Faut-il y voir une mesure de protectionnisme de la part de Pékin ? Les trois leaders mondiaux du transport maritime conteneurisé, le danois Maersk Line, le Suisse MSC et le Français CMA CGM, sont en tous cas contraints d’abandonner leur projet de réseau P3. Le ministère chinois du Commerce a, en effet, refusé de donner son feu vert à cette alliance opérationnelle, qui avait été approuvée le 24 mars et le 3 juin par les autorités américaines et européennes de la concurrence. N’ayant d’autre choix que de prendre acte de la décision des Chinois, les armateurs européens ont annoncé hier qu’ils mettaient fin à la constitution de P3, dont le lancement devait intervenir à l’automne.
Décision politique ?
Plus qu’un problème de concurrence, puisque la constitution de ce réseau n’entrainait pas de hausse de capacités par rapport à la situation actuelle, la décision chinoise semble très politique. Elle laisse penser que le gouvernement de Pékin a, peut-être, voulu envoyer un message aux Occidentaux quant à leurs projets de taxation ou de limitation des importations chinoises. Dans le même temps, on remarque que ce refus de laisser se constituer une alliance européenne majeure, avec une place prépondérante sur le marché asiatique, intervient alors que les armements chinois sont eux-mêmes engagés dans un mouvement de consolidation opérationnelle. Au travers par exemple de G6 et Green Alliance (ex-CKYH), les compagnies nationales se renforcent en effet au travers du même type d’alliances que celle qui était envisagée par leurs concurrents européens. De là à imaginer que les Chinois aient voulu favoriser le renforcement de leurs propres champions au détriment des Européens, il n’y a qu’un pas.
Un projet qui devait couvrir 29 lignes avec 225 navires
Pour mémoire, le projet P3 visait à mutualiser les moyens des trois groupes maritimes afin d’améliorer la qualité et l’offre des services proposés à leurs clients, au travers notamment de liaisons plus fréquentes et plus fiables. Prévu pour servir les marchés Asie-Europe, Transatlantique et Transpacifique, P3 aurait été mis en œuvre sur 29 routes maritimes, en intégrant une gigantesque flotte de 225 navires offrant une capacité de 2.6 millions d’EVP (Equivalent Vingt Pieds, taille standard du conteneur). Présenté comme une alliance opérationnelle et non commerciale, le réseau devait permettre l’amélioration de la productivité des ports, l’optimisation du réseau et la consolidation de fret. Il aurait permis de proposer davantage de traversées que chaque armateur n’en offre à titre individuel. Maersk, MSC et CMA CGM visaient aussi une flexibilité accrue permettant d'augmenter ou de déplacer la capacité afin de répondre aux changements soudains de la demande court terme de leurs clients, ainsi que des économies de coûts et des bénéfices environnementaux.
Les armateurs européens minimisent l’échec
Le fait que cette alliance tombe à l’eau est évidemment un coup dur pour Maersk Line, MSC et CMA CGM, qui oeuvraient depuis longtemps sur ce projet et misaient beaucoup sur les bénéfices qu’il devait engendrer. Alors que le feu vert des Etats-Unis et de l’Europe laissaient penser que les étapes les plus complexes avaient été franchies, la décision chinoise a fait l’effet d’une douche froide. Est-elle de nature à fragiliser leur développement ? « Cette décision est arrivée comme une surprise pour nous, alors que les partenaires avaient travaillé dur pour répondre à toutes les préoccupations et questions des Chinois. Donc c’est évidemment une déception. P3 aurait apporté à Maersk Line un réseau plus efficient et un meilleur produit à nos clients », a réagi hier Nils Andersen, le directeur général de l’armement danois. Néanmoins, explique-t-il, « nous sommes mobilisés pour continuer à être économiquement compétitifs et offrir des services fiables. Nous avons connu des améliorations sur les cinq derniers trimestres, en l’absence de P3, et je suis confiant dans le fait que nous continuerons sur cette voie ». Et le patron du leader mondial du secteur d’estimer qu’avec ou sans P3, Maersk Line « accomplira de toute façon les améliorations » prévues par le projet d’alliance. Du côté de la France, également, on minimise la portée de l’échec de P3 : « Les services maritimes actuels de CMA CGM et les coopérations existantes sont maintenus dans leur intégralité, offrant une excellente qualité de service aux clients ». On notera à ce titre que, si la grande alliance globale voulue par l’armateur français et ses homologues danois et suisse ne voit pas le jour, CMA CGM et ses partenaires ont déjà noué des alliances opérationnelles, certes moins vastes, mais touchant néanmoins des marchés stratégiques. C’est notamment le cas sur les lignes Asie/Méditerranée avec Maersk Line et vers l’Europe du nord avec MSC.