Le 29 mars 1967, le premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) français était lancé, à Cherbourg, à quelques centaines de mètres de l'actuelle Cité de la Mer, où il est aujourd'hui transformé en musée. Deux ans plus tôt, alors que le bâtiment venait d'être mis sur cale, le général de Gaulle, soucieux de garantir l'indépendance stratégique du pays, avait eu ces paroles : « La Marine se trouve maintenant et sans doute pour la première fois de son histoire au premier plan de la puissance guerrière de la France et ce sera dans l'avenir, tous les jours un peu plus vrai ». Quatre décennies plus tard, cette position semble toujours d'actualité, bien que le monde ait énormément évolué. Alors que l'essentiel de la force de frappe nucléaire française est désormais concentrée sur les SNLE de la Force Océanique Stratégique (FOST), complétés par des moyens de l'Armée de l'Air et de l'aéronautique navale, la mer a repris une importance considérable dans les relations internationales. Alors que les crises se multiplient et que la majeure partie des échanges commerciaux mondiaux dépendent du trafic maritime et transitent par des zones à risques, la possession de moyens de protection et d'intervention reste plus que jamais vitale pour garantir la « sauvegarde des intérêts du pays ».
Un demi-siècle après la mise à l'eau du Redoutable, nous vous proposons une version mise à jour et complétée du reportage que nous avions réalisé en 2007, à Cherbourg, à l'occasion des 40 ans du premier SNLE français.

Mise à flot de l'USS George Washington en juin 1959 (© : US NAVY)SNLE et bouleversements stratégiquesPendant la seconde guerre mondiale, on se souviendra de l'action de Charles de Gaulle pour ménager une place importante à la France une fois les hostilités terminées. En cela, Churchill apporte son aide, bien que les relations entre les deux hommes ont souvent été compliquées. Malgré tout, le premier ministre britannique, fin stratège, savait que le Royaume-Uni risquait une marginalisation entre les deux superpuissances américaine et soviétique. Londres pèse donc pour aider au retour de la France dans la cour des grands.
Comme l'avait prévu Churchill, après la chute de l'Allemagne hitlérienne, la guerre froide s'installe, opposant les Occidentaux emmenés par les Etats-Unis au bloc de l'Est. Washington et Moscou développent alors un arsenal nucléaire colossal. Après les Américains, qui ont fait exploser la première bombe en 1945, à Hiroshima, l'URSS mène son premier essai atomique en 1949, suivi en 1952 de la Grande-Bretagne. L'atome prend ensuite une dimension océanique. Après les essais en mer de l'USS Nautilus, en 1955, qui sera le premier sous-marin à naviguer sous la calotte glacière (1960), les Etats-Unis mettent à flot le 9 juin 1959 le premier sous-marin à propulsion nucléaire doté de missiles balistiques, l'USS George Washington, rapidement suivis par les Soviétiques. La guerre prend une nouvelle dimension, à l'échelle d'une attaque surprise pouvant venir de n'importe quel point de l'océan. Alors qu'en Europe la pression de Moscou ne cesse de s'accroître, les Britanniques mettent en chantier, en 1964, leur premier SNLE. Réalisé avec l'aide américaine, le HMS Resolution est opérationnel en 1967 et suivi, en 1968 et 1969, de trois sisterships, tous armés de 16 missiles Polaris (portée initiale de 1800 kilomètres). Dans l'immédiat après-guerre, De Gaulle prend la mesure du défi qui se dresse devant la France : « Pas question, pour le Général, de se laisser distancer par nos amis et alliés américains sur ce domaine qu'il avait sans peine et à juste raison considéré comme sensible, et dans l'immédiat et pour les décennies à venir », note Yves Cariou, ancien journaliste au Télégramme de Brest et auteur du livre « FOST », paru chez Marines Editions en 2006 (*) : « La volonté était tout aussi intellectuelle et politique que purement militaire. Mais il allait s'écouler un bon nombre d'années avant qu'elle ne se matérialise, que l'on additionne pour ce faire des connaissances, des moyens techniques et des capacités financières dans une France qui, dans à peu près tous les domaines, sortait bien mal en point du conflit ».« Sans la bombe, on n'a pas voix au chapitre » Au cours d'une conférence de