La jurisprudence Erika est confirmée. Près de 13 ans après le naufrage du pétrolier maltais au large de la pointe de la Bretagne, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu hier, a acté formellement le cadre pénal français pour la répression de l’infraction de pollution maritime. Rejetant les conclusions de son avocat général – ce qui est relativement rare à ce niveau de procédure – la haute cour a confirmé les condamnations prononcées par les juridictions inférieures (tribunal correctionnel de Paris en janvier 2008 et cour d'appel de Paris en avril 2010) à l’encontre de l’armateur du navire, de son gestionnaire, de Rina, sa société de classification et de Total, qui affrétait au voyage l'Erika au moment de son naufrage. La Cour confirme également le volet civil de la procédure, en validant le principe du préjudice écologique, reconnu en première instance et réaffirmé appel. Et, concernant spécifiquement Total, elle casse une partie de l’arrêt de la cour d’appel qui avait exonéré le groupe pétrolier de sa responsabilité civile, consacrant ainsi formellement la possibilité de demander des réparations à l’affréteur d’un navire reconnu coupable de pollution.
« Une victoire totale ! » Cette exclamation soulagée de Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays de la Loire, résume l’état d’esprit de la soixantaine de parties civiles au procès. Une victoire de principe, puisque la plupart des dommages-intérêts attribués en première instance, un peu moins de 300 millions d’euros, a déjà été versée. Il s’agit plutôt d’un net positionnement de la haute cour en faveur d’une jurisprudence très innovante, qui a été celle du tribunal correctionnel de Paris en janvier 2008, dans ce qui a été le premier procès pour pollution maritime de l’histoire judiciaire française.
La Cour de cassation a validé, dans son ensemble, la démarche des juges de première instance, qui avaenit appliqué les critères et les mécanismes de la loi pénale française à ce naufrage. En matière de pollution maritime, le cadre juridique est effet particulièrement complexe . La zone économique exclusive, dans laquelle s’est déroulé le naufrage de l’Erika, est une zone où les compétences judiciaires sont régies principalement par le droit international. De manière générale, par la convention de Montego Bay de 1982, et de manière spécifique, par la convention de Marpol de 1973 pour le domaine de la prévention et de la répression de la pollution. A côté de ces normes internationales, qui s’imposent à tous les Etats les ayant ratifiées, existe, en France, la loi du 5 juillet 1983 qui prévoit les modalités de l’infraction de pollution maritime. Elle prévoit notamment quelles personnes peuvent être incriminées (le commandant, l’armateur et toute personne ayant un pouvoir de conduite ou de direction sur le navire). Toutes les lois sont censées être conformes au droit international. Le juge est garant de cette hiérarchie, il doit exercer, avant de prononcer une décision, un contrôle de conformité – appelé contrôle de conventionnalité dans ce cas – entre la loi et la convention internationale.
C’est précisément ce qu’a fait la Cour de Cassation dans le cas de la procédure Erika. D’abord pour déterminer la compétence du juge pénal français. Ensuite pour savoir si le droit français avait la possibilité d’être plus sévère que la convention internationale, notamment en ce qu’il augmente le nombre de personnes susceptibles d’être condamnées pour pollution. Et, enfin, sur le principe de la réparation civile, régie par une autre convention internationale, dite CLC.
Et elle a entièrement validé le raisonnement « à la française », en s’appuyant, pour autant, essentiellement sur le contenu des conventions internationales. Oui, le tribunal pénal français est compétent en zone économique exclusive puisque la convention de Montego Bay, elle-même, prévoit que la souveraineté de l’Etat doit s’y exercer en matière de pollution. Oui, la loi française, qui est plus sévère que la convention Marpol, peut s’appliquer dans la mesure où le texte international incite les Etats ratificateurs à mettre en place un système répressif « conforme » aux objectifs de la convention, qui est la lutte contre la pollution. Et que « conforme » signifie, selon la Cour qui cite le dictionnaire Littré, « ce qui donne effet » ou qui « rend efficient ». Oui, le principe de réparation s’applique également à un affréteur, Total en l’espèce, selon la lettre même de la convention internationale CLC. Les 320 pages de l’arrêt sont une démonstration d’interprétation des conventions internationales qui promettent de nombreuses études de doctrine, notamment parce qu’elles donnent une vision nouvelle du principe de la hiérarchie des normes, entre le droit international et le droit français.
Il faudra sans doute plusieurs mois aux juristes de tous bord pour « digérer » les leçons de cette démonstration de la Cour. Mais, sans le graver dans le marbre, cet arrêt fixe ce qui sera désormais le système français de répression de la pollution maritime.
Du côté de la défense, Total, en ligne de mire depuis le début de la procédure, pourrait faire un recours, le seul encore possible, devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.