MER ET MARINE : Après le vote, le 10 décembre dernier, du projet d’établissement de l’ENSM, quel est votre bilan des derniers mois, marqués notamment par la fronde havraise ?
HERVE MOULINIER : Il est important de souligner que le vote du projet d’établissement est l’aboutissement de plusieurs mois de travail et le franchissement de plusieurs étapes : la définition de la méthode, le pré-projet, l’amélioration de ce dernier en fonction des retours et la présentation du projet en lui-même. Nous avons essayé de consulter le plus possible l’ensemble des personnes concernées à chaque étape. Nous avons essayé de travailler le plus possible en concertation avec les uns et les autres, même si on peut toujours souhaiter en faire davantage.
Je comprends la réaction des élus havrais : il y a un écart certain entre ce qu’ils attendaient pour cette grande nouvelle école qu’ils financent et le projet global de l’ENSM, qui ne pourra remplir seule ce bâtiment, dont la construction a été décidée très en avance par rapport à nos données actuelles.
Mais ce mouvement a finalement apporté du positif : il nous a amené à préciser davantage le projet et dire pourquoi Le Havre correspondait parfaitement aux enseignements qui y seront dispensés. Nous avons posé un principe équitable de répartition de la filière polyvalente, qui fixe les choses tant pour Marseille que pour Le Havre. Cela nous a également permis de rappeler que chaque centre a ses responsabilités. C’est important que cela soit ainsi dans un établissement multi-sites.
Est-ce que l’ENSM va, du coup, participer au financement de la nouvelle école du Havre qui devrait être opérationnelle à la rentrée 2015 ?
Pas l’ENSM en tant que tel. L’Etat participe à son financement aux côtés de la communauté d’agglomération du Havre, du Conseil régional de Haute-Normandie et de la CCI du Havre. L’ENSM va signer une convention pour son occupation. Elle ne sera sans doute pas le seul occupant de ce bâtiment. Des discussions pour des partenariats sont déjà en cours.
Et pour l’immobilier des autres écoles ?
Nous avons le même problème de vétusté à Nantes et à Saint-Malo. Il faut, pour bien faire, entièrement rénover et remettre aux normes ces bâtiments, ce qui a un coût important alors que ces deux bâtiments sont bien placés et pourraient sans doute être valorisés différemment. Il serait donc plus raisonnable d’envisager un déménagement. Ce que nous faisons, en collaboration avec les collectivités locales qui sont toutes très volontaires sur les dossiers. Pour Saint-Malo, un déménagement à proximité du lycée maritime serait cohérent. De même à Nantes, une localisation près du campus de l’Ecole Centrale et de l’université faciliterait le partenariat entre nos établissements. Ces deux dossiers devraient se concrétiser en 2017-2018.
Pour Marseille, les collectivités locales avaient déjà réinvesti et il y a moins de travaux à envisager. L’école a déjà accueilli jusqu’à 500 élèves, il n’y a donc pas de nécessité de construction neuve. Nous allons simplement ouvrir un nouvel amphithéâtre et sommes en discussion avec les collectivités à ce sujet.
L’ensemble de ces dossiers pourraient être éligibles aux financements dans le cadre des contrats de plans Etat-régions, qui sont actuellement en cours d’élaboration. Ce sont des investissements à long terme, comme c’est toujours le cas pour l’enseignement supérieur.
En tous cas, cela va dans la direction que nous souhaitons donner à l’école : retrouver des synergies locales et sortir l’ENSM de l’isolement dans lequel elle se trouve encore.
Comment voyez-vous l’évolution des effectifs, actuellement d’environ 1200 élèves ?
Nous sommes partis sur l’hypothèse d’un flux stable correspondant au recrutement actuel, avec notamment six classes en filière A. Le nombre d’élèves va cependant mécaniquement augmenter avec le rallongement d’un semestre de la filière polyvalente et le passage en format Licence, donc en trois ans, de la formation initiale monovalente.
Et la nouvelle formation officier chef de quart passerelle du Havre ?
Celle-ci sera ouverte à la rentrée 2015. La formation, qui sera dispensée en anglais, s’adresse notamment aux Français qui, n’étant pas admis dans la filière A, se dirigent vers l’école d’Anvers. Elle intéresse également des candidats de nombreux pays francophones avec qui nous avons des accords de coopération. Les modalités pédagogiques précises sont en cours d’élaboration, le contenu existant déjà. Mais on peut déjà dire que cette formation est dédiée à ceux qui veulent naviguer à l’international.
Les embarquements des élèves ont posé de nombreux problèmes ces dernières années, que prévoyez vous à ce sujet ?
Outre le fait de rajouter un semestre à la filière polyvalente – qui devrait permettre d’étaler les dates d’embarquements entre les différentes années – nous sommes en train de finaliser, avec la Direction des Affaires Maritimes, un encadrement pérenne de la possibilité d’embarquement sous des pavillons étrangers de la flotte contrôlée. Nous sommes également en train de mettre un outil efficace de suivi des embarquements.
Des craintes ont surgi du fait de la nouvelle loi sur l’apprentissage : l’ENSM, qui est largement financée par la taxe d’apprentissage, pourrait-elle être impactée par cette réforme ?
Rien n’est encore finalisé au niveau législatif. Mais je n’ai vraiment pas d’inquiétude, la formation maritime, telle qu’elle est pratiquée, répond parfaitement aux critères de la définition de l’apprentissage. La question porte, à mon sens, davantage sur le niveau de cotisation par rapport à l’effort de financement.
L’ENSM fonctionne actuellement avec un nombre important de professeurs vacataires, dont le statut n’est pas clair. Peut-on envisager la création d’un nouveau corps professoral ?
C’est le grand chantier de 2014. Nous avons plusieurs contraintes : le recrutement des corps actuel est en extinction et il nous faut des enseignants ayant navigué, pour répondre aux exigences de la convention STCW... Nous allons tout remettre à plat pour trouver une solution pérenne. Celle-ci devra être opérationnelle pour 2015.
Qu’en est-il des ambitions de recherche de l’ENSM ?
C’est un objectif pédagogique important, tant pour les élèves que pour les enseignants. Le fait d’avoir une formation de niveau ingénieur nous impose d’introduire, dans le cursus, les problématiques de la recherche. Au niveau doctorat à terme, mais également dès le niveau master.
Nous avons actuellement 14 projets de recherche, qui sont effectués en partenariat avec des laboratoires habilités à diriger des recherches. Par la suite, certains de nos professeurs pourront passer un doctorat et obtenir cette habilitation.
Il est en tous cas très intéressant que le savoir-faire de l’ENSM soit recherché : que ce soit dans le cadre du navire du futur, des nouveaux types de propulsion ou dans les énergies marines renouvelables, la connaissance « navigante » est indispensable. C’est grâce à ce genre de projets que l’Ecole va pouvoir poursuivre son rayonnement. Les fondations sont posées, c’est maintenant que tout commence.
Propos recueillis par Caroline Britz