnement, car elle offrirait un « puits de vie » aux espèces marines. Les trois concepts de fondations : Mono-pile, gravitaire et jacket (© : EWEA) Dès le début, EDF EN et ses partenaires, le turbinier français Alstom, l'électricien danois Dong et le développeur français Nass&Wind Offshore, avaient opté pour le jacket dans le cadre des projets relevant de l'appel d'offres français. Le prototype d'Haliade, la nouvelle éolienne offshore de très forte puissance d'Alstom (6 MW), en cours de montage sur le site terrestre du Carnet, près de Saint-Nazaire, est d'ailleurs doté d'un jacket réalisé par STX France. Et le chantier nazairien est en discussion avec EDF afin de réaliser le jacket du second prototype, qui sera installé en mer, d'ici la fin de l'année, sur le champ Belwind 1 au large de la Belgique. L'étude géotechnique qui a bouleversé les plans d'EDF Et puis, coup de théâtre, la semaine dernière, EDF EN et Alstom annoncent que le recours au jacket est pour le moment mis de côté pour les quatre sites convoités par leur consortium (Guérande, Saint-Brieuc, Courseulles-sur-Mer et Fécamp). « Nous avons décidé, avant même les résultats de l'appel d'offres, de financer une étude géotechnique sur les quatre sites afin de mieux connaître la nature des sols et confirmer que les solutions que nous envisagions étaient les bonnes. Nous hésitions à la faire car c'est un investissement très important et, sur certains sites, il existait une bibliographie. Mais nous avons pris ce risque afin d'avoir la meilleure connaissance possible des sols », explique-t-on chez EDF EN. Or, devant les analyses issues des carottages réalisés sur zone, les ingénieurs ont eu une mauvaise surprise. « Cette étude a démontré que les sols étaient beaucoup plus friables que ce que nous imaginions. Dans certains secteurs, cela contredit même la bibliographie existante ». Par conséquent, EDF a décidé, en l'état actuel de ses connaissances, de changer son fusil d'épaule concernant les fondations. Désormais, le groupe prévoit, au cas où il est lauréat sur les différents champs de l'appel d'offres, de recourir à des fondations mono-pieux (pile d'acier enfoncée dans le sous-sol marin) pour les sites de Guérande et Courseulles, et aux fondations gravitaires (cône d'acier et de béton situé à la base du mât) pour Saint-Brieuc et Fécamp. « Il n'est pas techniquement impossible d'installer des jackets mais, compte tenu de la nature réelle des sols, il y aurait des travaux supplémentaires, comme le cimentage des pieux d'ancrage. En définitive, cette solution augmenterait considérablement les délais de construction et le coût du chantier. C'est pourquoi, en l'état actuel de la technologie, nous ne partons plus sur des jackets ». éoliennes Haliade montées sur jacket (© : ALSTOM) Iberdrola mise toujours sur les jackets De son côté, l'un des concurrents du consortium emmené par EDF EN maintient, quant à lui, sa volonté d'installer des jackets sur les champs français s'il est retenu dans le cadre de l'appel d'offres. L'énergéticien espagnol Iberdrola, les Français Areva (turbine) et Technip (pose), ainsi que le Britannique Eole-RES (développeur) se positionnent quant à eux sur deux champs, ceux de Guérande et Saint-Brieuc. La semaine dernière, Iberdrola a annoncé la signature en 2011 d'un préaccord (non exclusif) avec STX France pour réaliser les fameux jackets des champs bretons visés. Dans le même temps, le consortium a également signé un autre MOU (memorandum of understanding) avec le groupe français Eiffage. Ce dernier est l'un des trois candidats à la reprise du chantier brestois Sobrena (avec le Néerlandais Damen et l'Américain Gibdock), dont il compte se servir, s'il est désigné par le tribunal de commerce, pour réaliser des fondations d'éoliennes. Dans cette perspective, Eiffage s'est rapproché du groupe néerlandais Smulders, leader sur le secteur des jackets. Au sein du consortium emmené par Iberdrola, on affirme que le jacket demeure la meilleure solution et que la problématique des sols a été prise en compte: « Dans l'offre que nous avons remise au mois de janvier, il est déjà prévu de bétonner les pieux. Ce n'est pas une surprise ». Moyennant quoi, l'électricien espagnol et ses partenaires n'ont pas réalisé de campagne géotechnique et ne peuvent, à cette heure, se baser que sur les données existantes. Celles-là même que le consortium d'EDF, suite aux carottages réalisés l'an dernier, estime désormais incomplètes voir erronées, ce qui a conduit dit-il à son changement de cap. Le champ C-Power en Belgique (© : C-POWER) Un mono-pieu peut-il supporter une turbine de très forte puissance ? En parallèle, la question de l'adoption du mono-pieu fait débat. Cette fondation, qui consiste à prolonger le mât de l'éolienne par une pile s'enfonçant dans la roche, est la technologie la plus courante dans l'éolien offshore. Ainsi, sur environ un millier de turbines actuellement installées en mer, 90% ont des mono-pieux. Cependant, sur les champs existants, un certain nombre de problèmes ont été rencontrés jusqu'ici, par exemple des soucis de conception par rapport à la nature du sous-sol marin. Des aléas après tout logiques puisque l'éolien offshore est une activité récente qui méritait un retour d'expérience. Si le mono-pieu ne constitue donc pas une « assurance tout risque », on peut espérer qu'aujourd'hui, à la lumière des déboires rencontrés ces dernières années, un certain nombre de leçons ont été tirées. Toutefois, dans le cadre des futurs champs français, l'adoption éventuelle de la pile unique se ferait à une toute autre échelle. Car, jusque là, la quasi-totalité des éoliennes marines avaient une puissance de 3.6 MW maximum. Or, en France, il est question d'installer des turbines allant jusqu'à 6 MW. Dans le cas d'Haliade, il s'agit d'un mastodonte de 400 tonnes perché à une centaine de mètres au dessus de l'eau et supportant trois énormes pales de plus de 70 mètres de long. « Jusqu'ici, nous avons eu des mono-pieux sur des machines de taille modeste et des conditions de sols plutôt favorable. Dans le cas de la machine d'Alstom, le rotor est énorme et, entre le vent et le poids de la nacelle, l'effet de levier sera extraordinaire. Et, pour supporter cette masse, il faudra un pieux énorme », affirme-t-on chez les concurrents du groupement constitué autour d'EDF EN. En clair, la question est de savoir si une fondation en mono-pieux sera suffisamment résistante pour supporter une machine telle qu'Haliade, qui génèrera des efforts colossaux. Chez EDF EN, on assure que ce sera le cas : « Il n'est évidemment pas question d'investir des milliards d'euros avec des technologies qui ne fonctionneraient pas. Au sein du consortium, nous nous appuyons sur l'expertise de Dong, qui est un grand spécialiste des mono-pieux. Au regard des études géotechniques que nous avons réalisées, Dong assure qu'il saura concevoir les fondations adéquats et adaptées à la machine d'Alstom ». (© : AREVA) La bataille de la communication Autour du consortium emmené par EDF EN, on martèle que les nouvelles solutions avancées sont les meilleures. « Nous sommes les seuls à avoir mené une étude géotechnique dont on ne peut évidemment livrer les détails pour des questions de confidentialité, mais qui font que nous sommes les mieux placés aujourd'hui pour dire ce que l'on peut faire en termes de fondations ». Reste qu'EDF EN a pris un risque en annonçant quelques semaines avant la désignation des lauréats de l'appel d'offres la remise en cause de l'option jackets. Car cette décision a fait l'effet d'une douche froide sur les industriels, comme STX, qui comptent se diversifier grâce au développement des énergies marines renouvelables, éolien en tête. Et derrière eux, il y a évidemment les pouvoirs publics, qui veulent que ce grand programme ait le maximum de retombées pour l'économie et l'emploi locaux. EDF EN s'est donc engagé, à un moment crucial, sur un terrain délicat. D'autant qu'Iberdrola annonçait presqu'au même moment son intention de faire réaliser des jackets dans les régions concernées... (© : EWEA) La décision n'a pas été prise de gaieté de coeur, explique-t-on au sein de consortium d'EDF EN. « Cette découverte ne nous a pas arrangés car nous avions basés nos projets sur le jacket et avions déjà noué des partenariats, notamment avec STX France. Au pire, nous aurions pu attendre que la désignation des lauréats de l'appel d'offres soit faite pour annoncer les conclusions de nos études préliminaires. Mais nous avons préféré le faire dès maintenant par souci de transparence et pour que nos partenaires industriels puissent se retourner. Pour autant, même si le jacket n'est pas retenu, nous pourrons continuer de travailler avec ces entreprises. Il faudra en effet réaliser les sous-stations électriques, qui demeureront sur jackets, ainsi que les pièces de transition entre les éoliennes et les fondations ». Sans parler d'éventuelles perspectives à l'export, toujours très relatives car les pays privilégient généralement leur industrie nationale, EDF EN a, de plus, annoncé qu'il travaillait avec les chantiers nazairiens sur un projet de navire spécialement conçu pour l'installation d'éoliennes de grande puissance. Par ailleurs, en dehors des fondations, le consortium met bien évidemment en avant le développement d'une nouvelle filière industrielle avec la construction par Alstom d'une usine de turbines à Saint-Nazaire et la fabrication des pales et des mâts à Cherbourg, alors qu'Areva prévoit, si son groupement est choisi, d'implanter ses usines au Havre. Alors que le troisième consortium en lice (GDF Suez et Vinci avec une turbine Areva), qui se positionne sur les sites du Tréport, Courseulles et Fécamp, semble actuellement plus discret, EDF et Iberdrola sont clairement lancés dans une grande bataille de communication et de lobbying. Et, à ce titre, certaines annonces doivent être prises avec la plus grande prudence. Eoliennes offshores sur jacket (© : EWEA/EON) Aucune certitude avant la phase de levée de risques L'option du jacket est-elle trop complexe et onéreuse ? L'adoption du mono-pieu pour une éolienne de grande puissance est-elle un défi technologique majeur ? Les différents consortiums engagés dans une bataille à 10 milliards d'euros (montant estimé des investissements pour les 5 parcs) pourront-ils tenir leurs engagements ? Les questions sont nombreuses et, pour l'heure, les réponses sont inconnues ou bien contrastées. Seules deux choses sont certaines : D'une part EDF EN est en effet le seul à disposer aujourd'hui d'une base géotechnique sur les sols qui lui permet d'affiner ses choix techniques, et d'autre part l'utilisation d'une pile unique pour une éolienne de 6 MW serait une première et un challenge technique. Dans tous les cas, aucun des groupements actuellement en lice n'est en mesure de figer ses propositions dans le marbre en matière de fondations. Car, pour cela, il faudra que les lauréats de l'appel d'offres lancent de nouvelles études, cette fois très poussées, afin de déterminer avec précision la nature exacte des sols sur l'ensemble des zones concernées. Même EDF EN, qui n'a pour le moment réalisé qu'un « échantillonnage », certes très utile pour extrapoler, mais qui méritera d'être confirmé. Et ce n'est qu'à la lumière de ces éléments que des décisions pourront être prises. C'est d'ailleurs tout l'objet de la période de levée de risques prévue à l'issue de l'appel d'offres, les lauréats ayant 18 mois pour conduire ces campagnes et boucler leur projet avec précision. Il s'agit, notamment, de ne pas renouveler certaines expériences malheureuses sur de précédents projets de parcs offshores en Europe. Il est, en effet, déjà arrivé que la construction d'un parc soit attribuée à une société n'ayant pas mené en amont les études nécessaires et ayant constaté, une fois le marché décroché et les premières investigations lancées, que son projet était techniquement caduc. On ajoutera par ailleurs que l'édification des futurs champs éolien dépendra du moment où RTE (Réseau de Transport d'Electricité) mettra à disposition des raccordements nécessaires entre les parcs et le réseau électrique terrestre, prendra du temps. Ainsi, on estime que les premières machines ne seront pas édifiées en mer avant 2017, voire 2018. Or, d'ici là, des évolutions technologiques ne sont pas à exclure au niveau des fondations. Et même si EDF EN suit aujourd'hui une certaine tendance, le groupe ne ferme pas non plus toutes les portes en raison de ces évolutions potentielles...
Eoliennes offshores : La question des fondations fait débat
Par
Vincent Groizeleau
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17/02/2012

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