On connaissait l’existence de tensions à la tête de la SCOP SeaFrance, qui gère la flotte de MyFerryLink, avec d’un côté le Conseil de surveillance, présidé par Didier Cappelle, leader du syndicat maritime Nord et de l’autre le Directoire, avec Jean-Michel Giguet et Raphaël Doutrebente. Ces dissensions ont été spectaculairement mises à jour avec la demande, hier, de placement de la SCOP en sauvegarde de justice. C’est le Directoire qui est à l’origine de cette requête examinée aujourd’hui par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. Elle fait suite à l’annonce par Didier Cappelle de la convocation d’une réunion du Conseil de surveillance de la SCOP, lundi 13 avril, dans le but de révoquer le Directoire.
Repreneurs privés ou société d’économie mixte ?
La raison de cette volonté de révocation n’est pas officiellement connue : on évoque des divergences sur le niveau de rémunération des dirigeants ou des délais de transmission de documents au Conseil de surveillance. En arrière-plan, on imagine surtout que le vrai problème se situe au niveau de l’avenir de la SCOP. Après des mois de procédures devant les autorités de la concurrence britannique, Eurotunnel, propriétaire de la flotte, a annoncé sa décision de mettre en vente les navires. Jacques Gounon, président du groupe ferroviaire, a ainsi déclaré au quotidien La Voix du Nord, que quatre repreneurs s’étaient déjà manifestés. Parallèlement, la SCOP a annoncé vouloir monter un projet de société d’économie mixte, en partenariat avec les collectivités locales, pour racheter la flotte. Aucun détail sur le financement de cette SEM, ni aucune entité publique intéressée ne sont connues pour l’instant.
La SCOP ne peut légalement continuer sans les dirigeants actuels.
C’est donc sans doute cette divergence bien plus profonde qui est à l’origine de cette grave crise de gouvernance. « En vertu des contrats nous liant à Eurotunnel, une telle démarche est suicidaire dans la mesure où la révocation des membres du Directoire va entraîner l’arrêt de nos activités », déclarent Raphaël Doutrebente et Jean-Michel Giguet. Il semblerait en effet que, toujours selon les informations de la Voix du Nord, les contrats signés entre la SCOP et Eurotunnel comprennent une clause « intuitu personae », qui conditionne l’exécution du contrat à la présence d’interlocuteurs personnellement identifiés, Jean-Michel Giguet et Raphaël Doutrebente, en l’occurrence. La mécanique juridique est simple : si les deux personnes nommées dans la clause intuitu personae s’en vont, le contrat est caduc, Eurotunnel ne peut plus fréter ces navires, l’activité de MyFerryLInk s’arrête.
Des administrateurs judiciaires pour prendre le relais
« Avec nos avocats-conseils, il nous est apparu que la seule action possible pour tenter de sauver les emplois (…) était de demander le placement de la SCOP SeaFrance sous le régime de la sauvegarde de justice ». Cette procédure va entraîner la nomination d’administrateurs judiciaires qui vont prendre le relais de la gouvernance pour une durée établie par le tribunal. Aucunement comparable à un redressement judiciaire, elle est réservée aux entreprises disposant de trésorerie. MyFerryLink a enregistré de belles progressions de son chiffre d’affaires et pourrait, selon ses dirigeants et ceux d’Eurotunnel, revenir à l’équilibre cette année.
« Nous devons nous préparer à affronter l’avenir sans Eurotunnel ce qui ne serait pas envisageable si, du fait de la révocation du Directoire, les discussions en cours avec des repreneurs étaient interrompues », poursuivent Jean-Michel Giguet et Raphaël Doutrebente. « Nous ne pouvions donc que nous opposer à l’initiative saugrenue de Monsieur Cappelle, qui a manifestement décidé de signer l’arrêt de mort de notre SCOP ».