Avec ses trois sisterships de la classe Iowa, il symbolisait la puissance navale en général et celle de la flotte américaine en particulier. Dernier cuirassé construit aux Etats-Unis, l'USS Wisconsin (BB 64), au terme d'une très longue carrière, qui a débuté en 1944, n'a été rayé des listes de la flotte américaine qu'en 2006. Le bâtiment, vétéran de la bataille du Pacifique, de la guerre de Corée et même de la guerre du Golfe, a été transformé en musée, à Norfolk, en 2009. Une conservation qui permet de découvrir ce superbe cuirassé, toujours aussi impressionnant (visite en images à la fin de cet article).
C’est en janvier 1941 que l’USS Wisconsin est mis sur cale à Philadelphie, sur la côte Est des Etats-Unis. En pleine guerre, sa construction est rondement menée puisque le lancement de la coque intervient dès le mois de décembre 1943 et la mise en service du bâtiment en avril 1944. Il rejoint alors, au sein de la marine américaine, ses trois sisterships, les USS Iowa (BB 61), USS New Jersey (BB 62) et USS Missouri (BB 63), devenus opérationnels entre février 1943 et juin 1944. On notera que le Missouri, réalisé à New York, est mis sur cale trois semaines avant le Wisconsin, mais sa construction est un peu plus longue, ce qui fait qu'il sera lancé en janvier 1944 et entrera en service deux mois après celui qui devait normalement lui succéder. Pour les puristes, l'ultime cuirassé américain construit n'est donc pas le Wisconsin mais le Missouri.

Lancement de l'USS Wisconsin en décembre 1943 (© US NAVY)
57.000 tonnes et neuf canons de 406 mm
Longs de 270.6 mètres pour une largeur de 33 mètres, ces cuirassés, issus d’un projet datant de la fin des années 30, affichent à l'origine un déplacement de 57.000 tonnes en charge. Développant une puissance propulsive de 212.000 cv, ils peuvent atteindre la vitesse de 33 nœuds grâce à huit chaudières, quatre groupes turbopropulseurs et quatre hélices. Côté protection, l'épaisseur de la ceinture est de 307 mm, alors que les navires disposent de trois ponts blindés totalisant 285 mm. La protection frontale des tourelles principales est assurée par une épaisseur d’acier de 432 mm. Concernant armement, l'artillerie principale consiste en neuf pièces de 406 mm réparties en trois tourelles, deux à l'avant et une à l'arrière, dotées chacune de trois canons longs de 20 mètres. Chaque pièce tire des obus de 850 kilos à 1.2 tonne à près de 40 kilomètres. La cadence est de deux coups par minute, avec une durée de vol d’environ 30 secondes à portée maximale.

L'USS Wisconsin tirant une bordée de 406 mm (© US NAVY)

Les pièces avant de l'USS Wisconsin (© US NAVY)
Les Iowa étaient également dotés, à leur mise en service, de 10 tourelles doubles de 127 mm, 80 canons de 40 mm et 49 pièces de 20 mm, des affûts essentiellement dédiés à la défense contre avions, notamment ceux des kamikazes japonais.
La série des Iowa devait comprendre six unités mais, avec la fin de la guerre, la construction des Illinois (BB 65) et Kentucky (BB 66) fut interrompue. On notera d’ailleurs qu’initialement, ces deux bâtiments devaient être les premiers d’une nouvelle classe de cinq unités. Encore plus grands et plus puissants (280 mètres de long, 72.000 tonnes en charge, 12 canons de 406mmm en quatre tourelles triples), les Montana furent retardés en raison du conflit puis annulés, l’US Navy préférant, pour gagner du temps, prolonger la série des Iowa et donner la priorité à la réalisation des porte-avions lourds de la classe Essex. On notera que les Montana auraient permis aux Américains de rivaliser avec le Yamato et le Musashi japonais (263 mètres, 71.600 tonnes, 9 pièces de 457mm), qui resteront comme les plus gros et les plus puissants bâtiments de ligne du monde.

Porte-avions américain de la classe Essex (© US NAVY)
Le porte-avions supplante le cuirassé
L’histoire en a donc voulu autrement, l’évolution du combat naval faisant des porte-avions le nouveau fer de lance des marines. Et ce sont bien avec ces derniers que les USA remportèrent la bataille du Pacifique, qui sonna le glas de la toute puissance du cuirassé. Désormais relayés à l’escorte des porte-avions, aux opérations côtières contre des cibles terrestres et au soutien d’artillerie pendant les débarquements, les bâtiments de ligne, qui avaient constitué l’ossature des forces navales depuis la fin du XIXème siècle, furent relayés à un rôle secondaire.

Porte-avions américains durant la seconde guerre mondiale (© US NAVY)

Bombardiers embarqués américains Avenger (© US NAVY)
Inspiré par le raid britannique contre la flotte italienne au mouillage à Tarente, en novembre 1940, l’attaque japonaise de Pearl Harbor, en décembre 1941, prouva au monde entier la supériorité de l’arme aéronavale. Celle-ci fut consacrée quelques jours plus tard par la destruction en mer des cuirassés britanniques HMS Prince of Wales et HMS Repulse par l’aviation japonaise, au large de la Malaisie. Cette perte vint confirmer la vulnérabilité des gros bateaux de ligne, malgré leur épais blindage et leur manoeuvrabilité, face aux coups de l’aviation. Elle avait été pressentie en mai 1941, lorsque le cuirassé allemand Bismarck était sorti gravement avarié d’un affrontement avec des avions torpilleurs Swordfish, qui avaient décollé du porte-avions HMS Ark Royal. Cette attaque, qui s’était conclue par la destruction du gouvernail du fleuron de la Kriegsmarine, avait permis aux cuirassés de la Home Fleet, lancés à sa poursuite, de le rattraper et de le couler. Le torpillage du Bismarck ne fut donc pas décisif et, à l’époque, l’action des avions, bien que cruciale, n’avait pas encore fait la preuve de sa supériorité, d’autant que le cuirassé allemand avait auparavant encaissé sans broncher plusieurs torpilles. L’atteinte de son gouvernail fut donc, à juste titre, considérée comme un coup de chance.
La perte du Repulse et du Prince of Wales, puis en juin 1942 la bataille de Midway, au cours de laquelle la flotte cuirassée japonaise, d’une supériorité pourtant écrasante, fut contrainte de se retirer après la destruction des porte-avions nippons par leurs homologues américains, acheva d’opérer la bascule en faveur de l’aviation embarquée. Dès lors, les principales batailles se livrèrent à grande distance, entre groupes aéronavals. Malgré quelques combats classiques entre cuirassés (Guadalcanal en 1942 et détroit de Surigao en 1944), les escadres arrivèrent très rarement à portée de canons.
C’est ainsi que l’USS Wisconsin et ses sisterships ne firent jamais tonner leur artillerie contre des cuirassés japonais, le dernier combat majeur au canon, celui de Surigao, dans le golfe de Leyte, ayant impliqué les cuirassés survivants de Pearl Harbor. Réparées et refondues, ces unités, fraîchement remises en service, prirent alors leur revanche en annihilant une escadre nippone en lui « barrant le T » (les Américains cueillirent les japonais à la perpendiculaire, avec toutes leurs pièces battantes, leur adversaire s’avançant en ligne de file).
Supplantés par les porte-avions, les cuirassés demeurèrent néanmoins très précieux pour soutenir les débarquements, pilonnant les positions ennemies avec leurs grosses pièces. La taille de ces mastodontes, bardés de canons, en faisait par ailleurs d’excellentes plateformes de défense aérienne.

L'USS Wisconsin en 1944 (© US NAVY)
Contre les positions japonaises dans le Pacifique
Intégré comme ses frères à la IIIème flotte de l’amiral Halsey, l’USS Wisconsin rejoignit le théâtre du Pacifique à la toute fin de 1944, manquant les dernières grandes batailles navales et arrivant pour le dernier acte de la reconquête des Philippines. En dehors de la protection des porte-avions, il fut ensuite employé pour différents raids, de Formose à l’Indochine française, en passant par Hong Kong, les Américains détruisant méticuleusement les infrastructures côtières aux mains des Japonais (chantiers et bases navales, dépôts de carburant et raffineries…) Il soutint également le débarquement d’Iwo Jima en février 1945, avant de bombarder l’archipel japonais, l’aviation et la marine nippones n’étant plus en mesure, même dans leurs eaux nationales, de s’opposer aux raids de l’US Navy.
L’USS Wisconsin acheva la guerre dans la baie de Tokyo, où il arriva le 5 septembre 1945, trois jours après la signature de la reddition japonaise sur le pont de l’USS Missouri.

L'USS Wisconsin à la fin de la seconde guerre mondiale (© US NAVY)
Remise en service pour la guerre de Corée
Placé en réserve en janvier 1948, le BB 64 fut remis en service en mars 1951 à l’occasion de la guerre de Corée. Il arriva au Japon en novembre de la même année et remplaça l’USS New Jersey comme bâtiment amiral de la 7ème flotte. Le mois suivant, le cuirassé était au large des côtes coréennes afin de soutenir les troupes de la république de Corée et les Marines américains. Ses bordées de 406 mm martelèrent notamment des concentrations de troupes et de blindés, des emplacements d’artillerie ou encore des bunkers. Après sa relève par l’USS Iowa, le bâtiment rentra à Norfolk, où il fut ensuite employé à des missions de formation, au cours desquelles il fit notamment escale à Brest, en 1952. Durant six ans, il mena différentes missions de présence à travers le globe, une période marquée par un abordage, en mai 1956, avec le destroyer USS Eaton. Il fallut alors remplacer la proue du cuirassé par celle du Kentucky, que les Américains avaient eu la sagesse de ne pas ferrailler après l’abandon de la construction du BB 66. En mars 1958, l’USS Wisconsin fut une nouvelle fois retiré du service et placé en réserve à Bayonne, dans le New Jersey.

L'USS Wisconsin tirant une bordée avec ses canons de 406 mm (© US NAVY)
La grande refonte de la fin des années 80
Conservé dans la perspective hypothétique d’un retour aux opérations en cas de crise, le cuirassé, comme ses trois sisterships (seul le New Jersey avait été réactivé au cours de la guerre du Vietnam, en 1968 et 1969), aurait été probablement condamné si Ronald Reagan, président des Etats-Unis de 1981 à 1989, n’avait pas lancé un vaste plan de réarmement, qui contribua à l’étouffement économique de l’URSS. La flotte américaine bénéficia d’un projet de développement devant porter ses effectifs à 600 navires. Dans cette perspective, les Iowa furent remis en service après une importante refonte, suivant un projet datant en fait de l’administration Carter (1977 – 1981). La rénovation fut menée sur l’USS Wisconsin entre 1987 et 1989, sachant que le premier cuirassé de la série remis en service fut l’USS New Jersey, revenu en flotte début 1983 et envoyé la même année au Liban pour soutenir avec ses pièces de 406mm les troupes américaines déployées à Beyrouth.
A l’issue de la refonte, l'artillerie principale est conservée, de même que six des dix tourelles de 127mm, mais l’artillerie légère de 40mm et 20mm débarquée. Les bâtiments reçoivent de nouveaux équipements électroniques, notamment des radars modernes, des lanceurs pour 32 missiles de croisière Tomahawk (dont certains emportant une tête nucléaire) et 16 missiles antinavire Harpoon, de même que quatre systèmes multitubes Phalanx améliorant l’autodéfense rapprochée contre les menaces aériennes.

L'USS Wisconsin (© US NAVY)
Missiles et obus contre les forces irakiennes en 1991
C’est dans cette nouvelle configuration que l’USS Wisconsin participe à la guerre du Golfe, en compagnie de l’USS Missouri. Au déclenchement de l’opération Desert Storm, en janvier 1991, ces cuirassés furent les premiers bâtiments à lancer des Tomahawk sur les positions irakiennes, 24 armes étant parties du BB 64, chargé en outre de coordonner ces frappes à grande distance. Puis l’USS Wisconsin fait parler ses batteries principales, pilonnant des positions d’artillerie et de communication irakiennes à une trentaine de kilomètres de distance, ainsi que la base navale de Kwar al-Muffatah, où il détruit une quinzaine de bateaux irakiens et endommage gravement les infrastructures portuaires. Il soutient ensuite l’avancée des troupes alliées au Koweït, réduisant au silence les défenses adverses s’opposant aux unités terrestres de la coalition.

Tir de missile Tomahawk depuis l'USS Wisconsin (© US NAVY)

Le drone RQ-2A employé en 1991 (© US NAVY)
On notera que ces engagements ont vu pour la première fois l’utilisation au combat d’un drone aérien embarqué pour la reconnaissance et l’évaluation des tirs d’artillerie.
La guerre du Golfe, au cours de laquelle l’USS Missouri a tiré 24 Tomahawk et 319 obus de 406mm, ainsi que 881 coups de 130mm, fut la dernière opération de combat des cuirassés américains.

L'USS Wisconsin transformé en musée à Norfolk (© US NAVY)
Transformés en musée pour la postérité
Après avoir été placés en réserve plusieurs années, tous ont été définitivement désarmés, le Missouri étant rayé des listes de l’US Navy en 1999, le New Jersey en 2001, puis l’Iowa et le Wisconsin en 2006. Aucun n’a été envoyé à la démolition, la valeur historique de ces bâtiments, vestiges des guerres au canon ayant évolué avec l’ère du missile, conduisant les Etats-Unis à les conserver. Transformés en musées à Los Angeles (BB 61), Camden (BB 62), Pearl Harbour (BB 63) et Norfolk (BB 64), ils sont aujourd’hui accessibles au public, qui peut découvrir ces navires hors du commun, les derniers cuirassés de l’histoire. Une visite passionnante sur des coques vieilles de 70 ans, avec de nombreux équipements d’époque mais aussi toute la technologie des années 90. Au-delà de la technique, c’est également l’occasion d’imaginer la vie à bord de ces monstres d’acier, sur lesquels servaient jusqu’à 2700 marins durant la seconde guerre mondiale, un effectif ramené à 1800 hommes dans les années 80 suite au débarquement du gros de l’artillerie manuelle.
Voici un aperçu d’une visite de l’USS Wisconsin, dans le port de Norfolk, grâce à un reportage photo signé Nicolas Venne.

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

L'USS Wisconsin à Norfolk (© NICOLAS VENNE)

La partie armement avec les ballots de poudre (© NICOLAS VENNE)

La partie armement (© NICOLAS VENNE)

L'obus de 406 mm est aussi lourd qu'une coccinelle (© NICOLAS VENNE)

Effet d'un obus sur une plaque de blindage (© NICOLAS VENNE)

(© NICOLAS VENNE)

Tableau de chasse irakien d'une tourelle de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

Passerelle de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)

A bord de l'USS Wisconsin (© NICOLAS VENNE)