Eric Banel, délégué général d'Armateurs de France, revient sur l'actualité de l'Ecole Nationale Supérieure Maritime et notamment sur les inquiétudes des armateurs quant à ce qu'ils ont récemment qualifiés de dysfonctionnements.
MER ET MARINE : En juillet dernier, Armateurs de France a écrit au ministre des Transports pour exprimer différentes inquiétudes au sujet du fonctionnement de l’Ecole Nationale Supérieure Maritime. Pourquoi avoir choisi d’écrire directement à la tutelle, sans passer par les instances de gouvernance de l’ENSM ?
ERIC BANEL: Nous avons écrit au ministre parce que nous sommes inquiets de la situation de l'école. En mai et en juin, nous avons été alertés par nos entreprises, par des élèves et par les syndicats de la branche de dysfonctionnements sérieux susceptibles de menacer l’équilibre même de notre modèle de formation. Premier fait révélateur. Pour la première fois dans l'histoire de l'école, le jury de fin de première année a écarté près de la moitié de la promotion, soit par exclusion soit par redoublement... finalement, la direction de l’école a décidé de passer outre en admettant en seconde année certains de ces élèves n’ayant pas validé tous leurs modules. De même, l’organisation des concours d’entrée pour les filières A et B a été chaotique, tant pour les élèves que pour nos représentants membres des jurys. Il y a eu enfin des difficultés pour les examens de fin de cinquième année. Quant à la pénurie d’enseignants, elle est tout simplement inacceptable.
Les armateurs sont membres du conseil d'administration, et nous aurions dû poser ces questions dans ce cadre. Mais le conseil d'administration de juin a été annulé, de même d’ailleurs que celui de septembre.
J’ajoute que le ministre a ordonné en juillet un audit en urgence de la situation de l’école. Nous souhaitions en obtenir les conclusions, ce que nous attendons toujours…
Il faut garder à l’esprit que les armateurs sont les principaux employeurs des élèves formés par l’école et sont très attachés au maintien d’un haut niveau de formation pour nos marins. Cette question est vitale. La qualité de notre pavillon est directement liée à la qualité de la formation : l’enseignement est un élément clé de la compétitivité de notre secteur et une préoccupation constante pour nous. Sans marins, il n’y a pas d’armateurs.
Vous évoquez, dans cette lettre, des dysfonctionnements ponctuels – liés aux examens – mais également des problèmes plus structurels : attractivité de la filière, pénurie de professeurs, niveau de recrutement. Qu’attendez-vous de l’Ecole sur ces sujets?
Depuis quelques mois, la parole est à ceux qui aiment la polémique. Je veux donc rappeler quelques faits. Le projet d’établissement de décembre 2013 a été élaboré et amendé en étroite collaboration avec nous. Nous avons été un acteur exigeant et constructif. L’enjeu aujourd’hui n’est pas de remettre en cause le projet d’établissement mais de le mettre en œuvre correctement.
Revenons aux fondamentaux. L’idée première était de permettre aux officiers navigants d’obtenir un diplôme d’ingénieur. Nous l’avons soutenue. Ensuite, il a été proposé de créer des formations d’ingénieurs tournées vers l’offshore ou les métiers à terre. Nous avons transmis à l’école les besoins de nos entreprises sur ces formations nouvelles.
Ce que l'ENSM ne doit pas être, c'est une école d'ingénieurs comme les autres. Elle est avant tout une école maritime, et c'est sa raison d'être. Elle forme d’abord des navigants. Cela ne veut pas dire qu'elle ne doit pas évoluer ou se diversifier, mais il faut par contre le faire en bonne intelligence avec les entreprises du secteur. Il faut aussi être inventif, continuer à développer la formation continue et renforcer les liens avec le milieu universitaire. Le projet d'établissement ne dit pas autre chose.
Il n’est pas question pour nous de remettre en cause les principes qui ont présidé à sa création. Nous sommes simplement attentifs, en ce qui concerne la filière naviguant, à ce que l’enseignement des matières fondamentales ne se fasse pas au détriment des nombreuses matières maritimes indispensables à l’exercice du métier de marin.
La plupart des points de dysfonctionnements que nous évoquons dans la lettre sont traités dans le projet d’établissement, des solutions y ont été construites. Les priorités sont d’ailleurs bien identifiées : adoption d’un statut d’enseignant permettant le recrutement et la rémunération des professeurs, évolution de la filière B, renforcement de la formation continue et modernisation du CESAME, mise en place de la réforme des concours d’entrée - avec maintien des épreuves écrites - et des masters…L’Ecole ne sera attractive que si le projet d’établissement va au bout et que la confiance est restaurée entre tous les acteurs impliqués. Il faut aussi que nous soyons entendus par la direction et par l’administration.
En mer, il faut se fixer un cap et s’y tenir. Notre objectif est bien que l’école réussisse et pour cela, le conseil d’administration doit être un véritable lieu de discussion, et non une simple chambre d’enregistrement. Ou une arène pour les postures des uns et des autres…
Et le tout avec un budget que l’on sait limité ?
Sur l’aspect budgétaire, nous sommes tout à fait conscients que l’ENSM doit mettre en place un projet ambitieux avec des moyens qui sont très contraints. Pour cette raison, nous serons donc particulièrement vigilants sur le vote du budget de l’école qui doit se tenir en fin d’année. Les paramètres qui ont entouré la création et l’évolution de l’ENSM, par exemple sur le nombre de sites, sont le résultat de décisions et d’arbitrages politiques. L’Etat doit donc mettre les moyens pour que l’Ecole remplisse sa mission. Si ce n’est pas le cas, nous ne le voterons pas.
J’ajoute un dernier point. L'attractivité de nos formations passe également par une politique énergique de soutien à l'ensemble de la filière. Nous aimerions être davantage entendus par le gouvernement sur ce point. Sur la compétitivité par exemple ou sur la lutte contre le dumping social. Il ne sert à rien d'avoir le pavillon le plus sûr, le plus socialement responsable et le plus respectueux de l'environnement si chaque année de nouvelles entreprises ferment...
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Propos recueillis par Caroline © Mer et Marine, Septembre 2015