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Parmi différentes actions entreprises pour réduire son empreinte carbone, le groupe maritime français a annoncé la semaine dernière une initiative visant à soutenir le développement de la filière du bio-méthane. CMA CGM s’est ainsi engagé à acheter immédiatement 12.000 tonnes de ce produit, un gaz vert obtenu à partir de déchets d’origines organique et végétale issus d’exploitations agricoles européennes et valorisés au sein d’unités de méthanisation.

Ce bio-méthane ne sera pas employé comme carburant pour les porte-conteneurs de l’armateur, mais injecté dans le réseau de gaz terrestre. CMA CGM va de cette manière compenser une petite fraction de ses émissions de gaz à effet de serre ; sachant que 12.000 tonnes équivalent à la consommation annuelle en carburant de deux petits caboteurs d’une capacité de 1400 EVP (équivalent vingt pieds, taille standard du conteneur) propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL), comme les nouvelles unités de sa filiale Container Ships exploités en Baltique. A titre de comparaison, pour des géants comme les neuf nouveaux 23.000 EVP de la classe Jacques Saadé, la consommation s’élève à plus de 30.000 tonnes de GNL par an et par navire. Ces 12.000 tonnes constituent donc une « goutte d’eau » dans au regard des volumes consommés chaque année par la flotte.

Mais le groupe, qui va acheter ce bio-méthane deux fois plus cher dit-il, veut surtout par cette initiative montrer qu’il agit sur les questions environnementales et, dans le même temps, répondre à une demande de plus en plus pressante de ses clients. Alors que les chargeurs mettent la pression sur les armateurs et logisticiens pour réduire le bilan carbone sur toute la chaine de transport des marchandises, CMA CGM va ainsi proposer à ses clients, à partir du mois de mai, de recourir à la solution impliquant l’achat de bio-méthane d’origine garantie, ce qui leur permettra par compensation de réduire l’impact environnemental des conteneurs utilisés. Avec l’espoir de développer cette offre et, ainsi, accroître les achats de bio-méthane.

Le groupe assure vouloir, par cette initiative, envoyer un signal fort de soutien à la filière du bio-méthane, pour l’inciter à se développer et atteindre des volumes qui permettront de réduire le coût de ce gaz vert afin qu’il devienne plus compétitif. L’armateur étudie également la possibilité, à terme, de liquéfier le bio-méthane pour qu’il puisse servir de carburant marin. Mais les volumes sont tels qu’il ne pourrait s’agir que d’une petite portion des soutes de navires fonctionnant au GNL. Avec aussi comme enjeu de veiller à ce que le développement de la méthanisation, qui s’appuie souvent sur l’agriculture intensive, n’obère pas au global les avantages environnementaux escomptés.

Pour les armateurs, le défi écologique est en tous cas considérable, une entreprise comme CMA CGM, numéro 3 mondial du transport maritime conteneurisé (et acteur important de la logistique via sa filiale CEVA), exploitant par exemple une flotte de 550 navires à travers le monde. Des bateaux dont les moteurs fonctionnent aujourd’hui, pour l’essentiel, au fuel lourd, leur exploitation nécessitant 7000 à 8000 soutages par an soit des millions de tonnes de combustible fossile. Quant aux nouveaux porte-conteneurs fonctionnant au GNL, s’ils sont très médiatisés et voient le nombre augmenter rapidement, ils ne représentent qu’une petite partie des capacités globales du groupe. Une douzaine est entrée en service depuis septembre 2019, alors que 32 unités en propriété ou affrétées de 1400 (6), 15.000 (17) et 23.000 EVP (9) doivent être opérationnelles d’ici la fin 2022. Et CMA CGM devrait y ajouter prochainement des unités supplémentaires, sachant que pour l’heure l’avitaillement de cette nouvelle flotte fait l’objet de deux contrats d’avitaillement avec Total, qui fournira jusqu’à 300.000 tonnes de GNL par an à Rotterdam et 270.000 tonnes à partir de Fos. Le GNL constitue une avancée importante sur le plan environnemental, surtout sur les émissions nocives en éliminant quasi-intégralement les rejets d’oxydes de soufre et de particules fines, tout en diminuant sensiblement les oxydes d’azote. Mais sa performance sur les émissions de gaz à effet de serre est limitée, avec une réduction des rejets de CO2 de seulement 20 à 25% par rapport à un carburant classique.

Dans ces conditions, pour atteindre l’objectif que le groupe s’est fixé - en ligne avec les grands engagements internationaux - d’une réduction de 50% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, il faut impérativement mettre le pied sur l’accélérateur. Et faire flèche de tout bois, en attendant l’arrivée de navires « verts » de nouvelle génération, pour grappiller des % partout où cela est possible.

CMA CGM a donc entrepris de travailler simultanément sur les court, moyen et long termes, en combinant plusieurs solutions, afin de cumuler progressivement les gains en matière de réduction des gaz à effet de serre. La décision de soutenir la filière du bio-méthane entre dans les actions de court terme, qui peuvent être immédiatement mises en œuvre. C’est le cas aussi pour l’emploi de bio-fuel sur les navires à propulsion classique. A ce titre, l’armateur a signé en décembre 2019 avec Shell un accord pour la fourniture de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de biocarburant marin à destination de sa flotte. Le combustible utilisé est composé à 80% de carburant à faible teneur en soufre et à 20% d’un bio-fuel à base d’huiles de cuisson recyclées. Ce qui permet de réduire sensiblement les émissions.

Sur les courts et moyens termes, l’heure est à la construction de porte-conteneurs fonctionnant au GNL, avec l’ambition de développer la part des biogaz pour améliorer leur bilan carbone. Avec Total, l’armateur s’est fixé pour ambition d’atteindre 13% de biogaz sur ses approvisionnements en GNL.

Pour le plus long terme, des travaux de R&D sont en cours, par exemple avec les Chantiers de l’Atlantique sur un concept de navire « zéro émission ». Ce qui impliquerait l’emploi de carburants encore plus vertueux (l’industrie travaille aujourd’hui sur l’ammoniac, le méthanol ou encore l’hydrogène) combinés avec des plateformes moins gourmandes en énergie intégrant différentes solutions, comme la propulsion vélique. Certaines briques technologiques, comme les voiles justement, devraient pouvoir être intégrées à plus brève échéance sur des navires, indépendamment du « porte-conteneurs du futur », toujours dans une logique de déployer le plus vite possible les solutions qui arrivent à maturité.

CMA CGM n’est pas le seul à s’être engagé dans cette voie. Au sein de l’industrie mondiale du transport maritime et de la logistique, on constate même une démultiplication des annonces ces derniers mois. Car face à l’urgence climatique, la pression de plus en plus forte de l’opinion publique et des chargeurs, mais aussi le durcissement continu des règlementations sur les émissions polluantes, les armateurs n’ont d’autre choix que d’avancer à marche forcée sur ces sujets. Ce qui semble devoir se traduire, en plus de la traditionnelle concurrence commerciale, par l’émergence d’une véritable compétition environnementale entre les opérateurs.  

© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.

 

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