Premier sous-marin français transformé en musée, l’Espadon, ouvert au public à Saint-Nazaire depuis 1987, connait actuellement un important chantier de restauration. Objectif : préserver ce monument historique qui subit inévitablement les outrages du temps et, par la même occasion, améliorer le parcours de visite et mieux mettre en valeur le bâtiment. Ce dernier, installé dans le bunker couvrant l’écluse Est des bassins nazairiens, a accueilli près de 3 millions de personnes en 33 ans. « C’est un projet d’ensemble pour une situation particulière puisque l’Espadon est un objet patrimonial, il est considéré comme une pièce de musée mais celle-ci accueille aussi du public. Il s’agit de donner au sous-marin une durée de vie plus longue en assurant sa restauration, de la coque aux locaux intérieurs, en préservant au maximum les objets d’origine. Et c’est aussi l’occasion de repenser l’expérience de visite », explique à Mer et Marine Tiphaine Yvon, responsable du pôle Patrimoine chez Saint-Nazaire Agglomération Tourisme, qui gère le sous-marin musée.

L'Espadon en août 1982 (Photographe : André Rollet. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée. Fonds André Rollet)

Arrivée de l'Espadon le 22 août 1986 dans le bassin de Saint-Nazaire. La base sous-marine est à gauche et l'écluse fortifiée à droite (Photographe : Gilles Luneau. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée)

L'Espadon au moment de son ouverture au public en 1987 (Photographe : André Rollet. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée. Fonds André Rollet)

L'Espadon au moment de son ouverture au public en 1987 (Photographe : André Rollet. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée. Fonds André Rollet)
Logé dans un ancien bunker allemand
Arrivé en août 1986 dans l’estuaire de la Loire, l’Espadon, long de près de 78 mètres, a donc été installé dans l’écluse Est, construite lors de la création des bassins nazairiens au milieu du XIXème siècle pour leur servir d’accès à la mer. Avec l’augmentation de la taille des navires, l’écluse Sud avait ensuite vu le jour en 1907, puis l’énorme forme-écluse Joubert en 1933. Pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands décident pour soutenir la bataille de l’Atlantique de positionner à Saint-Nazaire des U-boote. Comme à Brest, Lorient, La Rochelle ou encore Bordeaux, une base sous-marine est construite. L’impressionnant ouvrage en béton armé est édifié de 1941 à 1943 au milieu des bassins nazairiens. Dans les alvéoles du bunker géant, les sous-marins allemands sont à l’abri des bombardements alliés. Mais les départs et retours de missions demeurent une période de vulnérabilité, en particulier le temps que les bâtiments passent dans l’Ecluse Est pour sasser afin de rejoindre le bassin ou gagner l’estuaire et la haute mer. C’est pourquoi l’écluse est fortifiée, afin à la fois de garantir qu’un accès à la mer ne soit pas endommagé et de protéger les sous-marins qui transitent par ce passage.
Faussement à flot dans une cale remplie d’eau de pluie
L’Espadon y prend place 41 ans après la fin de la guerre, l’écluse devenue inutile pour le trafic commercial se transformant alors en bassin fermé pour l’accueillir définitivement. La manœuvre est délicate car la place réduite, en particulier au niveau du tirant d’air, le massif du bâtiment frôlant le plafond du bunker.

Manoeuvre pour entrer l'espadon dans l'écluse fortifiée (Photographe : Dominique Macel. Collection Ville de Saint-Nazaire. Cliché Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée)

Manoeuvre pour entrer l'espadon dans l'écluse fortifiée (Photographe : Dominique Macel. Collection Ville de Saint-Nazaire. Cliché Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée)

Manoeuvre pour entrer l'espadon dans l'écluse fortifiée (Photographe : Dominique Macel. Collection Ville de Saint-Nazaire. Cliché Saint-Nazaire Agglomération Tourisme-Écomusée)
Contrairement à ce que l’on pense souvent en voyant l’ex-bâtiment de la Marine nationale engoncé dans cet espace, il ne se trouve plus à flot. La coque est posée sur une ligne de tins, tout en étant maintenue par des bers et, depuis le carénage de 1996, par des butons latéraux. Le sous-marin avait alors été mis au sec (la seule fois depuis son arrivée) mais cette opération avait été marquée par une entrée d’eau via le batardeau de l’écluse. L’incident, qui était intervenu de nuit, avait entrainé l’envahissement de la cale et le sous-marin, se remettant à flotter et libéré de ses supports, avait fini avec le kiosque dans le plafond, provoquant quelques dégâts. Il est depuis et grâce aux butons solidement maintenu dans sa position. Si l’Espadon ne flotte pas dans sa cale, celle-ci est néanmoins suffisamment remplie pour en donner l’impression. Afin de limiter les effets du sel, l’eau dans laquelle baigne le sous-marin est issue d’une récupération pluviale. Certes, il y a un peu de sel puisque l’écluse est partiellement à l’air libre, en particulier vers l’estuaire, des embruns parvenant donc à entrer dans le blockhaus, avec peut-être aussi quelques infiltrations par le batardeau. Il en résulte un bain saumâtre à faible salinité.

La coque en 2016 (Photographe : A. Klose. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme)
Traiter les zones corrodées
Ainsi baigné et à l’abri dans son bunker, l’Espadon est donc bien protégé. Malgré tout, les années qui défilent finissent évidemment par provoquer des dégradations, qu’il était temps de traiter. Alors que le dernier entretien remonte à 2006, certaines parties de la coque ont souffert de corrosion. « Des expertises sous l’eau ont montré que la partie immergée était en bon état, du fait qu’elle bénéficie d’une protection cathodique depuis 2006. On ne va pas toucher à la coque épaisse où il y a quelques points de corrosion mais rien d’alarmant, il faut cependant assainir le bateau pour traiter certaines parties afin justement d’éviter un impact progressif de la corrosion sur la coque épaisse. C’est plutôt à la limite entre l’eau et l’air qu’il faut intervenir, ainsi que sur la partie émergée, la poupe et la proue étant plus endommagées que la partie centrale », détaille Tiphaine Yvon. Les travaux vont notamment consister à nettoyer la coque, traiter les zones rouillées et, dans un certain nombre de cas, remplacer des plaques d’acier faisant partie de la structure surmontant la coque épaisse. Ce sont ces plaques, surtout, qui sont grignotées par la rouille.
Les travaux confiés au chantier de l’Esclain
Un travail confié au chantier de l’Esclain, spécialisé dans la construction navale et qui, pour la petite histoire, est implanté à Nantes dans une zone qui, autrefois, construisait des sous-marins. Il se trouve en effet dans le quartier de Chantenay, en bord de Loire, là où ont été créés au XIXème siècle les anciens chantiers Dubigeon. Aucune unité du type Narval dont fait partie l’Espadon n’y a été construite, mais d’autres bateaux noirs ont vu le jour ici, des bâtiments appartenant à des séries plus anciennes et d’autres plus récents comme certains Daphné (dont la Minerve), les derniers sous-marins de construction nantaise étant lancés au début des années 70. « C’est un clin d’œil historique et pour nous c’est une grande fierté d’avoir décroché ce marché pour la restauration de l’Espadon. Après les travaux que nous avons menés sur le Maillé-Brézé (ancien escorteur d’escadre de la Marine nationale converti en musée à flot à Nantes en 1988, ndlr), nous sommes en train de développer une certaine expertise dans les antiquités militaires », confie à Mer et Marine Quentin Vigneau, patron du chantier de l’Esclain.
Travaux réalisés sur place
Le chantier nantais n’accueillera cependant pas l’Espadon dans le bas Chantenay. « Nous déployons une équipe à Saint-Nazaire pour réaliser les travaux sur le sous-marin, qui reste dans sa forme. Le niveau de l’eau a cependant été baissé pour que nous puissions accéder à la partie immergée de la coque sur environ 1 mètre sous la « ligne de flottaison » habituelle. Il faut découper et remplacer les ferrailles corrodées de la peau en métal d’environ 5 mm qui se trouve sur la coque épaisse, puis passer le bateau au karcher pour le nettoyer ». Alors que la phase préparatoire a débuté en janvier, quatre à six personnes sont mobilisées pour ce chantier, qui est entré dans le dur il y a trois semaines et doit d’achever en juin en vue d’une réouverture au public espérée d’ici le début du mois de juillet.
L’intérieur du sous-marin est également concerné par la restauration, souligne Tiphaine Yvon : « Il s’agit là aussi, comme pour la coque, d’assainir le bateau. Il n’y a pas de choses alarmantes mais beaucoup de points d’intervention, sachant que nous avons à bord quatre matériaux principaux, avec plusieurs types de métaux, du plastique, du composite et du cuir. Nous en sommes au stade du nettoyage puis il y aura l’intervention d’une équipe de restaurateurs qui effectuera une intervention très méticuleuse qui se prolongera jusqu’à l’automne ». C’est-à-dire après la réouverture du bâtiment au public, prévue cet été.
Revoir le parcours de visite et mieux mettre en valeur le sous-marin
Au-delà de refaire une beauté au vieux sous-marin, il s’agira aussi de mieux le mettre en valeur, par exemple au niveau de l’éclairage car son écrin bétonné est particulièrement sombre et les lumières jaunâtres l’exposent très mal, au point de passer presqu’inaperçu pour les véhicules empruntant la voie traversant le bunker de l’écluse. Idem pour le parcours de visite, qui devra permettre de mieux découvrir le bateau depuis l’extérieur, alors que le contenu des audioguides grâce auxquels les visiteurs découvrent l’Espadon évoluera, avec par exemple une version mieux adaptée aux enfants.

Visiteurs à bord de l'Espadon en 2019 (Photographe : A. Klose. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme)

Visiteurs à bord de l'Espadon en 2019 (Photographe : A. Klose. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme)

Visiteurs à bord de l'Espadon en 2019 (Photographe : A. Klose. Collection Saint-Nazaire Agglomération Tourisme)
Souscription auprès du grand public pour aider au financement du chantier
Ce chantier de préservation, évidemment coûteux, est financièrement soutenu par les collectivités locales. Une souscription citoyenne a cependant été ouverte auprès du grand public et des entreprises via la Fondation du patrimoine. Il s’agit d’aider au financement de la rénovation de l’Espadon, mais aussi en fonction des sommes récoltées, d’aller encore plus loin avec des projets complémentaires pour la mise en valeur du sous-marin. Au-delà des déductions fiscales dont bénéficient les donateurs, des contreparties sont prévues pour ceux qui participeront à cette souscription.

Le Morse à Toulon en 1970 (© Giorgio Arra)
Les six Narval de la Marine nationale
L’Espadon fait partie de la série des six unités du type Narval, premiers sous-marins mis en chantier par la France après-guerre. Ils sont inspirés des bâtiments allemands du type XXI, dont un exemplaire avait été cédé à la marine française (l’U 2518, rebaptisé Rolland Morillot). Long de 77.8 mètres pour une largeur de 7.2 mètres, les Narval affichaient un déplacement de 1200 tonnes en surface. Armés par une soixantaine de marins, ils peuvent atteindre la vitesse de 18 nœuds en plongée et 16 en surface, avec une propulsion diesel-électrique alimentant deux hélices. Pouvant plonger à 200 mètres mais n'étant pas capables selon un ancien marin de tirer leurs torpilles au-delà de 100 mètres, ils sont équipés à l'origine de huit tubes lance-torpilles, six à l’avant et deux à l’arrière, ces derniers étant débarqués lorsqu'ils sont refondus entre 1966 et 1970. En plus des tubes, 14 torpilles peuvent être stockées en réserve. Après le Narval, le Marsouin, le Dauphin et le Requin, construits à Cherbourg où ils sont mis sur cale en 1951 et 1952 pour une mise à l’eau en 1954-55 et une entrée en service en 1958, les deux derniers sous-marins de cette classe voient le jour en Normandie. L’Espadon est réalisé par les chantiers Augustin Normand au Havre et le Morse par les Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, au Trait. Mis sur cale en 1956-57 et lancés en 1958, ils sont opérationnels en 1959. L’Espadon et le Marsouin se distingueront en étant les premiers sous-marins français à plonger sous la banquise, en mai 1964.

L'Espadon dans les années1980 au large de Lorient avec l'aviso Lieutenant de Vaisseau Lavallée (© Bernard Prézelin)

L'Espadon en 1982 (© Bernard Prézelin)
L'Espadon en 1982 (© Bernard Prézelin)
L’Espadon est retiré du service en 1985 après 26 ans de carrière et rejoint Saint-Nazaire l’année suivante en remorque depuis sa base de Lorient. Il n’est en effet plus en état de naviguer à cette période suite à des travaux préparatoires à sa nouvelle vie de musée. Les batteries en plomb ont par exemple été débarquées, ce qui était impératif pour des questions de sécurité. Mais ces équipements pesaient extrêmement lourd et, pour compenser leur poids et maintenir l’assiette du bateau, il a fallu couler du béton.

Remorquage à Saint-Nazaire en août 1986 (© Bernard Prézelin)
Remorquage à Saint-Nazaire en août 1986 (© Bernard Prézelin)
Remorquage à Saint-Nazaire en août 1986 (© Bernard Prézelin)
Concernant les autres sous-marins de ce type, le Marsouin est le premier à être désarmé, en 1982, suivi par le Narval en 1983 puis le Requin (modifié en1980 pour rester le missile antinavire SM39) en 1985, peu après l’Espadon. Alors que le Morse tire sa révérence en 1986, le Dauphin aura une vie un peu plus longue puisqu’il est converti en bâtiment d’expérimentation et d’essais pour le développement d’équipements destinés aux nouveaux sous-marins nucléaires. Allongé de près de 3 mètres pour les besoins de sa nouvelle mission, il reprend la mer après transformation en 1986 et sert jusqu’en 1992.
Pour mémoire, l’Espadon est l’un des quatre anciens sous-marins français transformés en musée. Les trois autres sont l’Argonaute, qui a servi dans la Marine nationale de 1958 à 1982 avant d’être installé à la Cité des Sciences de La Villette, où il est ouvert au public en 1991 ; il y a ensuite eu Le Redoutable (1971-1991), transformé en musée à la Cité de la Mer de Cherbourg en 2002, puis la Flore (1964-1989) ouverte au public depuis 2010 dans l’ancienne base sous-marine de Keroman, à Lorient.
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