La longue marche vers la décarbonation du transport maritime et des navires va prendre un nouveau coup d’accélérateur. A partir du 1er janvier 2023, tous les navires, de tous les types et de tous les âges, devront pouvoir présenter leur EEXI (Energy Efficiency Index for Ships In Service), c’est-à-dire leur indice énergétique et, en quelque sorte, leur coût carbone, via leurs émissions de CO2.
Depuis 2013, on connaissait l’EEDI (Energy Efficiency Design Index) que l’on calcule pour tous les navires neufs. L’EEXI est, en quelque sorte, l’extension de son concept à l’ensemble de la flotte. « Il s’agit d’un indice uniquement dédié aux émissions de CO2 qui s’inscrit dans le mouvement général de décarbonation mis en route par l’Organisation Maritime Internationale », explique à Mer et Marine, Fabian Kock, responsable de la certification environnementale du DNV. Le comité spécialisé MEPC de l’OMI en a fixé le principe lors de sa session de novembre dernier, en modifiant l’annexe VI de la convention Marpol. La session de juin prochain va en fixer les contours en établissant notamment les règles précises de calcul de ce nouvel indice.
Etablir des standards d'émission par type de navires
L’idée sous-jacente de cette norme est de fixer un cadre objectif de performance de chaque type de navire. Pour cela, il faut d’abord établir le niveau d’émission de CO2 en s’appuyant sur la puissance moteur et auxiliaire installée, le type de combustible et son facteur de conversion en CO2. Ce niveau d’émission est ensuite divisé par la capacité de transport, qui correspond au tonnage du navire et à sa vitesse (à 75% de la puissance moteur).
Les règles et standards précis, propres à chaque navire, devraient être fixés en juin par l’OMI mais on sait d’ores et déjà que de nombreux facteurs de correction vont être apportés à ce calcul. Par exemple, les porte-conteneurs ne pourront prendre en compte que 70% de leur tonnage, les paquebots devront ajouter un correctif lié à leur consommation hôtel ou les brise-glaces bénéficieront d’un aménagement spécifique.
« Il s’agit d’un indice de design, exactement comme l’EEDI, pas un indice opérationnel », précise Fabian Kock. Les services techniques vont donc devoir rassembler toute la documentation technique chantier et classe, les carnets d‘assiette et de stabilité, les rapports de modèles de test et ceux de vitesse, les spécifications NOx et s’ils les ont les données EEDI. « Pour des navires récents déjà dotés d’EEDI, l’enjeu est faible. Mais pour des navires plus anciens, la valeur à atteindre peut être assez éloignée, ce qui entrainera soit une limitation de puissance de propulsion à mettre en place, soit des retrofits afin d’améliorer l’efficacité énergétique du navire. Mais la problématique principale est la disponibilité des données des navires anciens pré-EEDI, notamment les essais mer de vitesse et de puissance de propulsion, qui servent de base à l’élaboration de l’EEXI », expose le Bureau Veritas, questionné par Mer et Marine.
Mais à quoi va-t-il servir ? Il va, en quelque sorte, situer le navire dans des standards de performance. Et si les calculs établissent, pour des raisons variables (âge, puissance du moteur…), qu’il est au-dessus des émissions attendues pour sa catégorie, il appartient dès lors à son propriétaire de mettre en place des mesures correctives. « Pour cela, on peut jouer sur les deux facteurs de la division de calcul de l’EEXI : soit on baisse les émissions, soit on augmente la capacité de transport », dit Jan Wienke, ingénieur principal au DNV.
Réduire la puissance des moteurs? Installer une voile de propulsion?
C’est bien tout l’enjeu des deux années à venir pour les armateurs. Comment rentrer dans les clous si on n’y est pas ? « La solution la plus simple et qui ne nécessite pas trop de travaux est la réduction de la puissance moteur », poursuit l’expert du DNV. Une réduction qui peut prendre plusieurs formes, selon le profil opérationnel du navire. Et qui peut se traduire par des actions physiques, comme une limitation du moteur principal ou l’arrêt d’un turbochargeur. Pour certaines catégories de navires, les règles de l’EEXI prévoient néanmoins que ces limitations doivent pouvoir être ignorées en cas d’urgence.
Pour réduire les émissions, on peut aussi imaginer d’autres solutions dites d’efficacité énergétique comme « l’optimisation de la carène, la mise en place de tuyères d’hélice, de dispositifs de réduction de trainée, le changement des revêtements, un système de récupération d’énergie ou encore des changements de types de propulsion », précise le Bureau Veritas.
En termes de « rentabilité », et d’après les projections communiquées par le DNV, le plus efficace est de très loin la limitation de la puissance moteur. Avec une propulsion bridée à 50%, l’indice EEXI peut s’améliorer de 37%. La conversion du diesel au GNL offre une amélioration de 25%. L’installation d’une propulsion auxiliaire propre, comme une turbovoile, permet de gagner 3.8% et quasiment 10% quand elle est combinée avec un générateur d’arbre. « Bien sûr, la limitation de la puissance moteur, et donc une perte de vitesse, n’est pas acceptable pour tous les navires. Dans ce cas, il faut miser sur les technologies d’efficacité énergétique », poursuit Jan Wienke. « Il est par ailleurs urgent que ces dernières, et notamment les voiles, soient revues et prises en compte dans les lignes directrices. L’OMI devrait le faire cet été ». Parce que si les armateurs veulent avoir recours à ce type d’équipement, « ils doivent pouvoir prévoir un arrêt technique majeur d’ici début 2023 et ce genre de chose doit être planifié rapidement ».
Les sociétés de classifications sont toutes en train de mettre en place des outils et des systèmes d’accompagnement des armateurs. « A ce stade, nous avons commencé à travailler sur des simulations montrant un taux de conformité de l’ordre de 70% pour des navires disposant déjà d’un EEDI. Les 30% restant pourront atteindre la conformité dans la plupart des cas avec une limitation de la puissance moteur non contraignante. En revanche, ce taux diminue rapidement pour des navires pré-EEDI », dit le Bureau Veritas. Un taux similaire est enregistré du côté du DNV.
Le CII sera beaucoup plus contraignant
Parallèlement à l’EEXI, les armateurs vont voir arriver le CII, le Carbon Intensity Index. « Actuellement, pour les calculs des émissions de carbone on rapporte sa consommation. Avec le CII, ce sera une véritable limite d’émission qui va être mise en place pour chaque navire », explique Fabian Kock du DNV. La négociation sur cette question est moins avancée que l’EEXI mais elle est néanmoins à l’ordre du jour du MEPC de juin prochain. Ce nouvel indice, qui devrait devenir un des éléments majeurs du SEEMP (Ship Energy Efficient Management Plan) de chaque navire, va être mesuré selon des critères qui doivent donc être prochainement discutés. Ensuite, ce dernier servira de référence pour la mise en place d’une trajectoire de baisse des émissions carbone de chaque navire. Non seulement il ne pourra pas être dépassé mais, en plus, sa révision annuelle devra témoigner des efforts mis en place pour le baisser. L’objectif étant de baisser de 40% les émissions d’ici 2030.
Une enquête de Caroline Britz et Gaël Cogné © Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.