La semaine dernière, à l’occasion des Assises de l’économie maritime, Jean-Marc Roué, président du directoire de Brittany Ferries, a évoqué les projets de la compagnie en matière de gaz naturel liquéfié. C’est ce mode de propulsion qui a la préférence de l’armement de Roscoff pour répondre au durcissement de la règlementation sur les émissions polluantes. Dans cette perspective, Brittany Ferries projette de faire construire un nouveau navire à l’horizon 2017 et de convertir trois de ses unités les plus récentes, l’Armorique (2008), le Mont Saint-Michel (2003) et le Pont Aven (2004). Les deux premiers seraient dotés d’une propulsion au GNL dès janvier 2015, alors que le troisième serait équipé en 2016.
Le nouveau ferry lié au programme Pegasis
Concernant le nouveau navire, il s’agit d’un grand ferry de 210 mètres de long pour 31 mètres de large présentant une jauge de 52.500 GT. Capable d’atteindre la vitesse de 25 nœuds grâce à une propulsion électrique développant 34 MW, il est conçu pour transporter 2400 passagers (650 cabines), ainsi que 650 voitures et 40 pièces de fret. Ce projet est étudié avec les chantiers de Saint-Nazaire et, s’il voit le jour, devrait bénéficier d’un soutien de l’Etat dans le cadre de Pegasis, une solution innovante de propulsion au gaz développée par STX France pour les navires à passagers. Ce dossier fait partie des projets retenus suite au premier appel à manifestation d’intérêt lancé dans cadre de Navires du Futur, le volet maritime du programme des Investissements d’avenir, qui vise à soutenir l’innovation et le développement industriel.
L’échéance du 1er janvier 2015
Nouveau navire, conversion de bateaux récents mais aussi développement de solutions d'approvisionnement et de distribution de gaz dans les ports... L'ambitieux plan de développement de Brittany Ferroes a évidemment un coût, qui s’annonce élevé. C’est pourquoi la compagnie, qui aligne une flotte de huit navires et ne pourra pas tous les transformer, demande qu’on lui laisse le temps de s’adapter. On en revient évidemment à l’échéance du 1er janvier 2015, date à laquelle l’Europe a décidé, via la directive soufre, d’appliquer l’annexe VI de la convention internationale MARPOL. Celle-ci imposera à tous les navires évoluant en Manche, mer du Nord et Baltique une réduction quasi-totale de leurs émissions de soufre. Pour se faire, les armements peuvent soit recourir à un carburant désulfuré (gasoil), beaucoup plus cher que le combustible actuel (fuel lourd), soit équiper leurs flottes de dispositifs de lavage de fumée (scrubbers), cette dernière solution étant actuellement privilégiée par la plupart des opérateurs. L’autre alternative est évidemment le GNL, qui sera sans doute la grande solution d’avenir. Mais il s’agit d’une voie plus onéreuse et dont la mise en œuvre ne peut se faire que progressivement.
Depuis 2011, un certain nombre d’armements européens, notamment en France - avec Brittany Ferries en tête -, ont combattu avec vigueur la mise en application de MARPOL VI dès 2015. Avec comme argument que le passage obligé du fuel lourd au gasoil entrainerait une augmentation considérable des frais de soute, ce qui grèverait la viabilité économique des compagnies. Toutefois, malgré le soutien de plusieurs gouvernements, notamment français, la Commission européenne est restée inflexible. Une position d’autant plus ferme que les équipementiers ont, finalement, su développer rapidement des solutions permettant de répondre à la problématique des émissions polluantes tout en conservant l’usage du fuel lourd. C’est ainsi que le marché des scrubbers a littéralement explosé, les industriels proposant des dispositifs de plus en plus efficaces.

L'Armorique (© MICHEL FLOCH)
Des gains environnementaux bien meilleurs avec le gaz
Reste que certains opérateurs, comme Brittany Ferries, continuent de prôner un assouplissement de la règlementation, avec des délais supplémentaires pour adapter la flotte avec des solutions axées sur le GNL. Et les partisans de cette approche ne manquent pas d’arguments, notamment sur l’aspect écologique, au cœur des objectifs de MARPOL VI. « Le législateur cherche avant tout un résultat environnemental. Or, le GNL présente un vrai intérêt dans le cadre de la transition énergétique car il va au-delà des normes déjà actées et qui vont être imposées à court terme. En donnant un peu plus de temps pour adapter les navires, on peut atteindre des objectifs environnementaux qui vont bien au-delà de ceux fixés par MARPOL ». Ainsi, en plus de l’oxyde de soufre (SOx), le GNL réduit considérablement les rejets d’oxyde d’azote (NOx) et diminue de plus de 20% les émissions de dioxyde de carbone (CO2), ce qui n’est pas le cas avec le carburant classique ou désulfuré. Or, après le SOx, il est évident que les prochaines étapes règlementaires concerneront les réductions de CO2 et de NOx. Autant donc, dès aujourd’hui, opter pour une solution globale.
Vers une évolution de la position européenne ?
Partant de ce constat, le lobbying s’organise pour tenter de faire évoluer la position de Bruxelles. Et la Commission commence, semble-t-il, à s'interroger. C’est pourquoi elle a créé l’European Sustainable Shipping Forum (ESSF), qui s’est réuni pour la première fois à Bruxelles le 27 novembre. Toute la journée, institutionnels et professionnels ont planché sur la mise en œuvre de la « directive soufre » et ses conséquences, ainsi que les technologies disponibles pour atteindre les objectifs fixés. L’ESSF, qui compte des sous-groupes de travail (procédures et règlementation, innovation, scrubbers, GNL…), doit alimenter la Commission afin de l’aider à prendre les décisions les plus pertinentes d’un point de vue environnemental, mais aussi économique et social. Dans cette perspective, les tenants de l’option GNL entendent bien démontrer que le gaz est « la solution la plus efficace et la plus intelligente ».
Pour autant, si tel est le cas, cela ne signifierait sans doute pas une remise en cause de la date d’entrée en vigueur de la directive soufre. Mais il est peut-être possible d’obtenir de Bruxelles des mesures permettant d’accompagner les armements engagés dans une transition énergétique plus vertueuse axée sur le gaz.
Aides publiques
Concrètement, si cette idée voit le jour, il faudra mettre en place des dérogations mais aussi des dispositifs de soutien public pour aider les opérateurs à financer les investissements nécessaires. Aux Assises de l’économie maritime, Jean-Marc Roué a, ainsi, plaidé pour un régime de transition permettant aux armateurs engagés dans cette voie de maintenir un fonctionnement au fuel lourd des navires ne pouvant être convertis, en attendant leur remplacement par des unités neuves. De même, il a souhaité un plan de soutien à hauteur de 40% du coût lié à la conversion des bateaux pouvant être équipés en GNL, tout en évoquant un système d’achat vente des émissions de soufre, à l’image du crédit-carbone.
En matière d’aides publiques, on rappellera que l’Europe autorise déjà les Etats à appuyer le secteur privé de différentes manières, par exemple via le soutien à l’innovation. C’est précisément le cas dans le cadre du projet Pegasis. Les gouvernements peuvent également intervenir sur les infrastructures. Ainsi, en France, le Comité interministériel de la mer a, la semaine dernière, annoncé le lancement en 2014 d’un appel à projets pour la mise en œuvre « sur un ou deux sites dédiés » d’un système complet de distribution de gaz naturel liquéfié portuaire. Une initiative en lien avec les projets de nouveaux ferries au GNL, qui nécessiteront bien évidemment des stations de ravitaillement.