Aller au contenu principal

La compagnie bretonne a annoncé cette semaine ses résultats pour l'exercice 2009/2010 et ses ambitions futures. Dans un contexte difficile, marqué par une très forte concurrence en Manche et les effets encore perceptibles de la crise sur les consommateurs, Brittany Ferries résiste plutôt bien. L'an dernier, son chiffre d'affaires a atteint 344.4 millions d'euros, soit 3.7% de mieux qu'en 2009. Dans le détail, les ventes de traversées et prestations aux passagers ont rapporté 196.8 millions d'euros, le fret 77.1 millions d'euros, les ventes à bord 63.2 millions d'euros et le reste des activités 7.3 millions d'euros. Malgré la hausse de l'activité, le dernier exercice s'est soldé par un résultat négatif de plusieurs millions d'euros, soit une seconde année déficitaire pour la compagnie (-5.6 millions d'euros pour l'exercice 2008/2009). Cette situation s'explique notamment par le cours de la Livre sterling, qui reste toujours très bas par rapport à celui de l'euro. Malgré tout, l'armement reste confiant et parie sur le standard élevé de ses services comme la réorganisation de ses lignes, ainsi que les nouveaux marchés. Ne cédant pas aux sirènes de la guerre des prix, Brittany Ferries a même relevé ses tarifs l'an dernier, condition indispensable au maintient de la qualité de ses prestations. Le Pont Aven (© : MER ET MARINE - YVES MADEC) Sous la barre des 2 millions de passagers en Manche Coeur de métier de l'armement de Roscoff, dont l'activité première consiste à transporter des passagers britanniques en France et en Espagne, l'embarquement de passagers a marqué l'an dernier un léger repli, avec 2.517 millions de clients accueillis, soit 2.1% de baisse par rapport à l'année précédente (-1% en passagers payants). La plus forte baisse concerne Cherbourg (vers Poole et Portsmouth), avec une chute de 20% (400.631 passagers) consécutive au désarmement du Barfleur en février dernier. Le retrait de ce navire, qui a finalement été remis en service le mois dernier, a provoqué une perte de plus de 100.000 passagers. La ligne Roscoff-Plymouth est également en retrait de 6.9% (387.791 passagers) en raison notamment d'une baisse du nombre de traversées. Alors que le service Saint-Malo - Portsmouth s'est légèrement contracté (408.423 passagers, -1.4%), seule la liaison principale de la compagnie, entre Caen et Portsmouth, a affiché un trafic positif, avec une hausse de 1.5% (1.018.461 passagers). Mais cela ne suffit pas à compenser les autres baisses, faisant que Brittany Ferries a vu son activité touristique reculer en Manche de 5.3%. Sur ce marché, la compagnie repasse ainsi sous la barre des 2 millions de passagers payants (1.994.527), un niveau qui demeure néamoins à 2.215 millions de passagers si l'on ajoute les gratuits (enfants notamment). Le tunnel sous la Manche (© : EUROTUNNEL) Les dégâts de la guerre dans le détroit Pourtant, grâce notamment à la réduction de voilure de Ryanair sur la France, le trafic transmanche a enregistré une progression de 3.8% entre 2009 et 2010. Mais les compagnies maritimes n'en ont pas, ou peu, bénéficié. Le noeud du problème se situe dans le détroit du Pas-de-Calais, où les opérateurs se livrent une bataille sans merci. Malmené par l'interruption d'activité liée à l'incendie de septembre 2008, Eurotunnel a tout fait pour récupérer ses parts de marché. La société mène une politique commerciale particulièrement agressive, qui attire de nombreux passagers et du fret, tout en faisant baisser globalement les tarifs. Ainsi, de septembre 2009 à septembre 2010, le tunnel sous la Manche était, et de loin, le premier opérateur en Manche, avec 2.148 millions de véhicules transportés, soit 36.7% de parts de marché, contre 1.213 million pour P&O Ferries, 859.156 pour DFDS (Norfolk Line), 656.664 pour SeaFrance, 655.456 pour Brittany Ferries, 224.268 pour LD Lines et 79.684 pour LD Transmanche Ferries. « Le tunnel a augmenté son trafic de près de 380.000 véhicules l'an dernier, alors que le maritime a, en moyenne, perdu 20% de son activité camions et a vu 40% de son chiffre d'affaires partir en fumée », explique-t-on chez Brittany Ferries. Si la compagnie n'est pas, géographiquement, au coeur de la bataille du Pas-de-Calais, elle assure en subir les conséquences. « Pour les Londoniens, le tunnel ou le ferry dans le détroit, grâce à l'autoroute des estuaires, est une véritable alternative pour se rendre par exemple dans la région de La Rochelle. Nous constatons de plus une guerre des prix féroce dans le détroit, ce qui attire des volumes dans cette zone », explique Christophe Matthieu, directeur du pôle stratégie et commercial chez Brittany Ferries. Ferries à Calais (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) Une surcapacité et des prix non « viables sur le long terme » Pour ce dernier, la situation dans le Pas-de-Calais ne sera d'ailleurs pas tenable très longtemps : « Il y a une surcapacité dans le détroit et les prix du marché ne sont pas viables sur le long terme ». En attendant que la bataille s'apaise, ce qui passera peut-être par le retrait de l'un des opérateurs (on pense évidemment à SeaFrance), la compagnie fait donc front en Manche, adaptant au mieux son outil naval, jouant sur ses services et mettant en avant sa réputation pour séduire la clientèle. C'est de cette manière qu'elle a, notamment, résisté au développement considérable du transport aérien low cost ces dernières années. « Il faut mettre en avant les vertus du tourisme en ferries. Tous les armateurs on su faire valoir la facilité du voyage en ferry, avec lequel on peut partir avec son véhicules et ne pas être contraint dans l'emport de bagages. Il y a des valeurs de temps et de confort, surtout sur les lignes longues, et on mange bien sur les navires. C'est une autre expérience », explique Jean-Marc Roué. Le président du Conseil de surveillance de Brittany Ferries reconnait également que la situation dans le détroit est problématique. Il rappelle également que les compagnies françaises sont désavantagées face à des pavillons moins coûteux, comme le Britannique ou le Danois, même si les armateurs français au ferry ont obtenu des exonérations de charges pour les marins. « Le coût du pavillon britannique est 20% moins cher que le Français et le Danois est encore 20% inférieur, vu que les armateurs danois ne payent pas de charges sociales et patronales. Cela pose des problèmes de compétitivité et met les compagnies françaises dans une situation de faiblesse ». Camping-car anglais à Bilbao (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) La France moins prisée comme destination touristique Mais, au-delà de la concurrence, Brittany Ferries, comme d'autres professionnels tricolores du tourisme, fait un constat inquiétant. La France n'est, en effet, plus la destination privilégiée des Britanniques. Au-delà du contexte économique, en partie responsable de la baisse de 18% en deux ans du nombre de voyages effectués par les Britanniques en France, une enquête menée par Atout France en janvier 2010 fait frémir. Pour des questions de commodité, de proximité géographique et sans doute de budget, les Britanniques placent l'Hexagone en seconde position des destinations où ils souhaiteraient se rendre pour un court séjour, comme un week-end. Mais, dès qu'on leur demande où ils souhaiteraient partir en vacances, la France n'arrive plus qu'en 11ème position ! La France ne fait donc plus rêver et c'est l'Espagne qui sort grande gagnante de cette enquête, arrivant en tête des destinations préférées en Grande-Bretagne. En 2010, 13 millions de touristes britanniques sont d'ailleurs partis en Espagne, contre seulement 9 millions en France. Chez Brittany Ferries, on appelle donc à la mobilisation des acteurs tricolores pour lancer des actions communes et concertées à même de redorer le blason national auprès des touristes. « La première problématique, c'est la popularité de la France et le problème du tourisme, en France, est le manque de moyens et la dissémination des acteurs. Si l'on veut une activité transmanche à l'avenir, il faut une vraie attractivité de la France et les pouvoirs publics doivent en prendre conscience », estime Christophe Matthieu. L'Armorique à Roscoff (© : BRITTANY FERRIES) D'importantes retombées économiques en régions Pour les territoires, l'enjeu est de taille car les flots de touristes génèrent une activité économique considérable. Une enquête menée aux frontières du Royaume-Uni montre qu'un ressortissant britannique dépense, en moyenne, 65 euros par nuitée à l'étranger. Or, le seul trafic généré par Brittany Ferries représente 9 millions de nuitées, soit 600 millions d'euros de recettes touristiques. Les régions Bretagne, la Normandie et les Pays-de-la-Loire se partagent à elles-seules 68% de cette manne, dont l'apport est aussi perceptible en Poitou-Charentes (1 million de nuitées) et en Aquitaine (900.000 nuitées). Afin de maintenir son activité et, par ricochet, continuer d'assurer ces recettes aux professionnels locaux du tourisme, Brittany Ferries travaille avec d'autres compagnies, comme P&O et D Lines, ainsi qu'Atout France et les Conseils régionaux. L'objectif est de mutualiser les moyens et, notamment, lancer de grandes campagnes publicitaires outre Manche. Il ne semble en effet plus possible de vivre sur les acquis d'une notoriété ancestrale, qui s'effrite peu à peu au profit de nouvelles destinations, dont les promoteurs sont très actifs. Ainsi, les dépenses de publicité en Grande-Bretagne pour la promotion de la France arrivent désormais loin derrière celles de nombreux pays, y compris l'Australie, le Maroc, l'Afrique du sud, la Californie, l'Inde, l'Espagne ou encore l'Egypte (le cumul des actions publicitaires françaises n'arrive qu'en 17ème position !). Le Cotentin et le Cap Finistère (© : BRITTANY FERRIES) L'Irlande et l'Espagne compensent la situation en Manche Face à une évolution délicate en manche, Brittany Ferries peut compter sur deux autres marchés pour compenser ses difficultés dans le Chanel. D'abord l'Irlande, où la ligne Roscoff-Cork a transporté, sur le dernier exercice, 81.063 passagers, soit une hausse de 21 % par rapport à l'année précédente. Malgré là aussi une forte concurrence avec Irish Ferries et Celtic Link en low cost, l'armement breton fait mieux que résister. Mais, pour Brittany Ferries, le grand développement attendu est celui de son autoroute de la mer vers l'Espagne, destination à la mode chez sa clientèle historique. Si la compagnie entretient un service avec Santander depuis 1978, elle a décidé de passer à la vitesse supérieure. Cette année, trois navires sont affectés à l'Espagne, assurant 7 rotations par semaine depuis l'Angleterre. Le 28 mars, la nouvelle ligne entre Portsmouth et Bilbao été ouverte, permettant de rallier avec le Cap Finistère le Pays-Basque trois fois par semaine. A cela s'ajoute les deux allers-retours réalisés par le Pont Aven et les deux rotations du fréteur Cotentin. L'an dernier, déjà, la compagnie avait connu une forte augmentation de trafic vers l'Espagne, soit 221.257 passagers contre 165.819 l'année précédente (+33.4%). Avec le positionnement du nouveau Cap Finistère, 100.000 passagers supplémentaires sont attendus sur les 9 prochains mois. A cela s'ajoutent un objectif d'environ 7000 camions, ce qui permettrait à Brittany Ferries de transporter 25.000 pièces de fret entre la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne. Ce développement de l'activité fret permettrait de compenser la dureté du marché transmanche, l'autoroute de la mer de Brittany Ferries présentant l'avantage, par rapport à certains de ses concurrents, d'avoir pour fonctionner un « fond de cale » constitué de passagers.

Aller plus loin

Rubriques
Marine marchande
Dossiers
Brittany Ferries