Patrice Laporte, directeur de l'Ecole Nationale Supérieure Maritime, fait le point sur plusieurs dossiers d'actualité : revalidation des brevets STCW en 5ème année, filière OCQPI, statut des professeurs... ainsi que sur l'adaptation de l'ENSM face aux évolutions de la marine marchande.
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MER ET MARINE : De nombreuses inquiétudes ont été soulevées par des élèves de DESMM qui se voient dans l'obligation de financer eux-même la revalidation de leurs brevets STCW. Quelle est la position de l'école à ce sujet?
PATRICE LAPORTE : Concernant la revalidation des brevets STCW, il y a trois catégories d’élèves préparant le DESMM : ceux dont la formation est payée par des organismes qui prennent en charge le coût de revalidation, ceux qui ont les moyens de la payer et ceux qui ont des difficultés financières.Dans ce dernier cas, la procédure normale est que ces élèves prennent contact avec l’assistante sociale qui étudie leur dossier. En cas de difficulté avérée, l’école prend en charge le coût. Les Bureaux études et formations suivent les dossiers avec les élèves.
Chaque cas est un cas particulier, sachant qu’il peut s’écouler plusieurs années entre l’obtention du DEO1MM et l’entrée en DESMM et qu’un élève pourrait très bien se présenter avec la totalité de ses certificats à renouveler. L’ENSM n’est pas en capacité de financer la totalité des renouvellements sachant qu’elle-même engage une dépense pour payer des vacataires (cas des stages médicaux par exemple). L’option qui a été retenue est de proposer les stages au prix coûtant aux élèves de DESMM dont les droits de scolarité s’élèvent à 885 €, alors que les élèves de M1 et M2 s’acquittent à ce jour de droits annuels s’élevant à 1150 €. Les élèves de DESMM s’acquittent une seule fois de 885 € alors que dans le nouveau cursus, les élèves s’acquittent deux fois de 1150 €. Dans ces conditions, il n’est pas anormal de demander une contribution aux élèves de DESMM.
En ce qui concerne la filière OCQPI, a-t-on de bonnes perspectives d'intégration pour ces élèves ? On entend qu'une passerelle pourrait être mise en place vers le cursus ingénieur/officier, est ce réel ?
L’ENSM a ouvert la formation d’officier chef de quart passerelle international il y a deux ans. Il est prématuré de dresser un bilan, puisque la première promotion ne sera diplômée qu’en juin 2018.Des perspectives d’intégration sont clairement identifiées : Il existe des besoins au yachting, cela nous a été confirmé par les officiers qui y font carrière. C’est ce que leur a confirmé Sylvain Staels, le grand témoin de leur rentrée solennelle, capitaine de Yacht.Les OCQPI formés pendant trois ans sur le site ENSM du Havre, reçoivent également la formation capitaine 3000. Après obtention de leur brevet à l’issue du temps de navigation réglementaire, ils pourront, s’ils le désirent, revenir pendant un an en formation de capitaine illimité et obtenir les mêmes prérogatives au pont que les officiers de 1ere classe. Par contre ils n’obtiendront pas le titre d’ingénieur qui n’est délivré qu’aux officiers de 1ère classe polyvalents, à l’issus de leur 5,5 années de formation.
On sait la situation budgétaire fragile chaque année. Le maintien des quatre sites est-il encore viable?
La trajectoire budgétaire qui a été validée par le conseil d’administration de décembre 2016, prévoit un redressement progressif des finances et le projet d’établissement à quatre sites n’est pas remis en cause. Les perspectives de déménagement des sites de Nantes et Saint-Malo vont dans le sens de la réduction des coûts de fonctionnement grâce aux mutualisations possibles des fonctions de soutien avec l’Ecole centrale Nantes et le lycée publicgrâce aux mutualisations possibles des fonctions de soutien avec l’Ecole centrale Nantes et le lycée public maritime Florence Arthaud à Saint-Malo.
Quelle est la situation et l'évolution de la filière B ?
En formation initiale, l’ENSM propose une formation polyvalente (O1MM/ Ingénieur navigant) et deux formations monovalentes : OCQM et OCQPI.Sur les 48 officiers chefs de quart machine diplômés en juin 2015, 51% étaient en situation d’emploi un an après leur sortie d’école. C’est un point de vigilance pour l’ENSM, qui est en train d’analyser les raisons de ce taux, très inférieur à celui des polyvalents (92%).
On évoque régulièrement les difficultés de recrutement des professeurs de l'ENSM ainsi que les différences de statut au sein du corps professoral. Comment faire évoluer la situation actuelle?
Ce n’est pas nouveau, il y a toujours eu des professeurs militaires dans les écoles de la marine marchande, professeurs qui traditionnellement avaient vocation à assurer les cours magistraux ainsi que des fonctions d’encadrement. Le seul corps de professeurs civils qui existe est le corps des professeurs techniques de l’enseignement maritime (PTEM) qui ont un statut calqué sur celui des professeurs certifiés de l’Education nationale et qui avait vocation à assurer les travaux pratiques. Ce qui a changé est que le vivier de recrutement est progressivement devenu le même pour les deux corps (majoritairement des capitaines de 1ère classe) et que les PTEM assurent également des cours magistraux. Dans ces conditions, la différence de traitement est potentiellement une source de friction sachant qu’il n’y a plus de recrutement de PTEM depuis plusieurs années et qu’il n’est pas envisageable de ne recruter que des militaires pour des raisons de coût. La conséquence est que l’ENSM recourt massivement à des contractuels dont les conditions d’emploi ne sont pas satisfaisantes sans compter qu’il est difficile de les fidéliser. L’ENSM aussi bien que sa tutelle, la DAM sont parfaitement conscientes de cette situation et le groupe de travail qui avait été constitué avec la DRH du Ministère va être réactivé, soit pour trouver un corps d’accueil pour des professeurs titulaires civils, soit pour ouvrir à nouveau des places au concours de PTEM.
Comment l'ENSM s'adapte-t-elle à l'évolution très rapide de la marine marchande (propulsion GNL, hybride, électricité de plus en plus présente à bord/digitalisation et internet des objets notamment pour la navigation et la maintenance/ autonomisation des navires)?
Le contenu des formations maritimes est strictement encadré par la définition des « model course » STCW que l’ENSM est tenue de respecter. Les emplois du temps sont très chargés et il n’est pas simple d’ajouter des matières supplémentaires.Ceci ne signifie pas que l’ENSM se désintéresse des sujets nouveaux, bien au contraire. Ces sujets sont traités dans le cadre de projets de recherche auxquels l’ENSM contribue en partenariat avec d’autres établissements d’enseignement supérieur et des industriels. La contribution de l’ENSM sous l’autorité du professeur de l’enseignement maritime Jean-Pierre Clostermann, au projet PASSION piloté par l’industriel français IXBlue, de développement d’une passerelle intelligente de navigation est très emblématique de ce point de vue. Le professeur de l’enseignement maritime Hervé Baudu est représentant de la France à l’OMI pour la mise en œuvre du code polaire et la seule formation STCW en France pour la navigation en zone polaire est proposée par l’ENSM. Une sensibilisation à la cyber sécurité est programmée dans les formations L1 et L2. Dans le cadre du partenariat signé à Euromaritime avec l’ENSTA ParisTech, les deux établissements vont proposer un master spécialisé qui portera entre autres sur le sujet des drones. L’ENSM est donc loin d’être en reste sur des sujets précurseurs.
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Interview réalisée par Caroline Britz, © Mer et Marine, février 2017