Conforté par un premier contrat à l’export au Japon, le président d’Ideol en est certain : la France peut devenir rapidement un leader mondial dans l’éolien flottant. Créée en 2010, son entreprise, basée à La Ciotat et forte aujourd’hui de 50 personnes, a développé et breveté une technologie innovante de fondation. La Damping Pool est conçue pour s’adapter à tout type d’éolienne et offrir des coûts compétitifs, tant en matière de réalisation que d’exploitation.
MER ET MARINE : Ideol a signé le 3 juin dernier un contrat avec le groupe Hitachi Zosen (voir notre article), l’un des leaders nippons de l’éolien en mer, pour la conception de deux démonstrateurs utilisant la technologie Damping Pool, qui doivent être installés au large des côtes japonaises fin 2017. On imagine qu’il s’agit pour Ideol d’un contrat majeur, d’autant que le Japon constitue un marché potentiel extrêmement important…
PAUL DE LA GUERIVIERE : Le Japon est potentiellement le marché le plus important à moyen terme. Le gouvernement cherche à développer des fermes avant 2020 et les Jeux Olympiques de Tokyo alors que leur objectif, d’ici 2030, est d’installer 25 GW d’éolien flottant.
C’est énorme et, dans cette perspective, le contrat que nous avons remporté avec Hitachi Zosen est une étape très importante pour Ideol. Il est important de souligner que la Damping Pool est la seule technologie étrangère ayant été retenue par le gouvernement japonais. Voir une petite start-up française s’imposer face à de grands groupes japonais est d’ailleurs une belle preuve de la pertinence de notre concept et une reconnaissance du savoir-faire d’Ideol.
Comment expliquez-vous ce choix ?
La grande force d’Ideol est d’avoir des compétences intégrées sur tout le cycle de vie du projet. On ne sous-traite pas, même les calculs d’ancrage, ce qui nous donne un savoir-faire assez unique et la capacité de s’adapter aux contextes locaux en répondant au mieux et avec l’expertise requise aux contraintes spécifiques de chaque projet.
Quels sont les atouts de votre concept Damping Pool ?
Nous avons développé et breveté une fondation en anneau carrée permettant de disposer d’une barge de surface offrant des mouvements limités et capable d’accueillir une éolienne sans modification majeure. C’est aujourd’hui la seule technologie qui donne de l’avenir à l’éolien flottant car elle permet de réduire les coûts et est compatible avec des développements à grande échelle. Les autres technologies sont intéressantes, mais elles sont très chères et trop volumineuses.
La différence de gabarit est si importante ?
Une structure d’éolienne flottante avec des tubes en acier, à l’image de certains projets portés en France, est aussi grande que l’arche de la Défense, alors que la nôtre occupe seulement l’espace du parvis de l’arche. Nos flotteurs sont les plus compacts et ont un tirant d’eau limité, ce qui est essentiel pour permettre leur construction dans n’importe quel port sans infrastructure spécifique.
Votre fondation peut être réalisée en béton ou en acier. Quel est l’intérêt ?
Tout dépend du marché. En Europe, le béton est plus compétitif alors qu’au Japon, l’outil de production sidérurgique et l’industrie navale sont très performants, ce qui peut rendre l’acier intéressant. C’est pourquoi, comme la question se pose, nous allons réaliser deux démonstrateurs au Japon, l’un en béton et l’autre en acier, pour voir quelle option est la plus pertinente économiquement.
Pour la France, c’est donc clairement le béton qui s’impose…
Oui car, dans notre pays, nous avons une forte culture de génie civil et de production de béton. Le manque de compétitivité sur l’acier obligerait à acheter la matière en Pologne ou en Turquie. Or, ce que nous voulons, c’est garantir un maximum de retombées sur l’emploi local, qui ne peuvent être obtenues en France qu’avec le béton.
Y a-t-il un type de béton plus adapté aux fondations flottantes ?
Ce peut être un béton classique ou un béton léger. Tout dépend du projet et des caractéristiques du site : quelle est la houle, la profondeur d’eau ou encore le type d’éolienne souhaitée. Selon ces paramètres, nous optimisons la conception avec toujours, comme objectif, de réduire les coûts en intégrant les contraintes de fabrication, d’installation et de fonctionnement.
Un premier démonstrateur utilisant la fondation d’Ideol va voir le jour en France de la cadre du projet Floatgen, qui réunit 7 partenaires européens. Sa construction devait débuter cette année à Saint-Nazaire. Où en est ce projet ?
Nous prévoyons d’installer ce démonstrateur sur le SEM-REV, au Croisic, au printemps 2016. Pour la fondation en béton, nous travaillons avec le groupe Bouygues. Cette structure sera un grand carré de 36 mètres de côté et 10 mètres de hauteur. Elle sera réalisée dans le port de Saint-Nazaire puis, après intégration de l’éolienne, nous la remorquerons vers le site d’essais.
On imagine que vous êtes également en lice pour l’appel à manifestation d’intérêt lancé par le gouvernement français en vue d’implanter de futures fermes pilotes ?
Tout à fait, l’AMI doit être lancé cet été et les réponses seront déposées entre janvier et mars 2016. Nous verrons alors quels consortiums émergeront. Je ne peux pas encore vous dire avec qui nous allons travailler mais il est clair que notre technologie est idéalement positionnée et suscite de l’intérêt.
Quel est le potentiel de l’éolien flottant dans l’Hexagone ?
Le Syndicat des Energies Renouvelables l’estime à 3 GW en Méditerranée et 3 GW au large de la Bretagne d’ici 2030. Je pense que c’est un potentiel avéré.
Ces prévisions sont donc supérieures à celles de l’éolien posé, qui fut présenté ces dernières années comme plus mature et offrant de meilleures perspectives à court terme. L’éolien flottant pourrait-il, finalement, prendre le relais plus rapidement que prévu ?
Dès l’origine, lorsque nous avons créé Ideol il y a cinq ans, nous étions convaincus que le flottant émergerait bien plus vite que le consensus du marché le disait à l’époque. On constate d’ailleurs qu’au Portugal et en Norvège, les premières éoliennes installées en mer étaient des machines flottantes. Et ce sera la même chose en France avec Floatgen, qui précèdera les éoliennes posées.
Cela signifie-t-il que la technologie est déjà mature ?
Aujourd’hui, nous en sommes au stade du développement pré-commercial et nous sommes proches de la maturité. L’étape finale passe par des fermes pilotes qui permettront de valider définitivement les technologies et performances. C’est un travail de trois ou quatre ans, à l’issue duquel nous pourrons passer à la phase commerciale.
A l’instar de l’éolien posé, une nouvelle filière industrielle peut elle émerger ?
C’est notre but. Et il faut comprendre que cette nouvelle filière va nourrir une industrie conséquente et que la France a clairement tous les atouts pour se positionner comme un leader mondial de l’éolien flottant.
Ne doit on pas craindre une concurrence fratricide entre l’éolien posé et l’éolien flottant ?
Il ne faut pas car ce n’est dans l’intérêt de personne, surtout que les deux technologies sont voisines. Seule la fondation est différente. Pour le reste, à commencer par les turbines, les pales et les mâts, les mêmes acteurs sont intéressés par le posé comme le flottant.
Quel est la différence de coût entre le posé et le flottant ?
Si on se compare à de l’éolien posé par 30/35 mètres de fond, le prix de l’installation est à peu près le même. Mais l’avantage du flottant est de pouvoir s’affranchir de la problématique de la profondeur pour aller sur des sites bien plus ventés. Du coup, comme la ressource est bien meilleure, on peut fonctionner un jour sur deux en moyenne contre un jour sur trois pour le posé. La production est supérieure de 20% et, de là, le coût de production et donc le coût global est moins important.
Y a-t-il des limites de profondeur ?
Pas vraiment. Nous profitons de la longue expérience de l’offshore parapétrolier, qui travaille par grands fonds, et capitalisons sur ce savoir-faire, tout en l’optimisant pour l’éolien offshore. Différentes options sont possibles pour les composants comme pour les ancrages. Selon le site, on peut utiliser des chaînes, des câbles synthétiques, des caténaires semi-tendues, des ancres conventionnelles, des piles ou des mixtes de ces différentes technologies. Nous prenons la solution la plus efficace et la moins coûteuse.
L’éolien flottant peut-il s’adapter aux éoliennes de très forte puissance ?
Le flotteur d’Ideol est parfaitement adapté pour accompagner l’augmentation de la puissance des éoliennes marines. Nous participons par exemple à un programme européen portant sur la conception d’un flotteur destiné à accueillir une machine de 10 MW. Même quand il s’agit de très grosses éoliennes, la structure reste extrêmement compacte. Pour une machine de 8 MW, par exemple, la fondation aurait un côté inférieur à 55 mètres.
Quels sont aujourd’hui vos objectifs et, en dehors de la France et du japon, quels autres marchés visez-vous ?
Au-delà du Japon, il y a aussi de belles perspectives dans d’autres pays d’Asie. En Europe, nous regardons de très près le marché en mer du Nord, plus particulièrement au Royaume-Uni et en Allemagne.
Quant à nos objectifs, l’enjeu est aujourd’hui de devenir le leader des fondations flottantes pour l’éolien en mer et, autour d’Ideol, de voir émerger un champion français du secteur. Nous en avons clairement la capacité.
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Interview réalisée par Vincent Groizeleau © Mer et Marine, juillet 2015