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La colère gronde dans les îles morbihannaises. Dans les ports de Groix, Belle-Ile, Houat et Hoedic, dans les gares maritimes de Lorient et Quiberon, devant le Conseil général à Vannes,  les "Cirés Jaunes" disent leur inquiétude. Les Cirés Jaunes, le nom que se sont spontanément donnés les collectifs d’usagers des navires de la Compagnie Océane qui relient les îles au continent. Un mouvement qui regroupe les îliens, leurs familles, les résidents secondaires, les élus, les entrepreneurs et qui veut « comprendre » ce qu’il risque de se passer après le 1er janvier 2015, date à laquelle le nouveau contrat de délégation de service public (DSP) de desserte va entrer en vigueur. « Nous savons que les prix vont augmenter, parfois dans des proportions dramatiques pour certains secteurs d’activités ou les familles de nos îles. Mais nous ne nous battons pas que pour ces histoires de tarifs. Ce que nous voulons aussi, c’est comprendre comment cette desserte est gérée par la Compagnie Océane. Ce n’est pas qu’une question d’argent, c’est aussi une question de principe et de transparence», explique une Groisillonne.

 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
Port Tudy, île de Groix (MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
 

Des augmentations de 70% pour certains passages

 

Ce que les îliens veulent comprendre, c’est pourquoi la Compagnie Océane, seul candidat au contrat de DSP 2015-2021, a annoncé des augmentations importantes (parfois près de 70% pour les camions) des tarifs et une réduction du nombre de rotations. « Il faut bien comprendre qu’en supprimant des liaisons, on va réduire les possibilités des îliens de travailler sur le continent, en augmentant les tarifs des résidents secondaires et des familles des insulaires, on va les décourager de venir, avec comme conséquences l’isolement de nos populations et la désertification. Et en taxant aussi fortement les camions, on va détruire une grosse partie de notre fragile économie insulaire, qui a le mérite d’exister et de se battre », poursuit l’îlienne. Contrairement à Belle-Ile, Groix ne peut être desservi par un navire-citerne : « toute l’essence passe par camion, imaginez la répercussion sur le prix au litre pour nous, si le passage augmente de 70% ». Du côté des transporteurs, même son de cloche, notamment pour l’approvisionnement des entreprises de travaux publics, du commerce de détail et pour l’« exportation » de productions insulaires vers le continent. 

Fait rare, les sept maires (Locmaria, Bangor, Le Palais, Sauzon, Houat, Hoedic et Groix) des îles, toutes tendances politiques confondues, ont fait front ensemble, et ce dès le printemps, quand  les nouvelles conditions de DSP (avec notamment une subvention publique en réduction) commençaient à s’ébaucher. Concomitamment, un rapport d’observation de la Chambre régionale des Comptes (CRC) examinant les exercices 2009 et suivants des comptes portant sur la desserte des îles a été publié.   

 
 
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© MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ
(MER ET MARINE - CAROLINE BRITZ)
 
 
 

Une DSP déficitaire depuis l’arrivée de la Compagnie Océane

 

Celui-ci analyse l’ensemble des paramètres juridiques et financiers de la DSP, assurée depuis 2008 par la société Compagnie Océane, créée ad hoc par Veolia (devenu depuis Transdev), nouveau venu sur la ligne, jusque là exploitée par la Société Morbihannaise de Navigation. Au niveau de l’équilibre financier de la DSP, le rapport constate que, entre 2008 et 2012, « même si les charges d’exploitations progressent moins rapidement que les recettes sur la durée écoulée de la DSP, le déficit constaté depuis la première année (2.9 millions d’euros) s’est creusé pour finalement atteindre le double en cumulé (5.8 millions d’euros) à la fin de 2012 ». Pour mémoire, les comptes de la DSP entre 2002 et 2007 ont tous été bénéficiaires.

Pour expliquer ce phénomène, le rapport expose son analyse. « En premier lieu, le délégataire n’a pu atteindre son objectif d’augmentation de la fréquentation des passagers qu’il s’était fixé dès le début de son contrat. Ainsi, au lieu d’une augmentation de la fréquentation de passagers de 11.5% entre 2007 et 2012, cette dernière baisse de 5.5% depuis la fin du contrat précédent, réduisant fortement le chiffre d’affaires attendu ». Les objectifs auraient-ils été trop ambitieux ? Un optimisme qui aurait eu pour effet un affichage tarifaire d’appel intéressant mais qui n’a pu se réaliser. « Depuis le début de la DSP, l’actionnaire du délégataire a reconstitué à trois reprises les capitaux propres de la société, pour couvrir les pertes d’exploitation de la délégation ». Veolia a ainsi dû injecter plus de 6 millions d’euros entre 2008 et 2013 dans la Compagnie Océane. « Une étude réalisée en 2012 dans le cadre de la préparation du renouvellement de la DSP montre que le délégataire a sous-estimé les charges et sous-estimé les produits ». 

 

Une grille tarifaire illisible

 

L’analyse de la CRC montre que les tarifs ont progressé de 16.2% entre 2008 et 2013. Pour mémoire, les tarifs sont proposés par le délégataire, discutés en commission paritaire et votés par l’assemblée délibérante. Dans le cas de la DSP morbihannaise, la CRC relève quelques couacs : une non-indexation des prix du carburant en 2010, alors même que le combustible avait baissé ; une formule de révision appliquée sur des tarifs TTC « rendant moins lisible leur progression, compte-tenue de l’évolution qui intervient en parallèle à la fois au niveau de la TVA et des modalités d’application de la taxe Barnier », une grille de prix votée en fin d’année empêchant un ajustement face à la concurrence estivale et un taux d’évolution concernant 200 tarifs, « ces derniers pouvant évoluer indépendamment les uns des autres ». De plus, ajoute le rapport, il y aurait « en termes de communication une distorsion apparaît entre le vote du taux par le département et la réalité des tarifs ». 

 

Le problème des tarifs « passagers départementaux », résidents secondaires et enfants d’insulaires

 

Le rapport de la CRC note également que « les clauses du contrat de la DSP relatives aux catégories d’usagers ne sont pas respectées ». Quatre catégories sont prévues dans le contrat initial : insulaires (résidant au moins 8 mois sur 12), résidents secondaires, passagers départementaux (résidents du Morbihan) et autres usagers. En pratique, deux catégories supplémentaires existent : les enfants d’insulaires  et les gratuits.  

La CRC effectue un rappel de la jurisprudence Denoyers et Chorques/bac de l’île de Ré (Conseil d’Etat, 10 mai 1974), qui précise qu’il « existe entre les personnes résidents de manière permanente sur l’île et les habitants du continent dans son ensemble , une différence de situation de nature à justifier les tarifs de passage réduits applicables aux habitants de l’île, en revanche, les personnes qui possèdent une simple résidence d’agrément ne sauraient être regardées comme remplissant les conditions justifiant que leur soit appliqué un régime préférentiel ». Elle rappelle également une jurisprudence du tribunal administratif de Rennes de 1994 annulant la catégorie d’enfant d’insulaire, non respecté jusqu’ici par le Département. Selon cette logique jurisprudentielle, seul le tarif insulaire et le tarif continental pourraient être appliqués. 

 

Viabilité financière, droit et service public.

 

Et maintenant ? Le Conseil général du Morbihan se retrouve dans une situation difficile : un budget en baisse, un manque de visibilité sur ses futures compétences en matière de transports et des recommandations de la CRC préconisant des mesures impopulaires et pointant les difficultés de la seule société – Transdev – à avoir répondu à l’appel d’offres. Avec une offre qui, certes, rationalise les tarifs et vise sans doute à rétablir une situation financière tellement déficitaire que certains ont du mal à comprendre la motivation de Transdev à poursuivre son exploitation. Mais qui s’accommode parfois mal des objectifs de service public et de continuité territoriale inhérente et indispensable à l’exécution d’un contrat de DSP.

Les îliens luttent, le département essaie de résoudre sa quadrature du cercle. Il vient de lâcher du lest : la subvention de 500.000 euros initialement prévue est portée à 748.000 euros. Belle-Ile et Groix conservent respectivement 6 rotations quotidiennes (7 le vendredi) et 4 rotations (5 le vendredi). Les tarifs des particuliers ont été encadrés, des abonnements mis en place pour les résidents secondaires… mais pour les marchandises rien à faire. « Nous avons l’impossibilité juridique de maintenir de façon générale le tarif très préférentiel des entreprises insulaires. Le droit de la concurrence nous l’interdit expressément ». 

L’inquiétude se lit toujours dans les yeux des îliens qui ont organisé une marche funèbre « du courrier » le 1er novembre dernier. La mobilisation ne faiblit pas. S’ils reconnaissent les efforts du Conseil général, ils sont nombreux à se demander s’il « ne faudrait pas gérer nous-même notre desserte ». Certains ont réfléchi à une société d’économie mixte commune aux quatre îles, on se penche sur le système de régie… 

Le vote du Conseil général est prévu le 18 novembre prochain.

 
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