Aller au contenu principal
De l’espoir et du découragement. Le sentiment est mitigé parmi les participants au dernier conseil d’administration de l’Ecole Nationale Supérieure Maritime, qui s’est tenu le 23 octobre. Cette réunion devait initialement valider le très attendu projet d’établissement. Ce dernier, élaboré après des mois de travail de fond et un marathon de concertations mené par le directeur de l'ENSM, François Marendet, fixe le cadre d’action de l’Ecole et prévoit notamment la spécialisation de chacun de ses sites (Marseille, Nantes, Saint-Malo et Le Havre), les modalités de financement, l’avenir et le contenu des cursus, la mise en place des programmes de recherche … Un document complet, rigoureux et ambitieux, dont la qualité a été soulignée par de nombreux participants au conseil d’administration, soulagés de voir une vraie gouvernance revenir à la tête de l’ENSM après des années d’errements. Le projet d’établissement constitue un véritable contrat d’avenir pour l’Ecole, solide argument pour obtenir des financements, des coopérations locales et internationales et pour donner une feuille de route au personnel, aux élèves mais également aux armateurs, qui l’attendent avec impatience. 
 
 
La fronde des élus du Havre 
 
 
Mais ce document qui n’a même pas été présenté au vote, le 23 octobre. Il est reporté début décembre, ce qui n'est pas sans provoquer un certain découragement. Après la vague d’espoir soulevée par l'implication et la motivation de la nouvelle équipe dirigeante, on craint de voir les vieux fantômes de l’ENSM sortir des placards. Avec évidemment, en premier lieu, la rivalité entre les sites. Les hostilités ont été bruyamment ouvertes début octobre par les élus normands, alors même que le projet d’établissement n’avait pas encore été présenté en interne. Par voie de presse et via une lettre ouverte au premier ministre, les représentants politiques de la place havraise et du Conseil régional de Haute Normandie, tous bords confondus, ont exprimé leur réticence face au projet de l’Ecole. Ayant sans doute eu vent des grandes lignes du document d'orientation avant sa présentation officielle, ils se sont émus du fait que le nouveau plan de spécialisation prévoit le départ vers Marseille des trois premières années du cycle polyvalent  (C1), représentant environ 350 élèves. Parallèlement, le projet d’établissement envisage le transfert de l’ensemble des 4ème et 5ème années vers Le Havre. Ainsi que la création d’un nouveau pôle international d’enseignement maritime, avec un cursus monovalent (pont ou machine) en langue anglaise dispensé en trois ans. Le Havre, aux avant-postes de la concurrence internationale en termes de formation, pourrait donc avoir vocation à devenir « la vitrine internationale » de l’ENSM. Ce qui pourrait garantir, en termes d’élèves, un effectif équivalent, voire peut-être même supérieur, à celui fréquentant actuellement le site de Sainte-Adresse.
 
 
La problématique de la nouvelle école du Havre
 
 
Mais cela n’a pas semblé rassurer les élus havrais. Qui, outre les échéances électorales prochaines, sont aux prises avec une problématique locale spécifique : une nouvelle école devrait sortir de terre sur les docks du Havre, pour remplacer les très vieillissants bâtiments du cap de la Hève. Celle-ci, financée en grande partie par les collectivités locales, devrait ouvrir en septembre 2015. Les premiers coups de pelleteuse ont été donnés il y a quelques semaines, et c’est précisément à cette occasion que les élus ont entamé leur campagne médiatique sur le sujet. 
Le projet de ce nouveau bâtiment date d’il y a plusieurs années. Et pour lui, les Havrais avaient vu grand : un bâtiment capable d’accueillir 1000 élèves. Soit, à titre de comparaison, plus ou moins la totalité de l’effectif de l’ENSM sur ses quatre sites. Alors, évidemment, il est aisé de comprendre la déception affichée par les élus en apprenant que l’ENSM ne pourra sans doute pas « attribuer » ce nombre d’étudiants au site havrais.
 
 
Quatre sites et autant de politiques locales : la quadrature du cercle
 
 
Il ne fallait cependant pas s’attendre à monts et merveilles et, au fond, tous les élus locaux, du Havre à Marseille, le savent très bien. Le ministre de tutelle, Frédéric Cuvillier, a posé comme postulat de base le maintien des quatre sites de l’ENSM. La conjoncture économique est mauvaise : le nombre d’élèves a été réduit en filière polyvalente par manque de visibilité sur le paysage de l’emploi maritime français. L’augmentation du recrutement, que ce soit en filière polyvalente ou monovalente, ne peut encore être envisagée : les élèves déjà en cours ont toujours du mal à trouver des embarquements. L’Ecole doit, en plus, se relever de plusieurs années de résultats négatifs et éponger une dette de près de 700.000 euros, à l’heure de la rigueur extrême des budgets publics.  C’est la quadrature du cercle pour la direction de l’ENSM, contrainte par des directives ministérielles, des problématiques politiques locales, des finances difficiles et une ambition pédagogique forte entre maintien du titre d’ingénieur et développement de programmes de recherche.
Dans cette perspective, le projet d’établissement est un grand pas en avant vers la résolution de cette équation à multiples inconnues. En spécialisant chaque site – Marseille pour la formation initiale de la filière polyvalente, Saint-Malo pour l’ensemble de la filière machine, Nantes vers les projets universitaires et de recherche et Le Havre pour l’aspect international et la spécialisation navigante de haut niveau – la feuille de route réussit à développer chaque site dans son « écosystème » local. Ce qui est sans doute la seule manière de garantir leur viabilité financière respective. Et l’avenir de l’Ecole dans son ensemble.
 
 
Le ministre devra trancher
 
 
Et pourtant, le grand espoir est à nouveau suspendu. Les élus havrais ne sont pas à blâmer, ils sont dans leur rôle. Mais il est clair que le nouveau projet d’établissement ne pourra pas satisfaire tout le monde. Le ministre a voulu garder les quatre sites : cette décision, qui a l’avantage de préserver un équilibre territorial et une diversité de coopérations locales, comporte, en revanche, des conséquences politiques plus délicates. C’est à ces dernières que le gouvernement a été confronté le 23 octobre dernier. Et qu’il sera le seul à pouvoir – et devoir – trancher.
 

Aller plus loin

Rubriques
Formation et Emploi
Dossiers
Ecole Nationale Supérieure Maritime (ENSM)