Nouveau projet pour l’entreprise quimpéroise Sabella. Le turbinier, connu pour l’implantation d’une hydrolienne D10 dans le passage du Fromveur, au sud d’Ouessant (Finistère), veut en immerger deux autres dans une concession du golfe du Morbihan, d’ici fin 2022, et pour une durée de trois ans. Cette expérimentation, qui s’inscrit dans le cadre du programme européen Tiger Interreg, est portée depuis deux ans par la société Morbihan Hydro Energies, créée par Sabella avec la SEM (société d’économie mixte) 56 Energies, qui accompagne les collectivités morbihannaises dans leur transition énergétique.

Les deux hydroliennes profiteront du courant de la Jument, entre l'Ile Longue et la pointe du Monténo. (© MORBIHAN HYDRO ENERGIES - MHE)

(© MORBIHAN HYDRO ENERGIES - MHE)
Un canyon sous-marin
Les deux hydroliennes, de 250 kW chacune au point de livraison, seront positionnées l’une derrière l’autre, à 100 mètres d’écart, dans un canyon sous-marin de 250 mètres de large situé entre l’Ile Longue, et la pointe du Monténo (Arzon), dans le courant de la Jument, à l’entrée du golfe. Là, les courants atteignent 4 m/s (soit 7,8 nœuds) au jusant (70% de l’énergie) et 3 mètres par seconde au flot. « Il y a une densité énergétique qui est incroyable », observe Thomas Archinard, chef de projet chez Sabella, en présentant le site agité par de violents courants.

Sur le site, les courants peuvent atteindre 4 m/s au jusant. (© MER ET MARINE - GAEL COGNE)

Le canyon sous-marin. (© UBS)

L'atterrage se fera par une petite grève à proximité de la pointe du Monténo. (© MER ET MARINE - GAEL COGNE)
Deux câbles d’export d’1 km doivent rejoindre la côte, toute proche. Ils seront sous fourreau et lestés sur la roche ou ensouillés à l’approche d’une petite grève à proximité, pour ensuite passer sous terre et rejoindre un poste de livraison Enedis tout proche, afin d’être injectés dans le réseau national. Le tracé des câbles passera par 230 m2 d’herbiers. En contrepartie, le porteur de projet apportera une subvention pour remplacer une vingtaine de mouillages proches par des « mouillages écologiques » qui évitent aux chaînes de raguer sur le fonds et doivent préserver 600 m2 d’herbiers.
De nouvelles hydroliennes
Plus petites que la D10, ces machines aux pales en composite (fibres de carbone) symétriques, pour tourner dans un sens ou dans l’autre (en fonction du sens du courant) à la vitesse maximum de 25 tours par minute, auront une hélice d'un diamètre de 8 mètres (contre 10 mètres pour la D10), pour une hauteur de 14 mètres (avec le tripode lesté sur lequel se trouve la turbine) et seront installées par des fonds de 22 mètres aux plus basses mers. Selon le modèle théorique, elles pourraient produire entre 500 à 600 MWh par an.

(© SABELLA)
Après la D10, il s’agira d’« une nouvelle génération d’hydrolienne », explique Thomas Archinard. « L’objectif était de repartir avec une feuille quasiment blanche et de travailler sur un certain nombre d’architectures innovantes pour améliorer la performance au sens large des hydroliennes », explique-t-il, « on va tester plein de choses ».

(© SABELLA)
Par exemple, l’une des machines aura un caisson déporté contenant toute la conversion électrique. Cela permettra de remonter à la surface cette partie sensible pour des opérations de maintenance, sans avoir à remonter toute l’hydrolienne. En effet, l’un des enjeux pour améliorer le coût de l’énergie est d’éviter d’avoir recours aux coûteux navires qui ne sont pas forcément disponibles dans la zone, mais qui s’avèrent nécessaires pour relever ces lourdes et volumineuses machines. Les conditions de mer dans le golfe du Morbihan devraient aussi faciliter ces opérations délicates, qui sont rendues impossibles à Ouessant en hiver en raison de la houle. Autre innovation, la deuxième hydrolienne sera équipée d’une embase hybride en acier et béton pour faire baisser les coûts. Sabella explique aussi travailler sur des connectiques Wet-Mate qui se mettent sous l’eau, là où il fallait faire la connexion à bord d’un navire sur la D10.
Les hydroliennes seront assemblées à Brest. Elles seront convoyées et installées par des navires équipés d’un système de positionnement dynamique DP2 pour être en mesure de travailler dans cette zone peu soumise à la houle, mais où les courants sont violents. La navigation pourrait alors être interrompue pour les plaisanciers (un petit chenal serait laissé aux professionnels) dans le chenal quelques jours, le temps que durent les travaux.

Installation de l'hydrolienne sur son embase lestée de fonte. (© SABELLA)
Un site étudié en détail par l’UBS
Ce projet n’est pas nouveau. L’enseignant-chercheur Mouncef Sedrati, du laboratoire géosciences océan de l’université de Bretagne sud (UBS) travaille depuis 2014 sur le potentiel hydrolien du golfe du Morbihan, qui est classé parc naturel régional et où se trouvent deux zones Natura 2000. L’UBS avait mené une première étude à la demande du Conseil départemental du Morbihan permettant de déterminer deux sites compatibles : le premier au sud de l’île de Berder et le second dans le courant de la Jument.

(© MER ET MARINE - GAEL COGNE)
Entre 2016 et 2018, une deuxième étude pluridisciplinaire de 2000 pages a porté sur les incidences environnementales potentielles, mais aussi les implications socio-économiques et sur les perceptions de la population. Elle a, par exemple, permis d’étudier la faune et la flore, de réaliser une bathymétrie fine et des mesures acoustiques, ou encore d’échanger avec les professionnels concernés et des experts locaux. Partenaire académique du projet, l’UBS doit encore réaliser tout le suivi, pendant, mais aussi après le déploiement. « C’est un site exceptionnel », estime Mouncef Sedrati, qui se félicite d’avoir un « laboratoire à ciel ouvert » à proximité pour les étudiants, de pouvoir enrichir les connaissances sur le golfe du Morbihan et que l’université puisse participer à la transition écologique.

Lucie Ribet et Thomas Archinard (Sabella), au côté de Mouncef Sedrati (UBS). (© MER ET MARINE - GAEL COGNE)
Programme européen
Des demandes de construction ont été lancées en février et le Conseil municipal d’Arzon a récemment rendu un avis favorable. Si tout se passe comme l’espère Morbihan Hydro Energies, après l’enquête publique lancée cet été, un arrêté du préfet permettra de débuter la fabrication des hydroliennes. Il faudra environ 6 mois de tests et d’assemblage avant une immersion en novembre 2022. L’expérimentation durera trois ans.
Morbihan Hydro Energies a été sélectionné pour participer au projet européen Interreg Tiger (Tidal Stream Energy Industry Energiser). Plus gros projet jamais financé par Interreg (45.4 millions d’euros, dont 29.9 millions financés par le fond européen Feder), il réunit 18 partenaires en France et au Royaume-Uni (sept turbiniers, des académiques et des industriels). Ce projet vise à « travailler sur la décroissance des coûts », explique Thomas Archinard. Un important frein au développement de cette nouvelle technologie.
En tout, cinq sites européens ont été retenus : Ramsey Sound (Pembrokeshire, Royaume-Uni, 1 MW, Cambrian Offshore SW), Yarmouth (île de Wight, Royaume-Uni, 300 kW, QED Naval), le Raz Blanchard (Normandie, 12 et 17.5 MW, Normandie Hydroliennes et Hydroquest), Paimpol-Bréhat (Bretagne, 1 MW et 100 kW, EDF, SEENEOH, Minesto, Hydroquest et EMEC) et enfin le golfe du Morbihan (500 kW, réunissant Sabella et 56 Energies, au sein de Morbihan Hydro Energies SAS).
Le seul projet dans le golfe du Morbihan doit coûter 8 millions d’euros. Quelque 60% sont apportés par la subvention du Feder, 15% par la société commune entre Sabella et 56 Energies.
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