Les armateurs français s’inquiètent d’un possible retard de l’examen, au parlement, du projet de loi visant à autoriser l’embarquement de gardes privés sur les navires de commerce battant pavillon tricolore. Alors que 70 navires immatriculés en France travaillent ou sont susceptible de transiter au nord de l’océan Indien, où sévissent les pirates somaliens, il ne leur est pas permis, pour le moment, d’accueillir des équipes armées fournies par des sociétés de protection privée. Seuls les militaires peuvent aujourd’hui, légalement, défendre la flotte marchande française. Depuis la fin des années 2000 et l’exposition du nombre d’attaques au large de la Somalie, la Marine nationale mobilise la force des fusiliers-marins et commandos, qui embarquent sous forme d’équipes de protection embarquée sur les navires de commerce, de pêche ou de croisière fréquentant cette zone. Toutefois, malgré les efforts consentis, il n’est pas toujours possible d’embarquer une EPE militaire, notamment pour des questions logistiques ou opérationnelles. Au final, la marine ne peut répondre à environ 30% des demandes de protection formulées par les compagnies.
Encombrement législatif en raison des élections
C’est pourquoi les professionnels français du transport maritime demandent depuis plusieurs années l’autorisation de recourir à des sociétés de protection privées en complément des moyens militaires. Alors que tous les pays d’Europe ont progressivement légiféré sur le sujet, la France s’est enfin décidée à le faire fin 2013. L’élaboration d’un projet de loi a été actée le 2 décembre lors du Comité interministériel de la mer (CIMER), le gouvernement s’engageant à aller vite, avec un passage au parlement prévu dès le mois de février. Le texte, qui a été présenté en Conseil des ministres le 3 janvier, est depuis arrivé à l’Assemblée nationale. Sauf que le palais Bourbon connait actuellement un encombrement législatif, consécutif notamment aux vacances parlementaires imposées par les élections municipales et européennes. Ainsi, avec un calendrier raccourci, les députés doivent faire face à un afflux de projets de loi sur une période réduite. L’examen de certains textes prend donc du retard et, chez les armateurs, on redoute que celui sur la piraterie soit concerné. « Nous n’avons pas de calendrier pour l’instant. Mais il est très important que le texte puisse être voté avant l’été compte tenu des délais de mise en œuvre », explique Eric Banel, délégué général d’Armateurs de France. Avant que les navires français puissent légalement embarquer des équipes de protection privées, il va falloir que le texte soit examiné à l’Assemblée nationale puis fasse la navette avec le Sénat. Une fois la loi adoptée, ses décrets d’application devront ensuite être signés puis paraître au journal officiel.
Armateurs de France souhaite un dispositif opérationnel à l’automne
Sachant que le délai moyen pour le vote d’un projet de loi est de six mois, les armateurs redoutent, en cas de retard de l’examen, de ne pouvoir recourir à des gardes privés avant le printemps, voire l’été 2015. C’est pourquoi ils en appellent à l’Etat pour respecter le calendrier initialement fixé afin de pouvoir bénéficier du nouveau cadre légal avant la fin de l’année. « Il faudrait que l’Assemblée examine le texte d’ici début mars pour que le Sénat se prononce en avril et que la loi soit votée en juin. De cette manière, le dispositif pourrait être opérationnel au plus tard à l’automne ». Pour accélérer le mouvement, Armateurs de France planche déjà, avec l’administration et les entreprises de protection privée, sur les futurs textes d’application. « Cela fait plus d’un an que nous travaillons en amont sur ces textes, qui sont quasiment prêts », assure Eric Banel.
Les sociétés de protection contrôlées par le CNAPS
Concernant l’homologation des sociétés qui seront en charge de protéger les navires de commerce français, il y a également un délai d’instruction des demandes faites par ces entreprises auprès de l’organisme chargé de leur délivrer un agrément. Il s’agit du Conseil national des activités privées de sécurité, qui a été installé en janvier 2012 par le ministre de l’Intérieur. L’objectif du CNAPS est, notamment, de contrôler et réguler les activités de protection, comme le gardiennage, le convoyage de fonds ou encore les services de gardes du corps. Les sociétés de protection privée qui déploieront des équipes armées sur les bateaux civils seront aussi placées sous sa coupe. « Le CNAPS assurera le contrôle de ces sociétés. C’est la garantie que nous attendions car il nous faut des professionnels de la sécurité, des gens fiables qui garantissent la sécurité des équipages ».
Allègement des moyens militaires au large de la Somalie
L’inquiétude d’Armateurs de France quant à un éventuel décalage du calendrier pour l’examen de la loi s’est renforcée tout récemment avec l’annonce, par le ministre de la Défense, d’un allègement prochain des moyens de la Marine nationale affectés à Atalante. Cette opération européenne de lutte contre la piraterie, activée en décembre 2008, a très largement contribué à endiguer les attaques au large de la Somalie. Pour autant, le phénomène n’est pas éradiqué et Eric Banel rappelle que le danger demeure bien réel. « On constate une très forte diminution des actes de piraterie au large de la corne d’Afrique, du fait des efforts concomitants réalisés ces dernières années par les forces armées et les armateurs afin d’assurer la protection des navires. Pour les armateurs, il s’agit par exemple des dispositifs d’autoprotection, de la prise de vitesse dans les zones dangereuses ou encore de la présence à bord, quand cela est possible, d’équipes de protection privée. Toutefois, seuls les symptômes de la piraterie ont été traités, pas ses causes. Celles-ci demeurent à terre et trouvent leurs racines dans la déliquescence de l’Etat somalien et l’instabilité du pays. Or, on ne constate pas de progrès dans la stabilisation de la région, ce qui signifie que dès que nous aurons baissé la garde, la piraterie reviendra ». Pour Armateurs de France, il est parfaitement normal que la Marine nationale, au regard de la chute du nombre d’attaques, réduise la voilure au large de la Somalie, tout en se tenant prête à y revenir en force en cas de résurgence du problème. Mais, dans le même temps, les navires de commerce doivent avoir la capacité de se défendre contre les pirates. D’où l’urgence de l’adoption de la loi autorisant le recours aux gardes privés.